In bed with le PSG : J. P.
Après Chantôme et Ibrahimovic, Pastore nous livre sa confession intime. Évidemment, c'est un peu mélancolique.
Les trois coups de sifflet de l'arbitre retentissent. Déjà... Mes genoux touchent le sol, mes doigts s'enfoncent dans l'herbe. Je n'ai pas eu le temps! Vingt minutes à peine, deux buts encaissés, un coup franc d'Ibrahimovic, mais moi je n'ai pas eu le temps. Et mes doigts qui s'accrochent, qui voudraient retrouver...
Rien.
Mes jambes me relèvent, m'emmènent vers les vestiaires niçois, je me sens perdu. Les couloirs, des tapes sur l'épaule, rares parce qu'on a perdu, on a toujours moins d'amis quand on a perdu, les gardes du corps devant la porte, les têtes baissées, à l'intérieur. Je m'assieds, à côté des autres, et j'attends l'engueulade, comme les autres. Bien sûr les soucis de cohésion. Puis l'absence de solidarité. La rigueur oubliée dans les entraînements, aussi. Les valeurs perdues.
Je me tais, comme tous les autres. Et je m'en fous. Ils ne comprennent rien. Personne ne réagit. Je n'ai pas le courage de regarder mes coéquipiers. La motivation, le sacrifice, le sérieux du professionnel... Ce sont des conneries. Il me manque tellement plus que ça. J'ai si froid, à l'intérieur de mes jambes...
Je me suis toujours senti différent, sur un terrain. Et pourtant, c'est ce qui me permettait de ne pas être seul. Les autres ne comprenaient jamais, mais ça n'était pas grave. Pour eux, parce que je nous faisais gagner. Pour moi, parce que je sentais pourquoi. J'étais ce talent. Sur le terrain, je savais des choses. C'était moi.
Je ne me souviens pas à quel moment j'ai découvert ça. D'aussi loin que je regarde, j'ai toujours été celui-là. Je suis né El Flaco, j'ai joué El Flaco, j'ai grandi El Flaco. J'étais plus faible, alors ils ne me laissaient pas prendre la balle. J'allais moins vite, alors ils ne me laissaient pas courir. Je frappais moins fort, aussi... Mais déjà, sur un terrain, je savais des choses.
Quand les défenseurs allaient bouger tous ensemble, sans même se concerter, moi, je devinais. Ils se massaient devant le but, dans l'axe, mais j'étais déjà parti sur le côté. Et j'attendais. Quand un adversaire frappait dans le ballon, tentait un dribble ou feintait une passe, moi, sans y réfléchir, je regardais ses pieds. C'était facile: un appui, la position des hanches, la cheville qui s'ouvre ou pas... Oh, bien sûr ils me mentaient avec leur tête, et leurs bras. Mais moi c'est leurs pieds qui me parlaient... Qui me disaient où aller chercher la balle. Et une fois que je l'avais volée, cette balle, pas besoin de lever la tête pour l'offrir à l'attaquant. Une passe, en profondeur, en diagonale ou dans les pieds, un intervalle et hop... livrée avec les compliments du maigrichon. Sans avoir eu besoin de regarder. Le coéquipier y était. Ou allait y être. Évident.
Les vieux m'ont repéré. Ils me disaient que c'était de la chance, au début. Puis que c'était incroyable, que c'était de la magie... Mais à chaque match, à chaque entraînement, à chaque exercice, de la magie? Non... Ça n'était pas en moi. C'est ça qu'ils ne comprenaient pas, et qu'aujourd'hui ils ne comprennent toujours pas. Je ne l'ai pas travaillé. Je ne me suis pas entraîné! Je sentais tout, je voyais tout. Des respirations, les défenseurs se replacent. Le maillot tiré vers la gauche, l'adversaire croit que je vais partir... Le regard de mon attaquant vers le banc, il ne peut plus courir. C'était tellement facile, pour moi. Je savais. Tout de suite. Parce que j'étais fait comme ça! J'étais ça. Ce talent c'était moi. J'ai toujours cru que c'était moi. Alors pourquoi me serais-je inquiété? Je n'ai jamais douté sur un terrain.
Jusqu'au jour où j'ai compris que c'était parti. On ne perd pas ce qui est soi. Mais c'est parti. Et je n'existe plus.
On ne se réveille pas myope, je crois. La vue baisse doucement, sans que l'on s'en rende même compte. Les panneaux routiers sont un peu flous. L'écran de la télé trop loin. On met du temps à comprendre. Enfin j'imagine. Je ne peux même pas dire quand je me suis avoué que je ne savais plus le football. Et il n'y a pas de lunettes pour ça.
J'ai essayé d'expliquer. On m'a dit que c'était passager, que j'étais stressé par la maladie de ma mère. Monsieur Leo m'a parlé de l'acclimatation, m'a rassuré en me disant que je n'avais pas à me préoccuper, que ça allait revenir. Que je me mettais trop de pression avec les 42 millions, que le coach avait confiance. Qu'il fallait juste attendre. Que je devais prendre le temps, être professionnel. M'entraîner.
Alors j'ai travaillé. Rien. Je me suis affûté, pour me sentir mieux. Rien. J'ai essayé de comprendre, j'ai revu des vidéos de mon jeu. Rien, rien, rien. Un cauchemar. C'était un autre homme sur ces DVD. Un joueur qui découvrait des solutions insensées, qui trouvait des coéquipiers là où je n'en avais vu aucun. Un étranger. Qui dribblait sur un chemin aujourd'hui inexistant. J'ai revu, revu, revu ces vidéos. Rien. Je ne sais plus.
L'ignoble stade du Ray. Je reste assis sur mon siège après une nouvelle défaite que je n'ai pas pu éviter. Parfois ça n'était pas loin. Je crois me souvenir, mais... Il y a eu ma reprise de volée, sortie par le gardien. J'étais content. Et puis après, je tente une passe à trois mètres et je vois Mat' partir dans le mauvais sens. Pourquoi le ballon d'un côté et Matuidi de l'autre, maintenant? Ça n'arrivait jamais! Qu'ils reprennent tous leurs millions. J'essaye un débordement, parce que le défenseur me paraît planté sur ses appuis. Il devine ma trajectoire et m'envoie dans l'herbe. Maintenant c'est facile pour eux. Je voudrais me réveiller. Être tranquille. Seul. Avec moi.
Il n'y avait rien à comprendre. Ça me fait peur. Je ne pensais pas que l'on pouvait être orphelin de soi-même. Ce n'était pas en moi. Ni un don, ni une qualité. C'était moi. J'étais ça. Je n'arrive plus à me retrouver.
Je me suis perdu. Je me sens si loin, après cette défaite, à Nice. Si loin de moi-même.
IN BED WITH LE PSG : C .C.
IN BED WITH LE PSG : Z . I.