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Dimanche prochain, à l’occasion du deuxième tour de FA Cup, l’AFC Wimbledon (D4) affrontera sa nemesis, son usurpateur d’identité, Milton Keynes Dons (D3). Une rencontre que toute l’Angleterre du football attend sabre aux dents depuis dix ans.

Le 28 mai 2002 compte parmi les grandes dates séminales du football mondial : une commission désignée par la Football Association autorise la délocalisation de Wimbledon FC à 100 kms de ses bases. Ce panel de trois hommes [1] conclut ses quatre jours de délibération par cette glaciale formule restée funestement célèbre :

« Recréer Wimbledon FC sous l’appellation, par exemple, de Wimbledon Town […], n’est pas dans l’intérêt supérieur du football »

Un déracinement sauvage en forme de vol de club qui balafre le football britannique depuis lors.

Le 21 juin 2004, Wimbledon FC, auteur de l’un des plus beaux contes de fée de l’histoire du football durant la longue ère Crazy Gang (1978-2000), disparaît dans l’indifférence (presque) générale et devient officiellement Milton Keynes Dons FC (ici). Milton Keynes, agglomération nouvelle située à 75 kms au nord-ouest de Londres sans club professionnel et surtout sans scrupules, lui a en effet volé son club. Depuis, Milton Keynes est le club le plus détesté du pays. De loin.

Entre-temps, en juillet 2002, sur les cendres de Wimbledon FC, un phénix avait resurgi : l’AFC Wimbledon (AFC = A Fans’ Club).

Dimanche 2 décembre à 12 h 30, pour le compte du second round de la FA Cup (tour préliminaire aux 32è qui verront début janvier l’entrée des D1 et D2), les deux protagonistes de cette extraordinaire fresque croiseront le fer pour la première fois. Exceptionnellement, cette rencontre sera diffusée sur ITV, la chaîne anglaise la plus regardée.

Le plus simple pour appréhender ce long dossier complexe qui ferait passer le barnum UMP pour une partie de 1000 Bornes entre scouts était d’en faire une frise chronologique verticale. En route donc pour une extraordinaire épopée qui défrise sacrément plus que la Cocoe. [2]

[Cliquer sur les photos procure parfois des sensations]

La frise historique qui défrise…

1889. Création de Wimbledon (d’abord Wimbledon Old Centrals) dans un pub local, le Fox & Grapes. Le club dispute ses matchs sur Wimbledon Common, immense poumon vert de 460 hectares.

Ces deux lieux deviendront intimement liés à l’histoire du club et verront notamment la naissance de l’AFC Wimbledon en juillet 2002 (les statuts du nouveau club seront rédigés au pub et les sélections de joueurs faites sur les terrains de foot du Common – common = terrain communal, souvent un parc municipal).

1912. Wimbledon FC déménage pour le stade de Plough Lane et restera amateur jusqu’au milieu des Sixties (ci-dessous en 1919).

Années 1930. Bien qu’amateur, le club attire régulièrement 10 000 spectateurs à Plough Lane (avec des pointes à 18 000 pour feu la FA Amateur Cup).

1940-41. Plough Lane est partiellement détruit par le Blitz. Le stade ne redeviendra opérationnel qu’en 1950. Rafistolé avec les moyens du bord, hormis la reconstruction d’une tribune et la rénovation d’une autre, il demeurera peu ou prou dans son jus jusqu’à son dernier souffle, en 2001.

1963. Wimbledon remporte la FA Amateur Cup à Wembley, grâce à un quadruplé d’anthologie de leur attaquant nord-irlandais Eddie Reynolds : 4 coups de boule. La résidence construite sur les gravats du mythique Plough Lane porte aujourd’hui son nom, ici.

La FA Amateur Cup, dont la finale attira régulièrement 100 000 personnes à Wembley dans les années 50, sera remplacée par le FA Vase en 1974 (disputé par les clubs de D9 et au-delà, tous amateurs ; les clubs de D5 à D8 – professionnels, en D5, ou semi-pros – disputant eux le FA Trophy).

Eté 1964. Wimbledon passe semi-pro en accédant au championnat de Southern League (D5, alors organisée en poules régionales) et se constitue en limited company. Les choses à moitié sérieuses commencent.

Janvier 1975. Wimbledon devient le premier club de non-league à sortir une D1 à l’extérieur en FA Cup (Burnley, 1-0, 32è). Ce fait d’armes est souvent considéré comme le deuxième plus grand exploit de Dame FA Cup [3].

Au tour suivant, à Elland Road, Wimbledon fera match nul (0-0) contre le grand Leeds de Billy Bremner et Johnny Giles (les Dons s’inclineront 1-0 lors du replay à Selhurst Park, l’antre de Crystal Palace, devant 45 000 spectateurs – Plough Lane était inondé).

1975-1976. On parle de George Best (comme entraîneur-joueur) à la tête d’un consortium désireux de reprendre Wimbledon mais c’est finalement l’homme d’affaires Ron Noades (ci-contre) qui rachète le club en 1976 pour le prix d’un break Morris : 2 782 £ (Noades deviendra un personnage très controversé du football anglais [4], voir notamment notre dossier sur Tomas Brolin, que Noades fit venir à Crystal Palace début 1998, ici).

Mai 1977. Wimbledon FC accède en Football League (premier échelon, D4). Graduellement, tous les joueurs passeront alors professionnels au cours de la saison (certains semi-pros ne touchaient que 15 £ / semaine).

1978. La légende du Crazy Gang naît, officieusement tout du moins (le terme sera inventé en mars 1985 par Tony Stenson, journaliste au Daily Mirror).

Bien que la création du plus célèbre et génial groupe de déjantés du foot britannique (mondial ?) soit généralement attribuée à Wally Downes (aujourd’hui dirigeant à West Ham), rendons à César ce qui lui appartient : c’est à l’obscur ailier Steve Parsons que reviendrait l’honneur d’avoir démarré cette expérimentation guignolo-footeuse digne des Charlots en crampons (ci-dessous, le Crazy Gang fête dignement le testimonial de l’attaquant Alan Cork – 1978-1992, 430 matchs, 145 buts).

le Crazy Gang fête le testimonial d'Alan Cork (1978-1993) à sa manière

Un vrai bon taré comme on en fait plus ce Parsons. Lors d’une fête organisée par Dave Beasant (qui deviendra le gardien emblématique des Dons, 1979-1988), on retrouve l’énergumène à cheval sur une fenêtre du grenier tentant de reprendre de la tête des pots de terre qu’il lance en l’air…

Wally Downes, formé au club et lancé dans le grand bain du foot pro en 1979 (à 18 ans), poursuit brillamment l’oeuvre de Parsons. A peine arrivé chez les grands, lors d’une sortie en bateau, il suspend le kiné du club par dessus bord le plus longtemps possible et chronomètre combien de temps il peut tenir la tête sous l’eau.

Peu après, il bizute un nouveau chauffeur de bus (chauve) en claquant sur sa calotte un poisson chaudement sorti d’un emballage fish & chips alors que le véhicule roulait à 90 kms/h (choqué, le chauffeur refusera ensuite de travailler avec les Dons).

Un bus qui en voit des vertes et des pas mûres. Il arrive aux joueurs de montrer leurs fesses aux automobilistes ou de surfer à poil sur le toit du véhicule (un sketch signalé par un citoyen horrifié et dûment rapporté à une radio nationale qui mentionne l’incident dans un bulletin – selon Ron Noades en tous cas). Ah, si seulement les insurgés de Knysna avaient pu s’inspirer du Crazy Gang !

L’esprit et les frasques du Crazy Gang perdureront plus de deux décennies, la hiérarchie du club laissant faire : elle pensait (à juste titre) que ce foutoir tous azimuts soudait le groupe.

Le Norvégien Egil Olsen sera le dernier manager (1999-fin avril 2000) à souffrir aux mains des Vinnie Jones (parti mais toujours dans les parages !), Ben Thatcher, Carl Cort, Gareth Ainsworth et autre John Hartson (cf juillet 1999, dans un prochain épisode).

Janvier 1978. Le jeune manager Dario Gradi (36 ans) est nommé à la tête des Dons, c’est son premier poste. Il deviendra quelques années plus tard un veritable gourou de la formation à Crewe Alexandra (D2 à D4), une sorte de Guy Roux de Football League (28 ans à la tête des Railwaymen de Crewe, voir notre dossier sur Man United – Fergie est un admirateur – milieu d’article).

Ron Noades profite de l’engouement et le savoir-faire de Gradi pour mettre en place un programme structuré de youth development sur lequel le club devra compter pour progresser, les caisses étant vides.

1979. Noades, en conflit avec le Merton Borough Council qu’il considère anti football (conseil d’arrondissement dont dépend Wimbledon), cherche à établir Wimbledon… à Milton Keynes (déjà !). Il rachète le club amateur de MK City pour 1 £ et y place trois dirigeants de Wimbledon FC en espérant en tirer un bénéfice quelconque à moyen terme.

1980. Le Crazy Gang grandit bien : certains joueurs font venir leur petite amie au stade pour copuler directement sur le bureau de Ron Noades !

Les bizutages sont gratinés et fumeux. Une pratique routinière consiste à mettre le feu au sac du petit nouveau en le faisant danser autour, à poil évidemment. Et dans le vestiaire ! Fatalement un jour l’inévitable se produit : le vestiaire prend feu et les pompiers doivent intervenir. Mais au nom de la cohésion et « l’harmonie » de groupe, tout passe.

1980. Noades cherche à vendre Wimbledon FC… à un autre club. QPR se montre interessé (pour l’utiliser comme pépinière) mais n’offre que 15 000 £, insuffisant.

Début 1981. Noades vend finalement Wimbledon à l’homme d’affaires libanais Sam Hammam (déja dirigeant au club), pour 40 000 £ (le chiffre de 100 000 £ circule aussi). Hammam se passionnant pour le tennis, il s’était installé à Wimbledon à son arrivée en Angleterre en 1975 (sa femme étant enceinte, il fuyait un Liban où la guerre civile venait d’éclater). Et si ce coin ne porte pas le foot dans son ADN, en revanche, il sent bon l’oseille, ce qui n’est pas pour lui déplaire.

Noades rachète Crystal Palace (et se débarrasse de Milton Keynes City dans la foulée, mais la perfide graine Milton Keynes est plantée). Plus tard, Noades et Hammam tenteront l’impensable : réaliser une triple fusion entre Wimbledon, Crystal Palace et Charlton ! (la fraternité supporters fera capoter ce projet totalement insensé).

Sam Hammam, grand déjanté du football anglais devant l’éternel (ci-dessus avant un match à Selhurst Park), fait plus qu’épouser la philosophie punk du Crazy Gang. Le proprio-président à la touche qui détonne (il arpente souvent le bord du terrain portant moumoute en poil de chameau et écharpes improbables) encourage activement les joueurs à la zizanie. Mieux, il met fréquemment la main à la pâte. Petit apercu de ses déviances ribéro-aulassiennes :

– il verse lui-même du sel dans les sucriers des équipes visiteuses

– il force les joueurs à manger toute sorte d’horreur après une défaite (dont des testicules d’animaux, crus de préférence – toujours mieux que la bouffe anglaise diront certains)

– il aime provoquer (et insulter) les supporters adverses devant la tribune extérieure

– il met le chauffage à fond dans les vestiaires visiteurs et bidouillent les wc, encourageant parfois ses propres joueurs à laisser leur petit souvenir dans la cuvette (wc dont la chasse d’eau ne fonctionne évidemment pas)

– il concocte des contrats impossiblement excentriques ou tyranniques (en 1987, dans celui du manager Bobby Gould, il insérera par exemple une clause lui permettant de changer l’équipe jusqu’à 45 minutes du coup d’envoi)

– en déplacement, il lui arrive de gribouiller des graffitis obscènes dans les vestiaires

A son arrivée, Hammam limoge Dario Gradi (qui rejoint Noades à Crystal Palace) et nomme Dave ‘Harry’ Bassett (36 ans), qui deviendra le grand artisan de l’extraordinaire ascension du club jusqu’en D1.

Début années 80. Le club continue brillamment son apprentissage de la Football League. Dave Bassett acquiert des joueurs clés pour une bouchée de pain, dont Nigel Winterburn (futur Gunner) en 1983 et Lawrie Sanchez en 1984 (respectivement pour 15 000 et 30 000 £). De quoi donner le vertige au gardien Dave Beasant, acheté lui pour… 100 £ ! (en 1979)

Le style du crazy gang s’inscrit dans la plus pure tradition kick and rush (surtout niveau kick), brutalité sauvage et intimidation en plus. Le club explose les records de cartons et est régulièrement sanctionné par la FA. Certaines saisons, les deux tiers des buts Dons proviennent de coups de pied arrêtés.

Dans Inverting the Pyramid, l’écrivain du football Jonathan Wilson décrit le football pratiqué par Wimbledon à cette époque comme « nihiliste » ; d’autres observateurs parlent d’une « race de non-football inédite ». Toutefois, pendant que les puristes s’étranglent, Wimbledon avance, à pas de géant. Visiblement, la théorie du chaos fonctionne à merveille : en deux saisons les Dons grimpent de la D4 à la D2 ! (atteinte en 1984).

Les entraînements sont à l’avenant, à la fois (très) rugueux et décalés. Dave ‘Harry’ Bassett ordonne par exemple aux joueurs de…

A suivre.

Kevin Quigagne.

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[1] Il s’agissait de Raj Parker, avocat d’affaires ; Steve Stride, alors dirigeant à Aston Villa ; et Alan Turvey, président de la Ryman League – championnats de D7 et D8, le seul qui vota contre la délocalisation.

[2] Quatre documents utiles pour mieux comprendre ce dossier :

clip : The rise and fall of Wimbledon FC

– clip : The birth of AFC Wimbledon

–  cet article Teenage Kicks

–  cet article paru en octobre 2011 sur l’excellent site Moustache FC

[3] Le plus grand giant-killing de l’histoire de la FA Cup étant l’élimination de Newcastle par Hereford (D5) en février 1972 – 16è de finales – et le mythique but de Ronnie Radford, une mine de 35 mètres dans la lucarne gauche des Mags, à voir absolument, clip (ne serait-ce que pour l’état du terrain et la réaction du public).

[4] Ce promoteur immobilier empocha 17M £ en vendant Crystal Palace en 1998 et se spécialisa dans « l’achat-vente » de stades, dans des conditions souvent opaques et très controversées. En 1998, il s’auto-nomma même manager de Brentford – D3 – avant de menacer de vendre le stade des Bees et de déménager le club à 30 kms de là. Un Supporters’ trust dut se constituer pour lui racheter le club.