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Le costume, marque d’élégance et de pouvoir, a-t-il une quelconque influence sur les joueurs d’une équipe dirigée par un entraineur qui en porte un ?

Il y a plus de trois ans, quelques lignes de la défunte gazette du TK (1) évoquaient, sur un ton potache, le rapport qu’entretenait le manager anglais avec le costume. Si l’on creuse un peu la réflexion, qu’en est-il de ce choix vestimentaire ? Que veut-il dire et quel effet produit-il ?

Avant toute chose, retraçons l’origine du costume-cravate tel qu’il est porté aujourd’hui, grâce au livre sinon exhaustif, du moins très complet de François Boucher, Histoire du costume en Occident. « Sans avoir subi de très grandes transformations, le costume masculin s’est pourtant rapproché, sous le Second Empire, de ce qu’il restera désormais. (…) C’est à la fin du règne qu’apparaît le complet – veston, pantalon et gilet de même tissu – mais cet ensemble restera lui aussi, jusqu’aux dernières années du siècle, considéré comme négligé, c’est-à-dire mettable seulement pour les sorties du matin, la campagne ou le voyage.

« L’éclat du régime relance le souci du costume, aussi bien à la cour qu’à la ville, par des détails changeants qui distinguent l’homme du monde : col de velours, basques allongées ou raccourcies, revers de soie, cravate étroite ou nœud assez large, faux-col soit évasé, soit droit et ride, soit encore rabattu.

« Les changements qui surviendront par la suite dans le costume masculin ne porteront que sur des détails de forme et de couleur : l’emploi de certaines parties de cet habillement se modifiera lui aussi, mais l’essentiel n’en sera pas sensiblement affecté.

« (…) L’un des changements les plus notables après 1850 a été le remplacement de l’habit de couleur par l’habit noir, porté avec des pantalons à carreaux moulant étroitement la jambe. (…) Quant à la cravate, sous les noms de régate ou plastron, elle se maintient dans les tons effacés et ne conserve qu’une place discrète, pâle souvenir de son rang d’autrefois. » (2)

« L’essentiel du costume masculin étant fixé depuis le début du XIXème siècle, seul le détail des formes évolue, sans qu’il soit possible d’étudier ses fluctuations autrement que par l’image. (…)

« Le veston devient d’un usage plus fréquent après 1870 et le complet – veston, gilet et pantalon de même tissu – entre en faveur après 1875, sans être toutefois considéré comme vêtement paré ; la jaquette et surtout la redingote sont seules admises pour les visites ou cérémonies de la journée.

« (…) C’est à Monte-Carlo que serait apparu, vers 1880, le dinner-jacket, dit smoking, adopté par les joueurs qui trouvaient fatiguant de rester toute la soirée en habit. Jusqu’à la mort du roi Edouard VII en 1910, il n’était pas admis en public : on le portait surtout à la campagne et dans les réunions d’hommes ; l’habit restait la tenue obligatoire en soirée ou au théâtre. » (3)

« Si nous survolons l’évolution du costume entre 1960 et 1980, la première impression est celle d’un appauvrissement. Les tenues d’apparat sont de moins en moins revêtues ; l’habit noir porté avec la chemise blanche et le col empesé n’apparait plus guère que dans les grandes cérémonies. (…) La cravate, bien que n’étant plus de rigueur avec les chemises polo, tend à devenir le symbole de la tenue de bureau contraignante, et est de plus en plus abandonnée aux heures de loisir. » (4)

Ainsi, si la symbolique du costume-cravate (distinction et domination) demeure aujourd’hui, celui-ci n’est toutefois réservé qu’aux fêtes cérémonieuses et aux grandes responsabilités. Une large majorité des managers de Premier League, quand bien même leur pouvoir s’est accru au fil des décennies, pourraient donc très bien s’en passer les jours de matchs et opter pour des vêtements plus souples et plus larges, dans lesquels ils pourraient davantage respirer.

Il se trouve cependant qu’une étude valide leur choix. Des scientifiques du sport de l’Université de Portsmouth ont étudié l’effet que peut avoir l’apparence de l’entraineur sur ses joueurs. Ils ont remarqué que les managers qui portent des costumes les jours de matchs et des survêtements les jours d’entrainement  sont les plus enclins à tirer le meilleur de leur équipe. Dr Richard Thelwell, responsable de l’étude (5) « Nous nous sommes aperçus que le vêtement porté par l’entraineur peut avoir un effet direct sur la perception de ses compétences par les joueurs. Un entraineur en costume laisse supposer une grande habileté, ce qui est, de toute évidence, idéal pour un match. Dans notre étude, les entraineurs portant un costume étaient perçus comme étant plus compétents sur le plan stratégique que ceux portant une tenue sportive, mais moins compétents sur le plan technique que ces derniers. » Ce qui viendrait justifier la tenue sportive des entraineurs adjoints, juste milieu entre le costume du manager et le maillot du joueur. On aurait donc, sur un même banc, le cerveau stratégique et les petites mains techniques.

Car, au fond, le costume-cravate n’est-il pas l’avatar moderne du sceptre royal ? Il représente la fonction si ce n’est suprême, du moins supérieur. Et le pouvoir doit impressionner, se faire admirer. Il use donc de stratagèmes, vestimentaires inclus, pour toucher les consciences. La hiérarchie d’un club de football ne contredit pas ce système.

Même s’il semble que, concernant certains managers, le costume ne fasse pas illusion de leur incompétence très longtemps. Peut-être un problème de coupe.

Tandis que, dans d’autres cas, nul besoin de porter la cravate pour se révéler être un brillant tacticien.

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(1) Leurs auteurs sont toujours les bienvenus parmi nous.

(2) p.367

(3) p.393

(4) p. 416

(5) Parue dans la revue International Journal of Sport Psychology, et qui a ciblé 97 hommes et femmes à qui on a demandé d’observer et de donner leur avis sur des images de quatre entraineurs différents.

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BONUS

Huit costumes différents, huit managers de Premier League. Retrouvez Martin Jol (Fulham), Alan Pardew (Newcastle), Mark Hugues (QPR), Alex Ferguson (MU), Steve Kean (Blackburn), Alex McLeish (Aston Villa), Andre Villas-Boas (Chelsea) et Roberto Martinez (Wigan) et inscrivez vos résultats en commentaires.

(Première ligne : 1-2-3 ; Deuxième ligne : 4-5-6 ; Troisième ligne : 7-8) (cliquez sur l’image pour agrandir)

6.

Bring on Spurs! L’opprobre relatif d’une tardive tête égalisatrice de Ronald Zubar ne ternit pas la trépidante prestation des Canaries chez les Wolves, mardi, en ouverture de la 17ème journée de Premier League. Norwich boucle ainsi deux matches consécutifs à l’extérieur sans dommage, un nul à chaque fois. Avec un petit supplément de rigueur défensive, la victoire était envisageable mais la clean sheet n’est pas le fort de l’équipe cette année. Ces résultats assoient confortablement le club dans la première moitié du classement du championnat, ce qui, au risque d’être redondant, relève du miracle. Grant Holt (en League One il y a deux saisons) enfile les buts ; les Irlandais Wes Hoolahan, Marc Tierney et Anthony Pilkington (également issus de League One) sont, dit-on, suivis de près par Trapattoni en vue de l’Euro 2012; l’entraineur Paul Lambert loue chaque semaine les vertus de ses joueurs qui le lui rendent bien ; le club, aux finances équilibrées, se lance dans une ambitieuse politique de formation.

Place donc à Tottenham, plat de résistance pour Norwich de l’orgie païenne à laquelle se livre l’élite du football anglais à cette période de l’année. Les tribunes seront pleines, pré-réservées par les 25,000 abonnés de Carrow Road… dont la capacité est de 27,000 spectateurs (dont 10 pour cent de supporters adverses). L’hypothétique reliquat sera partagé entre les 5,000 super members, non abonnés mais prioritaires à l’achat, moyennant £20 par an. La liesse des gradins ne sera pas feinte. Tout juste flotte-t-il dans l’air l’angoisse sourde d’un départ anticipé de Paul Lambert, dont l’avenir, radieux de l’avis de tous, ne s’écrit probablement pas à Norwich. Il est question d’Aston Villa ou de Liverpool, ou de tout autre club plus prestigieux que Norwich dont l’entraineur ne satisfait pas ses employeurs. Garder Paul Lambert le plus longtemps possible, telle est la prière secrète de tout Canary à l’approche de la nouvelle année.

Rien ne semble pouvoir contester à Carrow Road le statut de best show in town en cette période de fêtes. Surtout pas Sleeping Beauty, pantomime* laide (pléonasme) que propose actuellement le Royal Theatre de Norwich et dont les affiches défigurent la totalité des bus locaux. Il est difficile, en déambulant dans la ville, d’identifier d’autres sources d’enchantement collectif que les Canaries. Lorsqu’elles n’annoncent pas en caractères gras la dernière déclaration un peu fade de Paul Lambert, les gazettes du coin se réjouissent de l’ouverture d’un centre commercial créant pour l’occasion 300 nouveaux emplois – bienvenus dans une municipalité dont le taux de chômage est supérieur à la moyenne nationale et où près d’un enfant sur deux vit dans une famille pauvre. La frénésie d’achat qui règne en centre-ville et les efforts décoratifs des habitants sont d’aussi mauvais goût et déprimants à Norwich qu’ailleurs. L’animation nocturne de la rue Prince of Wales est la même que dans chaque centre urbain d’Angleterre. Comme ailleurs, seules des beer jackets protègent la nuit les midinettes trop fardées du froid de l’hiver, lesquelles ne manqueront pas, au petit matin, telles de petits poucets modernes, de déposer sur leur chemin de retour d’élégantes pavement pizzas. Peut-être juste un peu plus vertes et jaunes qu’ailleurs.

* Le lecteur souhaitant connaitre plus avant la curieuse tradition britannique du panto – dont l’un des ressorts majeurs est que des hommes s’y griment en femmes – est invité à visionner le formidable et grinçant épisode d’Extras qui en dévoile l’insondable tristesse.

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Episode 1
Episode 2
Episode 3
Episode 4
Episode 5

5.

Depuis leur convaincant match nul à Anfield, les Canaries souffrent. Erreurs défensives, calendrier périlleux et Van Persie sont leurs tourments récents. Pas de quoi assombrir l’humeur des supporters cependant, que le maintien en Premier League comblerait et qui parviennent à rentrer guillerets d’une défaite à domicile face à Arsenal. Pas de quoi non plus pousser le coach, Paul Lambert, à reconsidérer sa philosophie de jeu généreusement offensive, bien que fermement pragmatique. Le NCFC quitte rarement une pelouse sans avoir marqué au moins une fois.

A Norwich, cette saison, l’objectif du maintien n’implique pas de tâcheronner défensivement à dix dans une moitié de terrain pendant 90 minutes en couvant le mince espoir d’une faille soudaine de l’adversaire. Honorons ici Paul Lambert, architecte serein d’un séduisant projet, couronné de deux montées en division supérieure en deux ans, un truc pas vu dans le foot anglais depuis dix ans. Au point que les plus audacieux des commentateurs comparent l’itinéraire de l’Ecossais Paul Lambert à celui de son prestigieux compatriote Ferguson avec Aberdeen.

La saison 2009-2010 de League One, la troisième division anglaise, commence de la pire des manières pour des Canaries mal à l’aise dans leurs habits de big fish in a small pond et ensuqués dans la torpeur des défaites récurrentes. Lors de la première journée, Colchester United, autre club d’East Anglia, juste supplanté par Ipswich dans la subtile hiérarchie des haines supportériales norwichiennes, inflige au NCFC sa pire défaite à Carrow Rd, 7-1. L’humiliation vaut à l’entraineur et ex-gardien de but adulé du club, Bryan Gunn, d’être promptement viré. Le successeur de Bryan Gunn est son bourreau du soir, son homologue de Colchester, Paul Lambert, 40 ans*.

Lorsqu’il signe à Norwich , Paul Lambert n’a que quelques années de pratique d’entraineur derrière lui. A Colchester, donc ; chez les Wycombe Wanderers (League Two) auparavant et à Livingston (Premier League écossaise) un peu plus tôt, comme entraineur puis joueur, à la suite d’une avalanche de blessures dans l’effectif. Le court séjour de Lambert chez le chroniquement instable Livingston échoue misérablement: deux victoires en six mois et un licenciement à la clé. Ses expériences subséquentes sont nettement plus encourageantes: une qualification en play-offs de League Two et une demi-finale de Carling Cup avec les Wycombe Wanderers (la première en 30 ans pour un club de ce niveau), une ascension relative des bas fonds vers le ventre mou de la League One à Colchester.

Paul Lambert s’est plutôt bien débrouillé aussi dans sa carrière antérieure de joueur, débutée et terminée en Ecosse, et ponctuée de 40 sélections en équipe nationale, d’un glorieux titre en Ligue des Champions avec le Borussia Dortmund en 1997 (face à la Juve de Zidane et Deschamps) et de multiples titres et Old Firms victorieux comme capitaine du Celtic Glasgow**.

Analyser la tambouille d’une réussite sportive est un exercice un peu téméraire. Celle de Paul Lambert depuis qu’il entraine les Canaries contient les ingrédients suivants: un attachement indéfectible au labeur quotidien ; un rejet épidermique de l’autosatisfaction d’inspiration très working class*** ; une politique de recrutement finaude, construite sur la durée, et, accessoirement, exclusivement British ; un sens des responsabilités qui le pousse à prendre des décisions pas forcément populaires, notamment lorsqu’il s’agit de mettre sur le banc Grant Holt, le buteur attitré du club. Les joueurs, de leur côté, soulignent que Lambert les inspire et les motive comme personne. Ce qui ne dit finalement pas grand-chose sur la manière dont Paul Lambert s’y prend concrètement et laisse l’observateur frustré.

On en apprendra encore moins en lisant les interviews de l’entraineur, lequel entretient auprès des journalistes une image taciturne et aligne des réponses triviales, sinon creuses. Ainsi, à propos des entraineurs qu’il a admirés: « lorsque vous jouez pour des entraineurs comme Martin O’Neill ou Ottmar Hitzfeld, vous récoltez tout un tas d’astuces au passage mais il y a une chose qui est gravée pour toujours dans ma tête, c’est ce que Martin m’a dit lorsque j’ai eu le job à Wycombe. Il m’a appelé et m’a dit ‘deux conseils, Paul: gagne; gagne et fais en sorte que les joueurs courent pour toi’. C’est ce que j’essaie de faire, gérer les gens de la bonne façon et faire en sorte qu’ils courent pour moi ». A défaut de comprendre tout ce que ceci peut bien vouloir dire, on se convainc finalement que dans la langue vernaculaire du football les mots sont peut-être dispensables.

* Colchester n’a que moyennement apprécié ce départ précipité et inélégant

** Ombre au tableau d’une prolifique carrière de joueur, Paul Lambert n’est jamais parvenu à battre les Girondins de Bordeaux. Tout juste a-t-il arraché un vaillant match nul à Lescure, sous le regard ravi de l’auteur de ces lignes qui ne soupçonnait pas alors la coïncidence lelouchienne qui le rapprocherait onze ans plus tard de Paul Lambert.

*** Paul Lambert fait l’aveu tourmenté suivant au Guardian, en début de saison: « You’ve got to be frightened to lose. That’s what drives me on, being frightened to fail. The past is in the past. I never think I’m safe. »

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