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Il y a vingt ans, le 20 février 1992, la dernière pierre de la création du championnat de Premier League était enfin posée. Cet aboutissement mettait fin à douze ans d’un combat sans merci entre les clubs majeurs et les instances, le tout sur fond de déliquescence – puis résurrection – du football anglais.

Pour l’intro, voir première partie. Troisième et avant-dernière partie aujourd’hui : de Hillsborough au printemps 1991.

[abréviations : FA = Football Association ; FL = Football League].

15 avril 1989, Hillsborough comme déclencheur

Souvent citée (à tort) dans les médias foot français comme le principal facteur de la création de la Premier League, la tragédie d’Hillsborough (96 morts, 766 blessés – voir document et clip) va néanmoins accélérer le processus de sécession de la D1. La version finale du rapport Taylor, ordonné par le gouvernement Thatcher, est publiée en janvier 1990. Depuis 1924 et le Shortt Report sur la finale de FA Cup 1923 (premier match disputé à Wembley, 1 000 blessés), c’est le neuvième rapport sur la sécurité dans les stades britanniques, sans qu’aucune leçon du passé n’ait été retenue. Le dernier datait de 1986 et portait sur la tragédie de Valley Parade (voir deuxième partie).

Entre autres obligations, le rapport Taylor stipule que tous les stades des clubs de D1 et D2 soient convertis en all-seaters avant le début de la saison 1994-95. Le coût des travaux est estimé à 450M de £ (la facture totale dépassera largement le milliard). Beaucoup de clubs doivent emprunter lourdement. Toutefois, une partie du coût global sera supporté par les gouvernements successifs et feu le Football Trust, organisme partiellement financé par les trois principales sociétés de loto sportif d’alors (Littlewoods, Vernons et Zetters, ces historiques « football pools » qui ont versé plus d’un milliard de £ en dons caritatifs pour le sport depuis leur apparition dans les années 20 – elles oeuvrent aujourd’hui ensemble, voir ici).

Le rapport spécifie une recommandation en contrepartie de ces aides : que les clubs maintiennent les billets « à un prix raisonnable ». Lord Taylor cite la somme de 6 £ comme minimum idéal. Un billet dans le Kop d’Anfield coûte alors 4 £  – 45 £ aujourd’hui –  et l’abonnement le moins cher y est à 60 £, contre 730 £ aujourd’hui (l’abonnement meilleur marché coûte 96 £ à Old Trafford en 1990 – 532 £ cette saison).

Quelques années plus tard, Lord Taylor assistera impuissant à la flambée des prix. En 1990, personne n’imagine la magnitude de la révolution qui va métamorphoser le football anglais et multiplier les prix par dix en vingt ans (ici) et les budgets de clubs par vingt-cinq ou trente. Personne ? Sauf feu la Football Supporters’ Association (remplacée en 2002 par la FSF) qui prévient que les clubs en profiteront pour « tirer les prix vers le haut ».

Le football, alors accessible à tous (mais excluant en pratique des catégories qui ne veulent pas ou plus se rendre au stade) va glisser sur le terrain du produit de luxe dans nombre de clubs. Ces derniers souhaitent attirer un nouveau type de public au stade. Les plus courtisés sont les familles et les segmentés « B » et « C1 » si chers aux sociologues britanniques depuis les années 60 : les middle and lower-middle classes.

Le football entre de plain-pied dans la logique de marché et le consumérisme. Hormis la working-class, les principales victimes de ce virage socio-économique à 180 degrés sont les 16-20 ans. Ces jeunes doivent désormais s’acquitter du tarif plein et leur proportion dans les stades va considérablement baisser (on estime qu’elle a été divisée par trois depuis 1990 sur l’ensemble des stades de l’élite).

1990-1991 : l’espoir, enfin

En 1990, un vent de renouveau souffle sur le football anglais qui change enfin de peau. Les fanzines poussent comme des champignons (passés de 20 à 200 en deux ans) et donnent la voix aux supporters ; plus de la moitié des 92 clubs professionnels sont désormais dotés de Community Schemes, l’une des initiatives post-Heysel (pour combattre la violence) et recommandation reprise par le rapport Taylor (pour tisser des liens avec les communautés) ; le hooliganisme a fortement régressé, tout au moins dans les stades (les méthodes policières d’infiltration des firms et les sanctions pénales musclées ont fini par porter leurs fruits, grâce notamment aux lois Public Order Act 1986 – introduction des fameux FBO’s, Football Banning Orders, interdictions de stade – et Football Spectators Act 1989).

Par ailleurs, le succès de la sélection nationale au Mondial italien réconcilie l’Angleterre avec son football. Les clubs anglais réintègrent l’Europe (sauf Liverpool), tandis qu’au sortir de la Coupe du Monde 1990 Gazza fait le clown à l’aéroport de Luton devant 100 000 supporters (300 000 selon The Independent). Cette année-là, la TV satellite diffuse son premier match. Pour la première fois depuis des lustres, le feelgood factor est de retour dans le foot anglais.

1990-1991 : la fédération met la Football League KO

Août 1990, lors d’un meeting extraordinaire de la FL qui réunit tous les acteurs du dossier, les dissensions FL-FA éclatent au grand jour. Bill Fox, ancien militaire bombardé président de la FL, menace de se désaffilier de la fédération. Le rapport Taylor figure à l’ordre du jour et  les clubs s’alarment du coût astronomique de la transformation des stades. Le Big Five en profite pour se rapprocher de la FA. A cette époque, la FA ne voit plus le Club des Cinq comme un groupe d’hommes en guerre contre les autorités et avec pour seule motivation l’appât du gain, mais comme un collectif solide qui a mûri son projet.

Décembre 1990, Bill Fox, président de la Football League, aux fondateurs de la Premier League : « Vous faites une belle connerie en créant cette Super League, croyez-moi. »

En décembre 1990, Le Big Five a considérablement professionnalisé ses méthodes. Il est alors co-chapeauté par Philip Carter et David Dein et vient d’enrôler l’efficace consultant en management Rick Parry (qui deviendra chief exec de la PL puis de Liverpool de 1998 à 2009). Ce dernier, recruté par la FA (un agneau face à de redoutables businessmen), jouera d’abord le rôle d’intermédiaire entre les clubs et la fédération puis celui de coordinateur une fois la PL officiellement constituée (juillet 1991). Le Big Five présente à la FA un business plan qui tient la route.

Une série de réunions entre le Big Five et les dirigeants de la FA scelle un pacte de coopération pour la création d’une division d’élite. Bill Fox, président de la FL, leur lance : « Vous faites une belle connerie en créant cette Super League, croyez-moi. » Fox décédera en décembre 1991 et ne verra donc jamais prospérer cette PL qu’il détestait tant.

La FL contre-attaque aussitôt en publiant un projet de refonte totale des instances. Le titre est des plus fédérateur et ambitieux : One Game, One Team, One Voice – Managing Football’s Future. La FL propose tout bonnement de fusionner les deux instances et pense avoir trouvé la formule magique, à savoir offrir de belles prérogatives à la FA tout en renforçant la position des clubs de D1. Ces derniers se voient même promettre 75 % des revenus TV dans un deal de dernière minute.

la FL mal en point fête son centenaire

1988 : la FL mal en point fête son centenaire

Loin de se laisser séduire, la FA apprécie peu que la FL publie un « plan de sauvetage » du football anglais alors que la fédération se considère comme le seul organisme habilité à produire un tel document. Printemps 1991, en guise de riposte, la FA articule elle-même ses 88 propositions pour l’avenir dans un pavé de 120 pages resté célèbre : The Blueprint for the future of football (voir ici). La FA a choisi son camp et veut voir surgir du marasme une Super League prospère dont le succès, espère-t-elle, rejaillira sur l’équipe nationale. En définitive, la FA réitère sa volonté de demeurer Number One et fait bien comprendre à la FL que l’heure n’est pas au partage.

La FL accuse le coup. Surtout que quelques mois auparavant, elle a publié ses comptes pour l’année 1990 et ils sont mauvais. Chiffre d’affaires : 29.4M, dont 14M de revenus TV et autres médias. Profit : 4 850 £… Investissements : 981 £… La FL, affaiblie et quelque peu discréditée, met un genou à terre.

A suivre…

Kevin Quigagne.