Posts tagged ‘Top XI stades britanniques’

Non, pas le Top XI auquel vous pensez. Parce qu’il n’y a pas que des Anfield, Goodison Park, Old Trafford, Parkhead, Villa Park et autre Craven Cottage pour garnir le Panthéon des stades remarquables du football britannique. Il y a aussi l’extraordinaire Kenilworth Road, le perma-inondé Claggan Park, l’excentrique Brisbane Road, le regretté Millmoor, feu le gueux Eastville et tant d’autres, vénérables ou insignifiants, pouilleux ou proprets, vivants ou disparus. Ce Top XI, écrit dans une chambre de bonne élitiste sans prendre l’ombre d’un risque, est donc un éloge aux crasseux, aux sans-grades, aux sans-gradins, aux populaires, aux octogénaires, aux oubliés et aux mal rasés démolis.

La passion des Anglais pour leurs stades n’a sans doute pas d’équivalent au monde. Peut-être la nécessité a-t-elle forgé cet amour, les supporters anglais suivant souvent leur club à l’extérieur par centaines ou milliers, qu’il soit en Premier League ou en League Two (D4), par un beau samedi après-midi d’été ou un mercredi soir de décembre.

Toutefois, si on célèbre volontiers les monuments du genre, on ne s’attarde jamais sur les stades situés dans un environnement particulier, charmant ou ingrat. Une grave lacune que Teenage Kicks tenait à combler. Du spécimen lové dans un écrin de beauté à la verrue urbaine purulente qui périt étouffée par sa propre pestilence, en passant par le dernier des Mohicans (stade de centre-ville), TK vous embarque pour un tour d’horizon des cadres de vie footballistiques.

[Cliquer sur les photos peut rapporter gros]

# 1. Eastville (Bristol Rovers – 1897-1998)

L’ancien antre des Gasheads de Bristol Rovers (jusqu’en 1986) était coincé entre une énorme usine à gaz (Stapleton Gasworks) et une autoroute surélevée (la M32) qui passait à 30 mètres au-dessus d’une tribune latérale ! Evidemment, l’endroit puait le gaz, d’où le surnom du club, The Gas ou Gasheads (au départ une insulte du rival Bristol City récupérée par Rovers).

Ce stade, avec sa tribune principale caverneuse et une bizarroïde tour de contrôle aux airs d’oeil de cyclope star trekien (le box de presse ? Une chambre de bonne ?), était un couteau suisse malformé et hyperactif. Eastville, qui pouvait accueillir 40 000 spectateurs dans les Sixties, servait à tout : cricket, rounders (sport anglais de type base-ball), courses de lévriers, speedway (moto), concerts, football américain, foires et même vide-greniers géants le dimanche ! On vous laisse imaginer l’état de la pelouse. Pour couronner le tout, Eastville se situait aussi au bord de la rivière Frome, qui inondait régulièrement le stade. Faut dire que ce stade se trouvait sur une zone marécageuse…

En août 1980, un incendie endommagea sérieusement une tribune et les Pirates (leur autre surnom) durent s’exiler à Bath. En 1998, Eastville fut démoli et le terrain racheté 2M £ par une chaîne d’hypers pour être finalement revendu à IKEA. Que nos lecteurs bristolliens (si, si, on en a) aient une pensée pour Eastville la prochaine fois qu’ils iront acheter un Klingkšbὅj ou une Applångsö pliante.

L’hiver dernier, l’un de nos plus braves reporters avait fait le déplacement chez les Gasheads. Voir également cet émouvant hommage à Eastville.

# 2. Springfield Park (Wigan Athletic – 1897-1999)

Stade des Latics de 1901 à 1999. Démoli été 1999, il était temps, il se démolissait tout seul.

Quand Roberto Martinez débarque au club comme milieu de terrain l’été 1995, Wigan vient de finir 14è de D4 et se prend régulièrement des tannées contre des clubs de bourgade et évolue devant des chambrées de 1 500 personnes dans un stade à peine digne du foot amateur, le notoirement révoltant Springfield Park (voir cet article TK, le tour du propriétaire ne manque pas de piquant). Voilà ce que Barry Worthington, historien du club, dit de « Springy Park » dans le Four Four Two # 200 :

« Springfield Park, en 1978, est un cloaque infâme. Les toilettes, c’est un long mur avec un trou, pour trente personnes. Un ruisseau de matières et d’eau dégueulasses coule en permanence. On baigne dans tellement de pisse qu’il faut remonter son pantalon jusqu’aux genoux avant d’uriner. Quant à la « tribune de presse », elle consiste en une cabane exiguë avec une vitre en plexiglas, pas nettoyée depuis cinquante ans et tellement opacifiée par les excréments d’oiseaux que les journalistes se plaignent de ne rien voir du match. Si bien que souvent, les deux ou trois reporters présents se partagent le boulot : l’un reste au micro, et l’autre est à l’extérieur de la cabane et relaie l’action et les incidents au premier avec le moins de différé possible. »

# 3. Saint James’ Park (Newcastle United – inauguré en 1892)

Situé dans l’hypercentre de l’élégante cité Geordie, l’un des tous derniers stades british de centre-ville. SJP jouxte l’agréable Leazes’ Park et quelques bâtiments classés (d’architecture georgienne) presque collés à la petite tribune Est, au premier plan sur la photo (d’où l’impossibilité d’agrandissement, par l’est en tout cas ; la seule possibilité serait de rehausser le Kop des Magpies, la fameuse tribune Gallowgate, à gauche. Mais NUFC la remplirait-elle ?).

Pour certains esprits malfaisants qui, prétend la rumeur, ont tenté par le passé de contaminer ce blog férocement impartial et donner une version calomnieuse de la réalité, Saint James’ ne serait qu’un banal abri pour vulgum pecus désoeuvrés. Une telle position est désolante et croyez-bien, dear readers, que nous ne saurions tolérer ici de telles dérives branquignolesquement partisanes. Qu’on se le dise haut et fort, SJP est un bijou de 52 400 places, redéveloppé au cours des années 1980 et surtout post 1990 sous la tutelle de John Hall et Freddy Shepherd (les anciens propriétaires), qui le firent passer progressivement de 30 000 à 36 000 places avant l’Euro 1996, puis à 52 000 en 2000. Le plus haut toit en cantilever* d’Europe (64 mètres) y fut construit en 1998. On est loin du SJP des débuts, voir ce fascinant clip de 1901.

Il n’en reste pas moins, en toute objectivité, qu’il est fort dommage de voir SJP occupé par un petit club sans grande envergure, dixit Sir Alex Ferguson lors de cette conf’ de presse. Et si Siralex le dit, ça doit être vrai. Voici à quoi ressemblait SJP il n’y a pas si longtemps (1990) :

(*Définition wiki : structure qui s’élance dans le vide en ne reposant que sur un point d’appui)

# 4. Dripping Pan (Lewes FC – inauguré en 1885)

Le petit stade (3 000 places) de Lewes FC (D7) près de Brighton est connu en Angleterre pour les deux raisons suivantes :

a) Son blaze comique : dripping pan = lèchefrite, récipient pour récupérer la graisse/le jus. Evidemment, ce Dripping Pan n’a rien à voir avec du jus gras. Quoique… Certains sites expliquent l’origine incertaine du nom en évoquant une prostituée nommée Pam qui tapinait à cet emplacement et dégoulinait de partout le matin venu. Charming. Selon les historiens du club, il semble cependant plus probable que le nom provienne de la fabrication du sel à cet endroit au moyen-âge. A choisir, on préfère la version de la pute.

b) Sa superbe position géographique, avec en arrière-plan les collines de craie du Sussex. Le Dripping Pan est également construit dans une cuvette et des buttes de gazon ceinturent le terrain.

Le club de Lewes est également célèbre pour ses affiches de match génialement décalées (ici aussi).

Le Kop du Drippin Pan est chichement garni mais qu'il est chaud ! (un fumi ou la fumée des saucisses de la buvette rougie par des spots ?)

Le Kop du Dripping Pan est chichement garni mais qu'il est chaud ! (un fumi ou la fumée des saucisses de la buvette rougie par un spot ?)

# 5. Millmoor (Rotherham United, 1907-2008)

Madmax meets Detroit… De loin les alentours de stade les moins glamours du pays, l’ensemble est ci-dessus immortalisé par English Heritage (!), l’un des deux organismes –  avec le National Trust – en charge du patrimoine anglais. Et Millmoor était effectivement un sacré morceau de patrimoine !

Ceinturant la moitié de l’enceinte, une gigantesque casse auto et métaux. A l’arrière plan, un vaste terrain vague bétonné délimité par une ligne de chemin de fer servant au fret. L’accès au stade se faisait par deux longues rues quasi désertes avec usines désaffectées, entrepôts, pubs abandonnés et maisons barricadées de chaque côté. En cela, Millmoor rappelait l’ancien Den (antre de Millwall de 1910 à 1993), en encore plus lugubre.

Depuis l’été 2012, les Millers de Rotherham United (D3) jouent dans cette enceinte moderne beaucoup moins fun :

Sacré contraste !

# 6. Bank Street (Manchester United – 1893-1910)

Quartier de Clayton, 1900 (le stade est indiqué en rouge, en bas à droite)

En août 1893, Man United (alors appelé Newton Heath) emménagea dans ce stade qui sera porté à 50 000 places avant sa démolition en 1910.

Sur la photo, Bank Street est environné par les usines du Albion Chemical Works qui vomissaient sans discontinuer leurs épaisses fumées, tandis que l’odeur pestilentielle faisait cracher aux joueurs et spectateurs ce qui leur restait de poumon.

Voici un extrait d’un compte-rendu de match de FA Cup contre Portsmouth, paru dans le Guardian en 1901 et qui illustre le fait qu’à l’époque « enfiler le bleu de chauffe » n’était pas qu’une expression imagée :

« Pendant le match, le plus dur pour les joueurs fut de lutter contre les fumées émises par la trentaine de cheminées et l’odeur âcre qui s’en dégageait, sans parler des chaudières industrielles derrière les buts déversant par à-coups d’énormes grappes de vapeur sur le stade. » (rapporté par Simon Inglis dans son livre Football Grounds of Britain).

Le terrain était également folklorique, tellement marécageux que bon nombre de résultats furent contestés après coup, les adversaires invoquant l’état de la « pelouse », décrite par certains comme « une terne étendue de sable mouillé, laissant entr’apercevoir ici ou là quelques touffes de gazon ».

Un club, les Walsall Town Swifts, en découvrant pour la première fois cet ersatz de surface, refusèrent même de jouer. Pour les convaincre, les groundsmen durent étaler une énième couche de sable sur l’espèce de chaux qui recouvrait le terrain. Walsall ira jusqu’à se plaindre à la Football League d’avoir joué sur un toxic waste dump (décharge de produits toxiques). Walsall réussira même à faire annuler le résultat du match, peu en leur faveur il faut dire : 14-0 (le match sera rejoué, et les Martinets des Midlands ne se prendront que 9-0).

# 7. Kenilworth Road (Luton Town – inauguré en 1905)

En symbiose parfaite avec l’habitat local. Difficile en effet de faire plus britannique que l’antre de Luton Town (D5 aujourd’hui mais ancien caïd de D1, de 1982 à 1992) : Kenilworth n’est pas seulement inséré parmi les maisons de briques rouges comme on écrit des stades britons dans les bonnes gazettes, il se tape carrément l’incruste chez l’habitant. Pour illustration, ci-dessous l’extraordinaire entrée Visiteurs de la tribune Oak Stand, encastrée entre deux terraced houses ! (ici également). A la place du salon et canapé, des tourniquets et un tunnel, original.

Et si vous rêvez d’une maison avec stade dans le jardin, achetez autour de Kenilworth. L’arrière du stade :

# 8. Claggan Park (Fort William FC, ouest des Highlands – in. en 1985)

L’antre du club de Fort William FC dans les Highlands écossaises. Le stade se trouve au pied du Shoulder, une imposante colline dominée par Ben Nevis, le point culminant du Royaume-Uni (1 344 mètres). Tout cela est fort pittoresque mais quand on décida de construire un stade de 4 000 places à cet endroit, on négligea visiblement un petit élément d’ordre topo-hydrographique : on est dans les Western Highlands et le stade se trouve en bas de la colline. Ergo, ça flotte pas mal – 3 fois plus que dans le Finistère – et les ruisseaux irriguent en permanence le pauvre Claggan Park qui sature autant que la fille de joie du Dripping Pan.

Résultat : le terrain est constamment inondé et Fort William explose régulièrement le record national de report de matchs (ainsi que de défaites, 30 sur 34 matchs la saison passée en Highland Football League, – 106 de goal average). C’est simple, de novembre à avril, le terrain est impraticable, pour cause de mousson septentrionale. Bon an (3 000 mm de pluie), mal an (4 500 mm), on dispute les 17 matchs à domicile sur 3 ou 4 mois, qui ne se suivent pas forcément… Bah, au lieu de bourriner sur un terrain marécageux et en pente, on se console en allant au pub, ça descend tout autant.

# 9. Bayview Stadium (East Fife, Ecosse – inauguré en 1998)

Stade d’East Fife (D3), à 60 kms au nord d’Edimbourg. Une seule tribune, de 2 000 places. En arrière plan, la charmante centrale de charbon de Methil, malheureusement (pour TK) démantelée en avril 2011. Et derrière la centrale, la bise glaciale de la Mer du Nord où le terrible haar (brouillard écossais du littoral) aime sévir.

Selon un site internet assez obscur dont j’ai oublié le nom, Bayview Stadium aurait été élu « pire stade de Grande-Bretagne » par le passé. Une récompense bien méritée en tout cas. Kick-off, le blog foot britannique de l’Equipe, parlait de ce stade ici.

# 10. Brisbane Road (Leyton Orient – inauguré en 1937)

En 1995, quand un certain Barry Hearn rachète Leyton Orient pour l’excentrique somme de 2,47 £, le club est financièrement exsangue. Quelques années plus tard, l’original Hearn a une idée lumineuse pour renflouer les caisses : il vend les quatre virages à un constructeur. Inutile de préciser que les apparts avec balcon sont très convoités les jours de match ! Et cette saison, y’a du monde aux balcons : Leyton Orient est premier de D3 avec 38 points sur 45 possibles.

# 11. Stadium mk (Milton Keynes Dons – on se fout de sa date d’inauguration)

Stade des faux Dons, imposteurs connus aussi sous le nom de Franchise FC. Ces usurpateurs d’identité évoluent en D3 paraît-il. Mais Dieu qu’il était beau ce stade à l’état de bac à sable géant… L’aurait dû rester comme ça tiens, histoire de distraire les marmots du coin qui n’ont que des vaches en béton (la triste spécialité locale) pour s’amuser. Bien fait pour eux, sales mômes.

Allez, pour la route, un deuxième mini Top 10 :

1. Caledonian Stadium (Inverness Caledonian Thistle, D1 écossaise, nord des Highlands)

« Caley » est surtout connu en Angleterre pour deux choses :

a) son manager depuis janvier 2009, le bien nommé Terry Butcher (enfin, plus pour longtemps, il devrait filer à Hibernian d’ici vendredi)

b) le joli jeu du mot du Sun (qui doit employer une armée de calembouristes) en février 2000 pour une superbe victoire 3-1 de Caley à Parkhead en Coupe d’Ecosse : « Super Caley Go Ballistic Celtic Are Atrocious » (= Caley Cartonne, le Celtic est Nul), directement inspiré bien sûr de la célèbre chanson de Mary Poppins supercalifragilisticexpialidocious. Une défaite qui contribua au limogeage de John Barnes, alors manager.

En fait, point de trait de génie de la part du Sun… Le célèbre torchon avait tout simplement pompé sur le Liverpool Echo qui titra ainsi une belle victoire de Liverpool sur QPR en décembre 1976 où Ian Callaghan (surnommé « Cally ») fut élu Homme du Match : Super Cally Goes Ballistic, QPR Atrocious.

2. Waterside Stadium (Walton Casuals, D8, sud londonien)

Sandwiché bien au chaud entre l’usine à gaz de Sunbury Lock, un terminal pétrolier de BP Amoco et une station d’épuration des eaux. Avec une rivière et quelques arbres au milieu de tout ça quand même, faut bien s’oxygéner un peu de temps en temps.

3. Griffin Park (Brentford FC, D3, ouest londonien)

Rien de notable dans le paysage urbain de ce coin de l’ouest londonien mais Griffin Park compte un pub à chaque coin du pâté de maisons. Et ça vaut bien tous les cadres de vie au monde (cliquez sur la pinte à gauche pour boire un clip rafraîchissant).

4. The Recreation Ground (Aldershot Town, D5, sud de l’Angleterre)

Rien de bien récréatif dans ce stade de 7 000 places dominé par un bâtiment d’une laideur absolue.

5. Gayfield Park, stade du Arbroath FC (D3 écossaise)

La mer, qu’on voit danser le long des golfes clairs, tralalitralala, à imaginer au son de la cornemuse bien sûr. Les jours de grande marée, les centres au troisième poteau atterrissent direct dans la North Sea.

6. Mill Road (Arundel FC, D9, sud de l’Angleterre)

Arundel Castle en arrière-plan, superbe. Côté spectacle, on sait au moins où regarder.

7. Loop Meadow Stadium (Didcot Town FC, D7, près de Birmingham)

Très bucolique, au pied des tours de refroidissement. Cela dit, les spectateurs doivent kiffer car c’est probablement ce que Birmingham a de plus beau à offrir.

8 & 9. Tannadice (Dundee United, D1 écossaise) et Dens Park (Dundee FC, D2)

Rivalité dans un mouchoir de poche : 103 mètres séparent les Arabs (United) des Dees (FC).

10 & 11. Meadow Lane (Notts County, D3) et City Ground (Nottingham Forest, D2)

300 mètres (avec la rivière Trent) séparent les Magpies de Forest.

Kevin Quigagne.

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