Zinédine Météconté le 11/06/2006 à 14h33
Cet article me rappelle un petit texte que j'avais écrit à l'époque de la précédente coupe du monde. Je vous le soumets, en vous souhaitant bonne lecture.
LA QUETE DU MEGA-PHALLUS
… Tous les quatre ans, une vaste proportion de la population humaine se rassemblait autour d’un événement appelé « Coupe du monde de football ». La place nous manque pour expliquer ici en détail en quoi consistait le « football » : disons simplement que deux équipes de onze joueurs –le plus souvent de jeunes mâles, même si quelques variantes sont attestées (voir ci-dessous)- se rencontraient sur un rectangle de gazon d’environ deux hectares et se disputaient la possession d’un ballon sphérique ; l’usage de la main, du bras ou de l’épaule était formellement proscrit, et l’objectif consistait à envoyer le ballon entre les barres d’un portique fermé vers l’extérieur par des filets (c’est le fameux « but », aussi appelé « cage » ou « caisse »). La « Coupe du monde » semble avoir constitué le plus grand tournoi de cette discipline, elle désignait le détenteur de la suprématie universelle pour une durée de quatre ans ; aussi chaque nation s’y faisait-elle représenter par une équipe rassemblant son élite sportive supposée. Presque tous les pays prenaient part aux éliminatoires de la compétition, mais seules les trente-deux meilleurs participaient à la phase finale, concentrée en un seul lieu et en un laps de temps n’excédant guère un mois. La phase éliminatoire était presque toujours fatale à d’immenses nations comme l’Inde ou la Chine, tandis que le Danemark ou le Costa-Rica, pour ne prendre que ces deux exemples, la franchissaient le plus souvent sans encombre ; et des groupes humains très pauvres pouvaient par la suite se révéler supérieurs à des rivaux puissants et riches, en une inversion des valeurs proprement carnavalesque.
Sous l’œil passionné d’un nombre considérable de spectateurs présents dans le stade ou devant leurs téléviseurs, les différentes équipes s’efforçaient d’éliminer leurs compétitrices dans une série de duels –chaque formation vivement encouragée par sa communauté d’origine. Les vainqueurs de l’une de ces confrontations manifestaient bruyamment leur joie : les joueurs poussaient des hurlements avec d’horribles grimaces avant de se précipiter les uns sur les autres jusqu’à former de véritables pyramides humaines, tandis que leurs partisans envahissaient les rues et tournaient en dérision les adversaires vaincus en des chants que l’imprégnation éthylique orientait rapidement vers la plus franche obscénité. Quant aux perdants, ils rentraient chez eux, silencieux et la tête basse ; puis, remis de leur abattement, ils cherchaient à désigner un coupable pour exorciser les souvenirs déplaisants. Le chercheur ne peut nier sa perplexité devant les images d’archives : la disproportion entre cette explosion émotionnelle et la faiblesse de l’enjeu poursuivi pose problème. En effet, le tournoi semble n’avoir jamais eu d’autre finalité que lui-même ; en dehors d’un surcroît de notoriété et de richesse pour les joueurs –déjà très célèbres et très riches avant la compétition- et du titre purement honorifique de « championne du monde » pour la nation victorieuse, nul ne retirait de son triomphe la moindre prérogative concrète. Interrogés sur ce problème, les acteurs de cette époque nous proposent des réponses peu convaincantes : « Je l’ai fait pour la gloire », « C’était pour mon pays », « C’était pour ma grand-mère », etc.
A l’évidence, le véritable enjeu de l’événement est d’ordre symbolique ; et pour en préciser la nature, il convient d’observer le trophée récompensant le vainqueur de cette longue et difficile épreuve. Cet objet plutôt massif, remis le soir du sacre au capitaine de l’équipe victorieuse, représente trois personnages dont les bras sont levés en un mouvement impétueux, et portant sur leurs épaules le globe terrestre ; ils reposent sur un petit socle rond, en dessous duquel on gravait le nom des triomphateurs. Au centre de la « Coupe du monde », il y a donc un fétiche dont le caractère puissamment phallique est incontestable pour qui l’a vu ne serait-ce qu’une seule fois. Dès lors et compte tenu de la description succincte que l’on a donnée ci-dessus, une hypothèse d’interprétation apparaît. Ces foules masculines, rassemblées autour de leurs jeunes guerriers, se disputaient en fait le monopole de la puissance virile ; et la véritable récompense des « champions du monde », au plan symbolique tout au moins, n’était autre que le droit de peupler la terre de leurs descendants, tandis que les vaincus seraient voués à la stérilité et à la disparition -les lamentations des soirs de défaite ayant pour motif profond le sentiment d’une castration collective. L’enjeu n’était pas dans le champ clos du stade ; car les femmes étaient soigneusement tenues à l’écart de ces combats rituels où se jouait pourtant l’appropriation de leur fécondité (à peine relevait-on dans certains cas la présence d’une ravissante Brésilienne aux seins nus qui, en se trémoussant dans les tribunes, présentait aux jeunes héros une suggestive prémonition et ranimait ainsi leur vigueur). Quant au « football » lui-même, il ne faisait au fond que mimer, en une chorégraphie rituelle improvisée par les joueurs, la finalité symbolique de tout ce cirque –la pénétration du ballon dans les buts ayant un sens sur lequel il n’est pas nécessaire d’insister (on disait parfois, d’un gardien n’ayant commis aucune erreur, qu’il avait gardé ses buts inviolés).
Le renouvellement quadriennal de la compétition avait peut-être pour but de remédier aux problèmes de l’endogamie.
Quant à la « Coupe du monde de football féminine », …