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Dimanche 2 décembre à 12 h 30, à l’occasion du deuxième tour de FA Cup, l’AFC Wimbledon (D4) affrontera sa nemesis, son usurpateur d’identité, Milton Keynes Dons (D3). Une rencontre que toute l’Angleterre du football attend sabre aux dents depuis dix ans.

La lecture de l’introduction est fortement recommandée.

[Cliquer sur les photos fait tout chose parfois]

Début années 80.

Si les Dons aiment muscler les matchs, ils affectionnent aussi les entraînements à la fois (très) rugueux et décalés.

Dave ‘Harry’ Bassett ordonne par exemple à ses joueurs de courir les bras en l’air puis d’hurler « Power » en sautant (ce rituel bizarre deviendra une célébration de but) et il encourage activement le jeu dur (notamment lors d’un exercice assez violent intitulé mystérieusement « Harry Ball »). Leur style de foot se transforme en un sport de collision, en une sorte de soule contemporaine, et il n’est pas rare que certaines séances de ce Harry Ball se terminent avec du sérieux grabuge (chevilles esquintées, épaules demises, etc. – on comptera même des cotes cassées).

Et inutile de compter sur les petits nouveaux pour zénifier l’ambiance. Le milieu Dennis Wise arrive de Southampton fin mars 1985 (à 18 ans) après s’être brouillé avec le manager des Saints.

Un an plus tard (mars 1986), débarque une autre forte tête : l’attaquant John Fashanu, 23 ans (Fash the Bash – Fash le Cogneur), acheté à Millwall pour 125 000 £.

Se pointe même… Ian Holloway, 22 ans (pour 35 000 £ et une pige express).

Mai 1986. Le miracle se produit, Wimbledon FC finit 3è de D2 et accède à la D1 ! Leur ascension a été fulgurante : les Dons étaient encore amateurs en 1977 et en D4 en 1983 !

A l’intersaison, le club recrute un parfait inconnu, un joueur amateur du coin manoeuvre de chantier la semaine à 60 £ / hebdo et footeux à ses heures perdues : un certain Vincent Peter Jones, 21 ans. Vinnie Jones arrive de Wealdstone (D9) pour seulement 10 000 £.

Mai 1987. Pour leur toute première saison de D1, les Dons finissent à une superbe 6è place. Derrière eux, du beau linge : Nottingham Forest (8è), Manchester United (11è), Chelsea (14è), Newcastle (17è), Manchester City (21è) et Aston Villa, 22è (tous deux relégués). Les Dons ont collectionné les scalps prestigieux, dont une victoire 2-1 à Liverpool le 28 mars.

Anecdote toute Wimbledonnienne à l’occasion de cette première visite des Dons à Anfield… En descendant les marches sacrées du tunnel, alors que les Reds touchent le This is Anfield de la main, l’impayable Vinnie Jones préfère coller une feuille de papier sur le légendaire panneau. Dessus, le hard man a écrit : « On s’en tape ».

Juin 1987. Dave Bassett quitte le club pour Watford (D1), autre minot inconditionnel du kick and rush (sous le légendaire Graham Taylor, avec Elton John aux commandes) qui a récemment gravi tous les echelons de la Football League en hyper accéléré (D4 a D1 en quatre ans, 1978-1982). Le nouveau manager des Dons est Bobby Gould.

13 mai 1988, veille de la finale de FA Cup. Les Dons viennent de finir 7è de D1 et s’apprêtent à vivre l’évènement le plus important de leur histoire centenaire : la finale de FA Cup contre le quasi invincible Liverpool. Comme il sied tant aux Dons, la préparation sera des plus rock and roll.

Le manager veut faire les choses très professionnellement et isole le groupe dans un hotel chic de Wimbledon (le Cannizaro’s) pour une préparation calme et sereine. Mais la cure de repos va vite tourner à la mise aux verres : les joueurs passent la veille du match à se pinter au Fox & Grapes, le pub local qui servit autrefois de vestiaire à Wimbledon FC à sa création en 1889.

Et ce avec la bénédiction forcée de Bobby Gould, qui après avoir vainement tenté de retenir ses ouailles dans l’hôtel, jette l’éponge et donne lui-même de l’argent aux plus fauchés du groupe pour qu’ils aillent rejoindre la bande à Vinnie au comptoir…

Une soirée qui s’achève sur un sérieux incident entre John Fashanu et un reporter de feu le torchon dominical News of the World (le torchonneux lui avait posé des questions sur ses supposées infidélités ; Fash s’était emporté et, de rage, avait fracassé une porte. Son poing morfla mais il disputa tout de même la finale).

14 mai 1988, Wembley, finale de FA Cup. En déjeunant, les Dons voient Alan Hansen (joueur-cadre des Reds) declarer à la télé, goguenard :

« A Wembley aujourd’hui, il n’y a que des supporters de Liverpool ! Le stade est plein de Reds ! »

Les chants des supps Reds chambrent aussi les Dons, sur le thème des Wombles, leur surnom tiré d’un célèbrissime personnage pour enfants, une sorte de taupe bisounours écolo qui vit dans Wimbledon Common… (clip du tube – numéro 1 des Charts dans les Seventies – et ouais, y’avait pas que les Clash qui cartonnaient à l’époque).

Il n’en faut pas plus pour remonter le Crazy Gang comme des coucous enragés.

Deux heures avant la finale, les Dons commencent leur séance d’intimidation : ils cognent sur les murs du vestiaire des Reds en hurlant insultes et menaces.

Rebelote dans le tunnel de Wembley où ils entonnent leur bizarres chants guerriers, ponctués d’un mystérieux cri hyèneux (« Yiiiiiiiiidaho »). Vinnie Jones va même voir Kenny Dalglish et lui lâche : « Toi, je vais t’arracher une oreille et après je cracherai dans le trou. »

Victoire 1-0 des Dons (voir article TK et clips immanquables), une prouesse considérée comme l’une des plus grosses surprises en finale de la compétition.

Malgré la gloire, l’imprévisible Sam Hammam vit ce triomphe comme un aboutissement et met toute l’équipe en vente ! Dave Beasant, un historique du club (depuis 1979), part pour Newcastle.

1988-1992. Sous la houlette de Bobby Gould (jusqu’en 1990) puis Ray Harford (1992), le club finit 12è, 8è, 7è et 13è de D1. Les affluences moyennes tournent autour de 8 000 spectateurs et ce malgré les prix parmi les plus élevés de D1 (entre 7 et 14 £ – quand un billet dans le Kop d’Anfield ne coûte que 4 £ maximum).

Les joueurs clés de cette période (outre les déjà cités) sont John Scales (futur Red), le milieu Robbie Earle et les attaquants Alan Cork et Dean Holdsworth (à partir de 1992 pour ce dernier).

1991. Hammam déclare vouloir fusionner avec Crystal Palace pour créer « le superclub du sud londonien » et annonce la construction d’un grand stade sur Wimbledon. Les supporters protestent et les médias s’en mêlent. Tous sont unanimes pour condamner cet énième projet insensé. Hammam jette finalement l’éponge.

D’aucuns pensent que ce mariage de convenance n’avait qu’un but strictement financier : Hammam possède des terrains (et parkings) tout autour de Plough Lane et un merger aurait considérablement fait monter la cote du club, surtout à l’orée de cette Premier League qui attisent tant les convoitises.

1991-92. Avec la Premier League qui se profile et le début de la course aux armements, le club connaît de graves problèmes financiers. Les rapports entre Sam Hammam et le Conseil d’arrondissement de Merton (Wimbledon) sont difficiles et le Libanais cherche une solution pour se passer d’eux…

Parallèlement, la ville nouvelle de Milton Keynes (alors ambitieuse cité de 150 000 habitants) continue à rechercher désespérément un club professionnel.

MK, c’est aussi un troupeau de vaches en béton disséminées à travers la ville, triste symbole de cette cité quadrillée à l’américaine et alors seule agglomération européenne de taille sans club de football pro. MK a pigé qu’il serait infiniment plus facile de s’approprier un nid bien douillet plutôt que d’essayer de métamorphoser son piteux club de D8 en machine conquérante bâtie pour affronter les exigences de la Football League.

Eté 1991. Wimbledon quitte le mythique Plough Lane, un stade totalement déglingué que Sam Hammam décrète inadaptable aux nouvelles normes all-seater (rapport Taylor consécutif à la tragédie de Hillsborough).

Pas de superclub avec Crystal Palace mais un partage de stade avec les Eagles ; Wimbledon FC évoluera donc à Selhurst Park dès août 91, sans toutefois abandonner l’ambition de se trouver un chez-soi, ce qui engendrera des années de conflit entre Sam Hammam et le Conseil d’arrondissement. Plough Lane continuera à être utilisé par la réserve Don.

1992. Joe Kinnear est nommé manager. Il fera de l’excellent boulot et restera à Wimbledon jusqu’en mai 1999.

1994. Sam Hammam revend Plough Lane à feu Safeway (supermarchés) pour 4M £. Certains observateurs notent le côté louche de la manoeuvre et l’extrême complaisance du Conseil d’arrondissement concernant la mystérieuse altération des statuts du stade. Envolées donc les covenants, restrictions majeures qui stipulaient que le site, si vendu, ne pourrait servir qu’à la pratique du sport ou d’autres loisirs.

1995. Formation du WISA, la Wimbledon Independent Supporters’ Association, un groupe militant qui éclipsera le Wimbledon FC Official Supporters Club, jugé trop mou pour mener à bien les rudes luttes à venir. WISA deviendra très actif par la suite, notamment dans la création du Dons Trust début 2002, groupe d’un millier de supporters-membres qui fondera l’AFC Wimbledon six mois plus tard.

Côté terrain, les Dons alignent les excellentes saisons en D1 : 9è en 1995, 14è en 1996 et 8è en 1997 (auxquels s’ajoutent  deux demi-finales de coupe en 1997, FA Cup et League Cup).

1996-1997. Plusieurs Conseils d’arrondissement du sud de Londres refusent d’accorder un permis de construire au projet de nouveau stade du Wimbledon FC (on refuse également à Sam Hammam l’implantation de divers business, dont une usine).

Hors de lui, le Libanais met le paquet pour délocaliser Wimbledon qui se voit envoyer aux quatre coins du Royaume et au-delà : Manchester, Gatwick (!), Cardiff, l’Ecosse, la côte Sud et surtout Dublin, destination fortement convoitée. Malgré le feu vert de la Premier League (la FA ne tranche pas) et le fort intérêt suscité à Dublin notamment auprès de la population locale et de personnalités (dont Paul McGuinness, manager de U2), sevrées de football de haut niveau, la fédé irlandaise refuse cette énième excentricité Dons (un Niet approuvé, après coup, par l’UEFA et la Fifa).

C’est à cette époque que Sam Hamman vend 80 % de Wimbledon à deux richissimes pigeons norvégiens de passage (alors parmi les plus grosses fortunes d’Europe) attirés par cette Premier League si aguichante (ils viennent d’échouer dans leur tentative de racheter Leeds United). Hammam leur fait superbement l’article et les assure qu’ils n’auront aucun mal à délocaliser. Les deux gogos mordent à l’hameçon et s’imaginent acheter une franchise à l’américaine.

Tout en restant au board, Hammam réalise une incroyable plus-value :  Wimbledon est officiellement vendu pour 30M de £ [1], soit une invraisemblable culbute de x 750 ! (en 16 ans, et peu d’investissements).

Janvier 1999. Wimbledon frappe un grand coup sur le marché des transferts : le Gallois John Hartson est acheté à West Ham pour 7,5M £, record du club.

Mars 1999. Joe Kinnear, manager, est foudroyé par une crise cardiaque (non fatale) juste avant un match contre Sheffield Wednesday à Hillsborough et se retire temporairement du football. Les Dons sont sous le choc et dégringolent de la sixième à la seizième place en deux mois, leur classement en fin de saison. Cela sent le purgatoire de D2 pour eux et Hammam tempête :

« Si l’on doit descendre, on laissera une trainée de sang d’ici à Tombouctou. »

Eté 1999. Hammam se brouille avec les deux zillionnaires Norvégiens et quitte le club. Enfin, plus ou moins, car tout comme Vinnie Jones (qui vient de raccrocher les crampons après une saison à QPR), il n’est jamais bien loin (il possède encore des actions, qu’il vendra neuf mois plus tard).

Juillet 1999. Un nouveau manager arrive et il détonne sérieusement : il s’agit du marxiste-léniniste norvégien Egil Olsen (ci-contre). Le cérébral Egil, réputé man-motivator hors pair (à la Brian Clough), commettra l’erreur fatale de se pointer aux premiers entraînements Dons… en Wellingtons vertes, déclenchant l’hilarité générale. Enfin, pas longtemps, car le Crazy Gang lui brûlera ses deux paires. Il continuera à les porter en arpentant la ligne de touche pendant certains matchs, ce qui ne manquera pas de faire pouffer.

Le mariage entre ce petit club moribond et celui qui a hissé la Norvège dans le Top 10 du classement Fifa dans les Nineties interloque (4è en 1993 et 7è en 1999, deux phases finales de Coupe du monde. Entre 1993 et 1996, la Norvège n’encaissa qu’un seul but en open play ! Olsen tentera d’adopter ce système à Wimbledon, sans grande réussite).

Les experts rassurent, en soulignant la filiation naturelle entre le Wimbledon de Harry Bassett et la philosophie kick and rush d’Olsen depuis les Seventies (basée sur une défense de zone, des contre-attaques éclairs, un targetman géant et des ailiers supersoniques). Les non experts, eux, ne s’embarrassent pas de ces considérations tactiques et se lêchent les babines à l’idée de voir Olsen se faire bizuter par le Crazy Gang.

Car les énergumènes du CG n’ont que faire de l’éblouissante carte de visite de ce maître-tacticien et le premier entraînement est surtout mémorable pour la sauvagerie de l’accueil réservé à l’intello Scandinave : les joueurs lui…

A suivre.

Kevin Quigagne.

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[1] Selon le WISA, l’un des rares à avoir eu accés aux comptes du club au moment du redressement judiciaire en 2003, cette somme de 30M £ souvent avancée dans les médias serait exagérée, sans que l’on connaisse le montant de la vente – comptes opaques.

Dimanche prochain, à l’occasion du deuxième tour de FA Cup, l’AFC Wimbledon (D4) affrontera sa nemesis, son usurpateur d’identité, Milton Keynes Dons (D3). Une rencontre que toute l’Angleterre du football attend sabre aux dents depuis dix ans.

Le 28 mai 2002 compte parmi les grandes dates séminales du football mondial : une commission désignée par la Football Association autorise la délocalisation de Wimbledon FC à 100 kms de ses bases. Ce panel de trois hommes [1] conclut ses quatre jours de délibération par cette glaciale formule restée funestement célèbre :

« Recréer Wimbledon FC sous l’appellation, par exemple, de Wimbledon Town […], n’est pas dans l’intérêt supérieur du football »

Un déracinement sauvage en forme de vol de club qui balafre le football britannique depuis lors.

Le 21 juin 2004, Wimbledon FC, auteur de l’un des plus beaux contes de fée de l’histoire du football durant la longue ère Crazy Gang (1978-2000), disparaît dans l’indifférence (presque) générale et devient officiellement Milton Keynes Dons FC (ici). Milton Keynes, agglomération nouvelle située à 75 kms au nord-ouest de Londres sans club professionnel et surtout sans scrupules, lui a en effet volé son club. Depuis, Milton Keynes est le club le plus détesté du pays. De loin.

Entre-temps, en juillet 2002, sur les cendres de Wimbledon FC, un phénix avait resurgi : l’AFC Wimbledon (AFC = A Fans’ Club).

Dimanche 2 décembre à 12 h 30, pour le compte du second round de la FA Cup (tour préliminaire aux 32è qui verront début janvier l’entrée des D1 et D2), les deux protagonistes de cette extraordinaire fresque croiseront le fer pour la première fois. Exceptionnellement, cette rencontre sera diffusée sur ITV, la chaîne anglaise la plus regardée.

Le plus simple pour appréhender ce long dossier complexe qui ferait passer le barnum UMP pour une partie de 1000 Bornes entre scouts était d’en faire une frise chronologique verticale. En route donc pour une extraordinaire épopée qui défrise sacrément plus que la Cocoe. [2]

[Cliquer sur les photos procure parfois des sensations]

La frise historique qui défrise…

1889. Création de Wimbledon (d’abord Wimbledon Old Centrals) dans un pub local, le Fox & Grapes. Le club dispute ses matchs sur Wimbledon Common, immense poumon vert de 460 hectares.

Ces deux lieux deviendront intimement liés à l’histoire du club et verront notamment la naissance de l’AFC Wimbledon en juillet 2002 (les statuts du nouveau club seront rédigés au pub et les sélections de joueurs faites sur les terrains de foot du Common – common = terrain communal, souvent un parc municipal).

1912. Wimbledon FC déménage pour le stade de Plough Lane et restera amateur jusqu’au milieu des Sixties (ci-dessous en 1919).

Années 1930. Bien qu’amateur, le club attire régulièrement 10 000 spectateurs à Plough Lane (avec des pointes à 18 000 pour feu la FA Amateur Cup).

1940-41. Plough Lane est partiellement détruit par le Blitz. Le stade ne redeviendra opérationnel qu’en 1950. Rafistolé avec les moyens du bord, hormis la reconstruction d’une tribune et la rénovation d’une autre, il demeurera peu ou prou dans son jus jusqu’à son dernier souffle, en 2001.

1963. Wimbledon remporte la FA Amateur Cup à Wembley, grâce à un quadruplé d’anthologie de leur attaquant nord-irlandais Eddie Reynolds : 4 coups de boule. La résidence construite sur les gravats du mythique Plough Lane porte aujourd’hui son nom, ici.

La FA Amateur Cup, dont la finale attira régulièrement 100 000 personnes à Wembley dans les années 50, sera remplacée par le FA Vase en 1974 (disputé par les clubs de D9 et au-delà, tous amateurs ; les clubs de D5 à D8 – professionnels, en D5, ou semi-pros – disputant eux le FA Trophy).

Eté 1964. Wimbledon passe semi-pro en accédant au championnat de Southern League (D5, alors organisée en poules régionales) et se constitue en limited company. Les choses à moitié sérieuses commencent.

Janvier 1975. Wimbledon devient le premier club de non-league à sortir une D1 à l’extérieur en FA Cup (Burnley, 1-0, 32è). Ce fait d’armes est souvent considéré comme le deuxième plus grand exploit de Dame FA Cup [3].

Au tour suivant, à Elland Road, Wimbledon fera match nul (0-0) contre le grand Leeds de Billy Bremner et Johnny Giles (les Dons s’inclineront 1-0 lors du replay à Selhurst Park, l’antre de Crystal Palace, devant 45 000 spectateurs – Plough Lane était inondé).

1975-1976. On parle de George Best (comme entraîneur-joueur) à la tête d’un consortium désireux de reprendre Wimbledon mais c’est finalement l’homme d’affaires Ron Noades (ci-contre) qui rachète le club en 1976 pour le prix d’un break Morris : 2 782 £ (Noades deviendra un personnage très controversé du football anglais [4], voir notamment notre dossier sur Tomas Brolin, que Noades fit venir à Crystal Palace début 1998, ici).

Mai 1977. Wimbledon FC accède en Football League (premier échelon, D4). Graduellement, tous les joueurs passeront alors professionnels au cours de la saison (certains semi-pros ne touchaient que 15 £ / semaine).

1978. La légende du Crazy Gang naît, officieusement tout du moins (le terme sera inventé en mars 1985 par Tony Stenson, journaliste au Daily Mirror).

Bien que la création du plus célèbre et génial groupe de déjantés du foot britannique (mondial ?) soit généralement attribuée à Wally Downes (aujourd’hui dirigeant à West Ham), rendons à César ce qui lui appartient : c’est à l’obscur ailier Steve Parsons que reviendrait l’honneur d’avoir démarré cette expérimentation guignolo-footeuse digne des Charlots en crampons (ci-dessous, le Crazy Gang fête dignement le testimonial de l’attaquant Alan Cork – 1978-1992, 430 matchs, 145 buts).

le Crazy Gang fête le testimonial d'Alan Cork (1978-1993) à sa manière

Un vrai bon taré comme on en fait plus ce Parsons. Lors d’une fête organisée par Dave Beasant (qui deviendra le gardien emblématique des Dons, 1979-1988), on retrouve l’énergumène à cheval sur une fenêtre du grenier tentant de reprendre de la tête des pots de terre qu’il lance en l’air…

Wally Downes, formé au club et lancé dans le grand bain du foot pro en 1979 (à 18 ans), poursuit brillamment l’oeuvre de Parsons. A peine arrivé chez les grands, lors d’une sortie en bateau, il suspend le kiné du club par dessus bord le plus longtemps possible et chronomètre combien de temps il peut tenir la tête sous l’eau.

Peu après, il bizute un nouveau chauffeur de bus (chauve) en claquant sur sa calotte un poisson chaudement sorti d’un emballage fish & chips alors que le véhicule roulait à 90 kms/h (choqué, le chauffeur refusera ensuite de travailler avec les Dons).

Un bus qui en voit des vertes et des pas mûres. Il arrive aux joueurs de montrer leurs fesses aux automobilistes ou de surfer à poil sur le toit du véhicule (un sketch signalé par un citoyen horrifié et dûment rapporté à une radio nationale qui mentionne l’incident dans un bulletin – selon Ron Noades en tous cas). Ah, si seulement les insurgés de Knysna avaient pu s’inspirer du Crazy Gang !

L’esprit et les frasques du Crazy Gang perdureront plus de deux décennies, la hiérarchie du club laissant faire : elle pensait (à juste titre) que ce foutoir tous azimuts soudait le groupe.

Le Norvégien Egil Olsen sera le dernier manager (1999-fin avril 2000) à souffrir aux mains des Vinnie Jones (parti mais toujours dans les parages !), Ben Thatcher, Carl Cort, Gareth Ainsworth et autre John Hartson (cf juillet 1999, dans un prochain épisode).

Janvier 1978. Le jeune manager Dario Gradi (36 ans) est nommé à la tête des Dons, c’est son premier poste. Il deviendra quelques années plus tard un veritable gourou de la formation à Crewe Alexandra (D2 à D4), une sorte de Guy Roux de Football League (28 ans à la tête des Railwaymen de Crewe, voir notre dossier sur Man United – Fergie est un admirateur – milieu d’article).

Ron Noades profite de l’engouement et le savoir-faire de Gradi pour mettre en place un programme structuré de youth development sur lequel le club devra compter pour progresser, les caisses étant vides.

1979. Noades, en conflit avec le Merton Borough Council qu’il considère anti football (conseil d’arrondissement dont dépend Wimbledon), cherche à établir Wimbledon… à Milton Keynes (déjà !). Il rachète le club amateur de MK City pour 1 £ et y place trois dirigeants de Wimbledon FC en espérant en tirer un bénéfice quelconque à moyen terme.

1980. Le Crazy Gang grandit bien : certains joueurs font venir leur petite amie au stade pour copuler directement sur le bureau de Ron Noades !

Les bizutages sont gratinés et fumeux. Une pratique routinière consiste à mettre le feu au sac du petit nouveau en le faisant danser autour, à poil évidemment. Et dans le vestiaire ! Fatalement un jour l’inévitable se produit : le vestiaire prend feu et les pompiers doivent intervenir. Mais au nom de la cohésion et « l’harmonie » de groupe, tout passe.

1980. Noades cherche à vendre Wimbledon FC… à un autre club. QPR se montre interessé (pour l’utiliser comme pépinière) mais n’offre que 15 000 £, insuffisant.

Début 1981. Noades vend finalement Wimbledon à l’homme d’affaires libanais Sam Hammam (déja dirigeant au club), pour 40 000 £ (le chiffre de 100 000 £ circule aussi). Hammam se passionnant pour le tennis, il s’était installé à Wimbledon à son arrivée en Angleterre en 1975 (sa femme étant enceinte, il fuyait un Liban où la guerre civile venait d’éclater). Et si ce coin ne porte pas le foot dans son ADN, en revanche, il sent bon l’oseille, ce qui n’est pas pour lui déplaire.

Noades rachète Crystal Palace (et se débarrasse de Milton Keynes City dans la foulée, mais la perfide graine Milton Keynes est plantée). Plus tard, Noades et Hammam tenteront l’impensable : réaliser une triple fusion entre Wimbledon, Crystal Palace et Charlton ! (la fraternité supporters fera capoter ce projet totalement insensé).

Sam Hammam, grand déjanté du football anglais devant l’éternel (ci-dessus avant un match à Selhurst Park), fait plus qu’épouser la philosophie punk du Crazy Gang. Le proprio-président à la touche qui détonne (il arpente souvent le bord du terrain portant moumoute en poil de chameau et écharpes improbables) encourage activement les joueurs à la zizanie. Mieux, il met fréquemment la main à la pâte. Petit apercu de ses déviances ribéro-aulassiennes :

– il verse lui-même du sel dans les sucriers des équipes visiteuses

– il force les joueurs à manger toute sorte d’horreur après une défaite (dont des testicules d’animaux, crus de préférence – toujours mieux que la bouffe anglaise diront certains)

– il aime provoquer (et insulter) les supporters adverses devant la tribune extérieure

– il met le chauffage à fond dans les vestiaires visiteurs et bidouillent les wc, encourageant parfois ses propres joueurs à laisser leur petit souvenir dans la cuvette (wc dont la chasse d’eau ne fonctionne évidemment pas)

– il concocte des contrats impossiblement excentriques ou tyranniques (en 1987, dans celui du manager Bobby Gould, il insérera par exemple une clause lui permettant de changer l’équipe jusqu’à 45 minutes du coup d’envoi)

– en déplacement, il lui arrive de gribouiller des graffitis obscènes dans les vestiaires

A son arrivée, Hammam limoge Dario Gradi (qui rejoint Noades à Crystal Palace) et nomme Dave ‘Harry’ Bassett (36 ans), qui deviendra le grand artisan de l’extraordinaire ascension du club jusqu’en D1.

Début années 80. Le club continue brillamment son apprentissage de la Football League. Dave Bassett acquiert des joueurs clés pour une bouchée de pain, dont Nigel Winterburn (futur Gunner) en 1983 et Lawrie Sanchez en 1984 (respectivement pour 15 000 et 30 000 £). De quoi donner le vertige au gardien Dave Beasant, acheté lui pour… 100 £ ! (en 1979)

Le style du crazy gang s’inscrit dans la plus pure tradition kick and rush (surtout niveau kick), brutalité sauvage et intimidation en plus. Le club explose les records de cartons et est régulièrement sanctionné par la FA. Certaines saisons, les deux tiers des buts Dons proviennent de coups de pied arrêtés.

Dans Inverting the Pyramid, l’écrivain du football Jonathan Wilson décrit le football pratiqué par Wimbledon à cette époque comme « nihiliste » ; d’autres observateurs parlent d’une « race de non-football inédite ». Toutefois, pendant que les puristes s’étranglent, Wimbledon avance, à pas de géant. Visiblement, la théorie du chaos fonctionne à merveille : en deux saisons les Dons grimpent de la D4 à la D2 ! (atteinte en 1984).

Les entraînements sont à l’avenant, à la fois (très) rugueux et décalés. Dave ‘Harry’ Bassett ordonne par exemple aux joueurs de…

A suivre.

Kevin Quigagne.

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[1] Il s’agissait de Raj Parker, avocat d’affaires ; Steve Stride, alors dirigeant à Aston Villa ; et Alan Turvey, président de la Ryman League – championnats de D7 et D8, le seul qui vota contre la délocalisation.

[2] Quatre documents utiles pour mieux comprendre ce dossier :

clip : The rise and fall of Wimbledon FC

– clip : The birth of AFC Wimbledon

–  cet article Teenage Kicks

–  cet article paru en octobre 2011 sur l’excellent site Moustache FC

[3] Le plus grand giant-killing de l’histoire de la FA Cup étant l’élimination de Newcastle par Hereford (D5) en février 1972 – 16è de finales – et le mythique but de Ronnie Radford, une mine de 35 mètres dans la lucarne gauche des Mags, à voir absolument, clip (ne serait-ce que pour l’état du terrain et la réaction du public).

[4] Ce promoteur immobilier empocha 17M £ en vendant Crystal Palace en 1998 et se spécialisa dans « l’achat-vente » de stades, dans des conditions souvent opaques et très controversées. En 1998, il s’auto-nomma même manager de Brentford – D3 – avant de menacer de vendre le stade des Bees et de déménager le club à 30 kms de là. Un Supporters’ trust dut se constituer pour lui racheter le club.