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Il y a vingt ans, le 20 février 1992, la dernière pierre de la création du championnat de Premier League était enfin posée. Cet aboutissement mettait fin à douze ans d’un combat sans merci entre les clubs majeurs et les instances, le tout sur fond de déliquescence – puis résurrection -du football anglais.

Pour l’intro, voir première partie. Quatrième et dernière partie aujourd’hui : du printemps 1991 à la création de la bête.

[abréviations : FA = Football Association ; FL = Football League].

1991 : la Premier League voit enfin le jour

Début 1991, un mois après les réunions entre le Big Five et la FA, la fédération consulte individuellement tous les clubs de D1 pour prendre la température de la situation sur le terrain. Ces derniers ont tous reçu la visite de Rupert Murdoch et savent que les droits TV pour la période 1992-97 seront renégociés en fin de saison 91-92. En clair, au lieu de toucher de la FL environ 400 000 £ par an, celui que l’on surnomme Dirty Digger (le fouille-merde) leur en promet dix fois plus. Les derniers réticents sont vite convaincus.

Début avril 1991, lors d’une conférence de presse, le président de la FA annonce officiellement la naissance imminente de la Premier League (d’inspiration Bundesliga comme le souhaitait la FA, théoriquement prévue pour 18 clubs – un mois plus tard le Big Five la fera passer à 22 clubs).

Le modèle allemand a fait long feu

Le modèle allemand coopératif a fait long feu

Le 13 juin 1991, 16 clubs signent un accord préalable. La FA pense avoir  réussi son coup en obtenant l’inscription dans les textes que la PL évolue « within the administration of the Football Association », comme outre-Rhin où la Bundesliga fait partie intégrante de la fédération (DFB). La FA s’est en effet inspirée des structures allemandes en organisant l’affaire avec le Big Five. En réalité, la PL ne s’éternisera pas dans le giron de la FA…

Dans le même temps, la FL traîne la FA devant les tribunaux, l’accusant d’avoir créé une League « illégalement » (le 31 juillet 1991, au terme de quatre jours d’audition, le juge Sir Christopher Rose renverra l’amère FL dans ses foyers).

Le 17 juillet 1991, tous les clubs de D1 signent le Founder Members Agreement et le 23 septembre 1991, le document est ratifié par la FA, les clubs et la FL. Après quatre heures de palabres, on se met d’accord sur le nom du bébé : FA Premier League. Certains clubs anti-FA sont farouchement opposés à la présence de la FA dans l’appellation – on ne démarre pas sous les meilleurs auspices et, de fait, les relations FA-PL seront tendues. Un an plus tard, la PL adoptera le nom du sponsor et s’appellera (Carling / Barclaycard / Barclays) Premiership de 1993 à 2007.

1991-92 : trois instances et un coup fin

En théorie, le sigle FA est toujours utilisé pendant cette période mais, fatalement, il disparaît définitivement lors des renégociations avec Barclays en 2007, les relations FA-PL s’étant considérablement refroidies. Outre les considérations juridiques, nombre de propositions émanant de la FA et qui figuraient dans son Blueprint for the future of football (voir fin de troisième partie), initialement acceptées par la PL, furent graduellement abandonnées (surtout celles d’ordre financier – partage des revenus du sponsoring – et en rapport avec la représentation de la FA au directoire PL). La vision initiale que la FA entretenait sur la PL, centraliste et quelque peu paternaliste, diffère grandement de la version actuelle.

Nonobstant ces tiraillements FA-PL qui iront crescendo, la création officielle de la FA Premier League signe la fin d’années de conflit permanent entre les principaux acteurs du football anglais (y compris des menaces de grèves, via la PFA, équivalent de l’UNFP). Le cordon ombilical centenaire entre  l’élite des clubs et les instances est définitivement coupé. La PL est indépendante, souveraine et promise à un avenir des plus prospères. Le 20 février 1992, l’ultime acte légal est adopté, la FA donne officiellement naissance au championnat de Premier League.

Les discussions sur le partage des revenus médias s’engagent. On se met d’accord sur une formule à l’esprit comparable aux débuts de la FL. Il est décidé que les droits perçus par le champion ne seront pas supérieurs à une fois et demie ceux versés au dernier du classement.

En avril 1992, les clubs de l’élite démissionnent de la FL et se constituent en limited company le  27 mai. La Premier League prend ses modestes quartiers dans une aile de la FA (la fédération est aujourd’hui installée dans le New Wembley et la PL en plein coeur de Londres – photo du haut -, dans Mayfair, à deux pas du Sherlock Holmes Museum…).

1992 : Sky remporte la bataille des droits télévisuels

Le moment clé de la négociation des droits TV pour la période 1992-1997 survient le 18 mai 1992. Sky (devenue BSkyB en novembre 1990) est en concurrence avec ITV. Toutes deux proposent environ 200M aux clubs. ITV surenchérit à 224M et son package a largement la faveur des clubs du Big Five. ITV est une chaîne terrestre et commerciale aux audiences vingt fois supérieures à Sky, chaîne câblée encore confidentielle (600 000 abonnés seulement – 10.5 millions aujourd’hui).

Peu avant le meeting, ITV a finement joué en promettant au Big Five de diffuser prioritairement leurs matchs (un point sur lequel Sky est resté vague). Quatre clubs du Big Five se laissent convaincre par ITV. L’affaire semble perdue pour la Team Murdoch qui a pourtant impérieusement besoin du football pour remettre d’aplomb un Sky mal en point (500M de dettes).

Sky sort alors sa botte secrète : Alan Sugar. Cet hommes d’affaires en électronique et informatique (Amstrad) a racheté Tottenham la saison précédente. Pendant les négociations, il ordonne à Murdoch au téléphone de mettre le paquet. Et pour cause : si Sky remporte les droits, Sugar fournira tout le kit d’installation aux futurs abonnés. Mais Sky est déjà fortement endetté et l’Australo-Américain hésite.

Va alors se dérouler un épisode demeuré célèbre dans le folklore de la PL. Au plus fort des négociations, Alan Sugar appelle Sam Chisholm, le chief exec d’un Murdoch prêt à jeter l’éponge, et lui aboie au téléphone : « Dis au boss de mettre le paquet, il faut exploser ITV ». Murdoch s’exécute et offre 250M. ITV surenchérit : 262M. Sugar d’agite de plus en plus au bout du fil. Sky abat sa toute dernière carte : 304M de £. ITV est « explosé ». Les clubs votent au deux tiers pour Sky. Depuis, le couple Sky-PL est inséparable.

Le 15 août 1992, la PL démarre enfin. Les 22 heureux élus sont (entre parenthèses, division actuelle) : Arsenal, Aston Villa, Blackburn Rovers, Chelsea, Coventry City (zone rouge D2), Crystal Palace (D2), Everton, Middlesbrough (D2), Norwich City, Nottingham Forest (zone rouge D2), Oldham Athletic (D3), Queens Park Rangers, Sheffield United (D3), Sheffield Wednesday (D3), Southampton (D2), Tottenham et Wimbledon (D4, AFC).

Une révolution aussi dans les mentalités

Le but de ce dossier n’est pas d’étudier ou comparer les transformations entre le début des Nineties et l’ère PL actuelle, telles l’évolution du profil du « supporter moyen » (beaucoup plus âgé, 41 ans), « l’invasion » des joueurs étrangers, la prolifération des agents, la nature des investisseurs ou même l’explosion du coût global d’un match – billet, déplacement, etc. – (calculé à 101 £ par la Football Supporters’ Federation lors d’une enquête récente auprès de 4 000 suppporters). Cette thématique appartient à l’histoire proprement dite de la PL.

Toutefois, arrêtons-nous brièvement sur un aspect fondamental des bouleversements que la PL a entraînés : le changement radical dans la gestion d’un club. Jusqu’au début des années 90, seuls les résultats comptent. Le but de tout club ambitieux est de remporter le plus de trophées possibles en fonctionnant sur le mode d’un « utility maximiser » comme l’écrira un économiste, à savoir le plus chichement possible. On maximise l’outil de travail (les infrastructures) sans chercher outre mesure à dégager des bénéfices.

La « Révolution financière » post 1992 va faire voler en éclat cette loi d’airain. Les clubs vont progressivement se transformer en machine commerciale et sportive tournée vers la diversification et le profit (revenus médias, merchandising, sponsoring, flottation en bourse, utilisation du stade hors match, recherche d’extension de la fanbase, etc.). Les clubs se muent alors en entreprises et en épousent le jargon. On parle autant de brand awareness, de global brand equity ou de profit maximisation (et parfois de debt recovery plan) que de 4-4-2 ou back four.

Une success story sans équivalent

En fin d’année, la Premier League débutera son tour du monde des renégociations de droits médias overseas pour la période 2013-2016 (211 pays et territoires, couverts par 98 diffuseurs partenaires de la Premier League plc).

La dernière fournée pour 2010-13 a rapporté gros : 1.6 milliards £. Soit presque le triple du terme précédent (2007-10) et presqu’autant que les droits domestiques, 1.78 milliards. A titre d’exemple, WinTV déboursa 30M pour la Chine ; Canal Plus 60M pour la France et Pologne ; Cable TVHK 150M pour Hong-Kong ; SingTel 200M pour Singapour ; Abu Dhabi Media Company plus de 200M pour le Golfe Persique, Moyen-Orient et Afrique du Nord. Cette fois-ci, les revenus provenant de l’étranger dépasseront probablement le montant des droits domestiques, qui devraient stagner. La PL lorgne désormais bien davantage vers la Chine et le Sud-Est asiatique que l’Europe.

En 2010, Irving Scholar, l’un des initiateurs de la PL déclarait :

« Personne ne peut contester que la Premier League est un succès retentissant qui a transformé le football. »

Le produit PL est une success story sans doute inégalée dans l’histoire du sport. Le football anglais, ce gueux des années 70 et 80, est aujourd’hui über glamour. Cependant, nombreux sont ceux qui jettent sur la First Division d’antan un regard nostalgique en se remémorant les ingrédients magiques qui firent du football anglais l’envie de l’Europe ; les chants, le soutien indéfectible du public, la communion et proximité avec le douzième homme sont ancrés dans la légende. Pour beaucoup, ce mythe a été sacrifié sur l’autel de la health & safety et du consumérisme.

Certes, il serait vain et absurde de comparer les deux époques tant l’univers du football anglais a changé ces vingt dernières années. Néanmoins, incontestablement, l’aspect aseptisé et mercantile de « l’expérience PL » est pour beaucoup dans cette vague de nostalgie inconvenable et ambivalente (personne en effet ne voudrait revivre les heures sombres des Eighties). Le match est devenu un « spectacle », policé par des stadiers zélés et suivi sagement par un public quadragénaire embourgeoisé (cette fameuse gentrification). Des avatars qui paraissent incompatibles avec la nature passionnée et le substrat populaire de ce sport.

Ces dernières années, ce que l’on nous présente souvent comme le « modèle allemand » en matière de stade (sécurité, ferveur, prix raisonnables) a viré à l’obsession chez les médias anglais. Il y a quelques semaines, Aston Villa évoquait la possible réintroduction d’une section safe-standing à Villa Park (voir article), ces mythiques terraces qui firent tant fantasmer l’Internationale des supporters et ultras.

Si le « Soldat » Football anglais a été sauvé grâce à la création de la Premier League, hyperboliquement surnommée « The greatest show on earth » par les médias anglais, tout le monde semble aujourd’hui s’accorder sur le besoin urgent de réanimer l’ambiance plate de ses stades, victime collatérale de la révolution PL. Le « plus grand show planétaire » méritera alors pleinement son surnom.

Kevin Quigagne.


Before and after (tous chiffres en £)

Abonnement meilleur marché dans le Kop d’Anfield saison 1989-90 :  60 £
Abonnement meilleur marché dans le Kop d’Anfield saison 2010-11 : 730 £

Affluence moyenne D1 1991-92 : 21 622 (69 % taux de remplissage)
Affluence moyenne PL 2010-11 : 35 283 (92 % taux de remplissage)

Chiffre d’affaires de la Premier League plc en 1992-93 : 46M
Chiffre d’affaires de la Premier League plc en 2010-11 : 1,2 milliards

CA de Manchester United en 1989-90 :     6M
CA de Manchester United en 2009-10 : 286M

Salaire mensuel du joueur le mieux payé en 1992 : 45 000 £ (John Barnes)
Salaire mensuel du joueur le mieux payé en 2012 : entre 850 000 et 1M (C. Tévez et W. Rooney)

Masse salariale D1 1991-92 : 31M
Masse salariale PL 2009-10 (y compris charges) : 1,38 milliards

Montant des droits TV touchés par les 22 clubs de D1 en 1991-92 : 7M
Montant des droits médias touchés par les 20 clubs de PL en 2010-11 : 1 milliard

Montant des dettes des clubs de D1 saison 1990-91 : quelques dizaines de millions
Montant des dettes des clubs de PL à l’été 2010 : 2,6 milliards

Nombre de joueurs de D1 non britanniques et irlandais saison 1992-93 : 22
Nombre de joueurs non britanniques en 2011 : 257 (sur les listes des 25 de sept. 2011)

Pourcentage masse salariale/CA des clubs de D1 en 1991-92 : 41 %
Pourcentage masse salariale/CA des clubs de PL en 2009-10 : 77 %

Prix moyen d’un match de D1 en 1990 : approx. 4 £
Prix moyen d’un match de PL en 2012 : approx. 35 £

Revenus médias PL en 1992-93 : 80M
Revenus médias PL en 2010-11: 1,17 milliards

Revenus total des 22 clubs de D1 en 1991-92 : 75M
Revenus total des 20 clubs de PL en 2009-10 : 2,1 milliards

Salaire mensuel moyen PL 1992-93 : approx. 6 000 £ (4 fois plus qu’un joueur de D4)
Salaire mensuel moyen PL 2009-10 : approx. 125 000 £ (30 fois plus qu’un joueur D4)

Transfert record première saison PL entre clubs anglais : Roy Keane, 3.75M (08/1993)
Transfert record PL entre clubs anglais à ce jour : Fernando Torres, 50M (01/2011)

Valeur de Man United en 1990 (tentative d’achat par M. Knighton) : 20M
Valeur de Man United en 2012 : entre 1 et 2 milliards