« La Fédération a détruit notre message »
Les arbitres ont-il raté leur coup, quelles étaient leurs intentions? Membre du Syndicat des arbitres de football élite (SAFE), Tony Chapron s'exprime sur la crise actuelle.
Auteur : Propos recueillis par Jérôme Latta
le 7 Mars 2011
Alors qu'ils devaient retarder le début des rencontres de la 25e journée de Ligue 1 (lire "15 minutes pour survivre"), les arbitres désignés se sont vu couper l'herbe sous le pied par la Fédération, qui les a remplacés par des arbitres fédéraux. L'épisode aura au moins eu le mérite de nous montrer certains commentateurs (et bien sûr l'inénarrable Frédéric Thiriez) se féliciter de l'excellente prestation des remplaçants, vantant leur sérénité et leur sens psychologique... Sans noter que la plupart des entraîneurs avaient donné aux joueurs des consignes d'indulgence, créant des conditions totalement inverses à celles dans lesquelles évoluent d'ordinaire les arbitres de l'élite. La façon dont Canal+ a déployé des trésors d'indulgence pour des décisions qui auraient suscité des cries d'orfraie en des circonstances normales, a elle-même été d'un certain comique.
Secrétaire du syndicat des arbitres, Tony Chapron explique le mouvement de ce week-end et réagit aux mesures de la Fédération.
Quels étaient les objectifs initiaux de votre mouvement?
Nous voulions faire prendre conscience à nos directions, Fédération et Ligue, qu'il y avait un réel problème et que nous attendions une réaction de leur part. Ceci depuis longtemps, puisque nous avons envoyé une multitude de courriers depuis le début de la saison, les premiers dès la deuxième journée après les déclarations de Stéphane Ruffier et Guy Lacombe à propos de l'arbitrage de Philippe Kalt. La saison commençait fort... C'était déjà resté lettre morte et le passage devant le Conseil de l'éthique s'était terminé comme à l'ordinaire, c'est-à-dire avec des sanctions avec sursis [1]. Il y a eu une série d'autres courriers, mais nous n'avons jamais eu de réponse.
Aviez-vous interpellé le ministère ?
Non, nous pensions que c'était la Fédération qui gérait le football. Nous étions un peu naïfs. Notre initiative était aussi un cri d'alarme: "Que fait l'institution?" La goutte d'eau a été la façon dont Saïd Ennjimi a été traité par les dirigeants de Bordeaux, puis par les médias, et surtout la réaction de Fernand Duchaussoy. La Fédération a d'abord eu une réaction de principe, rappelant au respect des arbitres, mais alors que nous demandons à être reçus et entendus sur ces sujets-là, le président choisit d'aller à Bordeaux pour rencontrer Jean-Louis Triaud, qui lui avait demandé d'être entendu sur l'arbitrage. C'est un message fort: la Fédération préfère entendre les accusateurs que les victimes.
« Les instances ne sont pas prêtes à nous défendre »
La FFF vous a accusés d'avoir utilisé "l'argument du respect de l'éthique et de la discipline pour chercher à faire aboutir, au moyen d'un chantage inacceptable, des revendications de nature purement financière"...
Ça, c'est la politique de la Fédération: elle ne veut pas entendre parler de respect, puisqu'elle est embarrassée de ne jamais avoir réagi, alors elle se cache derrière les revendications salariales. Effectivement, elles existent par ailleurs, et le président de la Fédération oublie de dire que des engagements contractuels pris il y a quatre ans n'ont toujours pas été tenus, mais ce n'était pas du tout l'objet de notre action de ce week-end. Retarder de quinze minutes les coups d'envoi était une façon de marquer les esprits pour dire qu'il y avait un réel problème dans le football, dire que le respect a disparu. Pourtant, tout le monde se gargarise avec les valeurs du football, l'éducation, le respect...
Vous attendiez-vous à la réaction de la Fédération?
Ah non ! Non. Je vous disais que nous sommes un peu naïfs. Nous pensions vraiment que la Fédération allait saisir la balle au bond et, en dépit des problèmes suscités sur le plan de l'organisation des compétitions et des droits télé, soutenir notre message et appeler au respect. En fait, elle a détruit notre message. Le respect est une notion invoquée dans les discours électoraux, mais ensuite, on s'en contrefiche. C'est aussi une suite logique: l'absence de réponse à nos courriers et à nos appels disait déjà que les instances ne sont pas prêtes à nous défendre. Ce n'est pas très populaire, de défendre les arbitres.
N'auriez-vous pas mieux fait d'organiser une grève pure et simple?
Nous ne voulions pas "prendre en otage" le football. Un retard d'un quart d'heure ne compromettait en rien les compétitions, ne lésait pas les spectateurs qui avaient payé leurs places et se déplaçaient. Nous voulions juste tirer la sonnette d'alarme. Mais manifestement, ce n'était pas la bonne méthode. Nous avons été suspendus avant même de faire quoi que ce soit: en fait, nous avons été sanctionnés parce que nous appartenons à un syndicat. Je ne vois pas d'autre raison pour laquelle on m'aurait retiré ce match: je suis venu et on m'a dit que je ne l'arbitrerais pas.
« Nous ne pourrons jamais renverser l'opinion publique »
On vous a suspendu aussi pour avoir annoncé une mobilisation...
Peut-être que la prochaine fois, il ne faudra pas l'annoncer.
Comment envisagez-vous la suite?
On peut aller vers un conflit dur, mais je crains qu'il soit de nouveau mal perçu ou biaisé. Aujourd'hui, j'ai compris une chose: nous ne pourrons jamais renverser l'opinion publique. En tout cas pas avec les instances actuelles. Nous devons miser sur les pouvoirs politiques et faire confiance à la ministre, je ne vois pas d'autre solution pour sortir de cette crise. Compte tenu de l'état des relations entre les deux parties, il faut un médiateur extérieur.
Est-ce que les arbitres d'élite sont suffisamment d'accord et solidaires entre eux pour prolonger le mouvement?
Je pense qu'il y a une réelle solidarité entre les arbitres: ce week-end, quarante collègues avaient décidé unanimement de retarder les coups d'envoi. Ce mouvement n'a pas été initié par le bureau du syndicat, mais par les adhérents. Une cinquantaine, près de la moitié, étaient réunis en stage à Clairefontaine et le mouvement a été décidé là. Le sentiment de ras-le-bol est très largement partagé, nous aurions même pu rebondir sur l'actualité dans les ligues et les districts: nous avons appris que dans certains districts, des arbitres ont retardé le coup d'envoi de dix minutes, avec le même message que le nôtre! Ils en ont marre d'être insultés ou vilipendés tous les week-ends.
Qu'attendez-vous de la rencontre prévue mercredi au ministère?
J'espère au moins que nous pourrons expliquer notre situation à la ministre, ce que nous vivons au quotidien – parce que nous ne sommes pas seulement pris à partie le jour des matches. Les commentateurs sportifs excitent le chaland, et ils n'ont aucune conscience des conséquences que cela peut avoir. Je ne crois plus aux grandes déclarations. Il faut un calendrier avec au final des décisions tangibles. Nous avons eu assez de discours.
[1] Après le jet de projectile qui avait atteint Emmanuel Boisdenghien lors de Lens-Lille, le Stade Bollaert n'a écopé que d'un match de suspension avec sursis – ce qui semble indiquer qu'il est permis de lancer un objet sur un assistant, à condition que ce ne soit pas trop souvent.