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Il y a 120 ans, le 3 septembre 1892, Liverpool FC disputait le premier match de championnat de son histoire. Deux cents spectateurs assistèrent à la correction (8-0) infligée par les Reds à Higher Walton en Lancashire League à Anfield, stade occupé ces huit dernières années par… Everton ! Des Reds qui portaient le maillot bleu et blanc des Toffees, et ce pour quatre ans encore. Un anniversaire qui mérite un retour sur la plus insolite et acrimonieuse création de club du football anglais. En route pour une longue plongée dans le Liverpool glauque de l’ère victorienne.

A l’origine de la fondation du Liverpool Football Club, le principal Founding Father of Merseyside football : John Houlding (1833-1902). Un saint homme responsable à lui seul, excusez du peu, du développement d’Everton FC au tout début des années 1880 et de la naissance de Liverpool FC le 15 mars 1892 (le reste de l’intro est ici).

Suite du premier épisode.

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De club de quartier à l’élite nationale en quatre ans

En deux ans, les affluences locales entre rivaux ont été multipliées par cinq, grimpant jusqu’à 8 000 spectateurs payants (pour la finale de la Liverpool Cup en avril 1886 entre Everton et Bootle par exemple ; on savait se montrer généreux avec la communauté à l’époque et le comité de district versera la recette – la somme princière de 130 £ – à des œuvres caritatives locales). Inexorablement, le club développé par John Houlding commence à intéresser fortement quelques notables du cru.

En mai 1886, un personnage qui deviendra capital dans l’histoire d’Everton entre en scène : George Mahon, 32 ans. Cet expert comptable est d’abord simple member du club, sorte de socio de l’époque. Mahon est un chef d’entreprise (de comptabilité) très pieux et membre du Liberal Party, le parti rival des Conservateurs d’Houlding (le parti Travailliste n’existe pas encore).

Au printemps 1888, la situation sportive et financière d’Everton a radicalement changé. En passant d’association paroissiale au Big Twelve anglais, le club est devenu une affaire très juteuse (les revenus ont augmenté exponentiellement).
Car, en effet, lors du meeting fondateur de la Football League le 17 avril 1888 à Manchester, Everton a été choisi avec onze autres clubs pour inaugurer la toute première saison de Football League (1888-89). Un choix peut-être influencé par le joliment réseauté John Houlding et qui laisse sur le carreau plusieurs grosses cylindrées « historiques », dont Nottingham Forest et Sheffield Wednesday (appelé alors The Wednesday).

Le Management Committee de la Football League avança des critères géographiques pour partiellement justifier sa sélection (six clubs des Midlands et six du Lancashire – dont Liverpool dépendait alors) mais il est légitime de penser que John Houlding fit jouer ses relations pour permettre à Everton d’intégrer l’élite. Les rejects durent se rabattre sur la très inférieure Football Alliance et les championnats régionaux (voir ici sur l’organisation des principaux championnats de l’époque).

Le club a poussé à la vitesse grand V et l’argent débarquant en force, les premiers problèmes apparaissent en fin de printemps 1888. Un banal rapport de causalité en somme. Sauf qu’ici, les différends déclencheront une chaîne d’évènements aux conséquences inattendues.

Everton est une belle affaire et Houlding, logiquement, veut sa part du gâteau. Il annonce au directoire d’Everton qu’il a décidé de faire passer le loyer annuel d’Anfield de 100… à 250 £ ! Le board est sonné. Houlding a beau exposer des arguments cohérents et chiffrés (investissements lourds, emprunts contractés, revenus du club en forte hausse, etc.), la pilule ne passe pas. Soudain, aux yeux de certains, surtout ceux du clan Mahon, Houlding n’est plus ce bienfaiteur désintéressé qui a hissé ce club jusqu’à l’élite du football anglais mais un vulgaire arriviste.

Ses détracteurs, qui rongeaient leur ressentiment en silence, vont profiter de l’aubaine pour l’attaquer frontalement. Et pour ce faire, ils choisissent le terrain favori des Victoriens bien-pensants : la moralité.

1888, l’argent arrive (et les embrouilles avec)

Une partie des dirigeants d’Everton est constituée de religieux d’obédience presbytérienne ou méthodiste. Quelques-uns appartiennent même au Temperance Movement, des militants qui prônent l’abstinence totale face aux excès de la société urbaine victorienne. En clair, pas les joyeux drilles qui fréquentent les pubs de John Houlding.

George Mahon, fraîchement élu au directoire d’Everton et féroce adversaire politique du Conservateur Houlding (parti qui entretient des liens étroits avec la puissante industrie de la bière), appartient lui-même au mal nommé Liberal Party, une formation alliée localement au Temperance Movement sur les questions sociales. Mahon vient d’ailleurs de battre un protégé d’Houlding lors d’élections locales où les coups bas ont fusé. Entre les deux hommes, le torchon brûle.

Liverpool, aux mains des Conservateurs depuis trente ans [1], est alors en proie à une profonde crise multidimensionnelle et le discours law and order du Liberal Party commence à fortement séduire la population. Liverpool est alors la ville des extrêmes par excellence.

Côté pile (la vitrine), une cité opulente et monumentale, à la pointe mondiale de la technologique portuaire (ici), qui se gorge de culture dispensée dans des bâtiments majestueux à l’architecture internationalement réputée [2] ; les Américains de passage et certains journaux londoniens ne tarissent pas d’éloges sur ce « Chicago ou New-York de l’Europe ». Côté face, à la nuit tombée et sorti du centre-ville, un cloaque tout dickensien. Pour une partie de la presse nationale, Liverpool n’a rien de lumineux ou triomphal : elle est le black spot on the Mersey.

Les griefs de la population sont légion : alcoolisme, chômage chronique, violence (gangs notoires [3]), situation sanitaire épouvantable, logements inhabitables, surpopulation, enfants errants, malnutrition, pauvreté effroyable, taux de délinquance et mortalité records – jusqu’à trois fois plus élevés que la moyenne nationale selon les historiens. La prostitution galopante complète ce tableau dantesque et la presse en fait ses choux gras, titrant régulièrement sur les « 10 000 prostituées de Liverpool au service des matelots de passage ».

C’est donc dans ce contexte explosif que le Conservateur Houlding demande au board une augmentation de loyer de 150 %… Les puritains du directoire (ceux du Temperance Movement et du Liberal Party) qui ne trouvaient jusqu’ici rien à redire sur les activités professionnelles « immorales » de John Houlding (brasserie et pubs) tant que ce dernier finançait le club, lui collent désormais tous les vices de la terre sur le dos. Ils décrètent par exemple que les vestiaires d’Everton, situés à l’arrière du pub-hôtel que tient Houlding sur Anfield Road, ne sont  plus « moralement » convenables. Houlding est même accusé de pousser les joueurs à la boisson !

Succès sur le terrain, crise en coulisse

Lors de l’assemblée générale du club en juillet 1888, Houlding est contraint de lâcher du lest : le loyer n’augmentera pas de 150 % mais de 50 % (il passe donc à 150 £). Le brasseur se négocie toutefois une jolie prime de fin de saison (90 £ – soit un bon salaire annuel) dont le versement sera conditionné à la hausse du chiffre d’affaires du club. Houlding sait qu’il joue sur du velours, les revenus d’Everton ne flambent pas, ils explosent : sur les cinq dernières saisons 1883-1888, les recettes billetterie ont été multipliées par 47 ! (de 45 à 2 111 £).

Si diverses théories (d’ordre politique, religieux, personnel, etc.) coexistent pour expliquer le split entre Houlding et le directoire, le motif financier semble tenir la corde. Depuis 1888 et l’intégration en Football League, Everton (ci-dessous, maillot bleu et blanc) est devenue une superbe affaire commerciale qui attise maintes convoitises.

Le premier match de Football League contre Accrington (8 sept. 1888) attire 10 000 spectateurs à Anfield. Le spectacle ressemble parfois à du cirque et la sauvagerie de certains joueurs participe à l’immense succès populaire. Des joueurs n’hésitent pas à faire le coup de poing sur le terrain… et dans les tribunes. Un jour, en plein match, le no-nonsense défenseur Toffee Alec Dick se dirige vers un spectateur un peu agité et lui met un coup de boule ! Un bon siècle avant Eric Cantona, le public est très friand du spectacle viril proposé.

Everton-Newton Heath (Man United) en amical, 1889

Everton v Newton Heath (Man United) en amical, 1889

Surtout qu’en coulisses, le divertissement est tout aussi turbulent : supporters qui harcèlent les joueurs, équipes visiteuses qui arrivent la nuit tombée ou perdent la moitié de l’effectif en route, calendrier chaotique (le football s’organise), capitaine qui reçoit un colis avec 11 souris mortes en guise de menace… Tout y passe et la presse en redemande.

La formidable réussite financière d’Everton (4 328 £ de recette billetterie en 1888-89 [4], 7 260 spectateurs de moyenne) a notamment attiré quelques opportunistes qui reprochent à Houlding sa mainmise sur une activité lucrative dans cette société victorienne intempérante : les buvettes d’Anfield. En bon brasseur et tenancier de pubs, Houlding contrôle ce business florissant de A à Z (seules ses ales peuvent être vendues à Anfield par exemple) et refuse d’envisager un partage avec de potentiels associés.

Peu à peu, ce bienfaiteur qui a entièrement financé l’extraordinaire ascension du club  vers la Football League passe pour un profiteur autocratique aux penchants de débauché. Pour certains dirigeants, il va devenir l’homme à abattre. Entre-temps, en 1889, de nouvelles histoires de tambouille politique municipale ont intensifié la brouille entre Houlding et le nouveau numéro 2 des Toffees, George Mahon.

A suivre…

Kevin Quigagne.

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[1] Comme les temps ont changé… : les Conservateurs ont obtenu 4,49 % aux dernières élections locales organisées pour la première élection d’un vrai maire (à la française) à Liverpool. Le maire anglais, ou Lord Mayor, change tous les ans et n’a qu’une fonction honorifique et cérémoniale, sauf à Londres depuis 2000 ainsi que dans une quinzaine d’autres villes ou arrondissements londoniens, voir détails. Le système anglais de local government est complexe et non uniforme, voir ici – il change et évolue régulièrement : fréquents référendums et consultations locales sur maires, assemblées régionales, structure des comtés, etc.

Un système hétérogène qui donne parfois l’impression « de se chercher » comme s’il était tiraillé entre le système britannique traditionnel et le modèle européen auquel semble aspirer le gouvernement actuel, ici – qui lui aussi se cherche pas mal depuis deux ans et demi. Liverpool a donc un vrai maire depuis mai 2012, un politicien qui était en fait jusqu’ici Leader of the City Council (l’élu choisi par les Conseillers municipaux et qui fait office de maire dans le système britannique).

[2] Liverpool compte aujourd’hui plus de 2 500 monuments et bâtiments classés (listed buildings). Seules Londres et Bristol font mieux en Angleterre. La ville a été inscrite au patrimoine de l’Unesco en 2004.

[3] Cf le livre The Gangs of Liverpool de l’historien Michael Macilwee sur les hordes urbaines de voyous qui sévirent sur Merseyside durant toute la deuxième partie du XIXème siècle et défrayèrent la chronique locale et nationale. Certains gangs, forts de 200 membres, agissaient avec une violence extrême et n’hésitaient pas à attaquer dockers, matelots, forces de l’ordre et même les prisons ! (les employés du port pour voler les marchandises et les prisons pour libérer leurs membres).
Ces gangs, d’abord établis sur des bases religieuses ou identitaires (Prostestants contre Catholiques, souvent irlandais) terrorisèrent la ville pendant quarante ans. En février 1886, la presse locale rapporte même que l’une de ces bandes, le notoire High Rip Gang, causa des incidents avant un match d’Everton, nécessitant l’intervention de la police. Depuis cette époque, la réputation de Liverpool en souffre (souvent dépeinte en Angleterre comme la ville de tous les crimes et trafics – cité portuaire). Avec rechute sérieuse à la fin des années 1970, lire ce passage sur Liverpool en bas d’article.

[4] A noter que la moitié de la recette des matchs est alors versée au club visiteur – moins les dépenses de fonctionnement, environ 20 %. Cela restera le cas pendant… cent ans (!), jusqu’au milieu des années 1980 et la révolte du Big Five – dont Liverpool et Everton (voir Dossier Teenage Kicks sur la Naissance de la Premier League).

Il y a 120 ans, le 3 septembre 1892, Liverpool FC disputait le premier match de championnat de son histoire. Deux cents spectateurs assistèrent à la correction (8-0) infligée par les Reds à Higher Walton en Lancashire League à Anfield, stade occupé ces huit dernières saisons par… Everton ! Des Reds qui portaient la tenue des Toffees, et ce pour quatre ans encore. Un anniversaire qui mérite un retour sur la plus insolite et acrimonieuse création de club du football anglais. En route pour une longue plongée dans le Liverpool glauque de l’ère victorienne.

A l’origine de la fondation du Liverpool Football Club, le principal Founding Father of Merseyside football : John Houlding (1833-1902). Un saint homme responsable à lui seul, excusez du peu, du développement d’Everton FC au tout début des années 1880 et de la naissance de Liverpool FC le 15 mars 1892 [1].

Les éternelles querelles stériles entre clubs rivaux, tout autant que l’esprit clanique et territorial prédominant aujourd’hui, masquent une réalité historique trop fréquemment oubliée (sciemment ou non) dans le cas de Liverpool : les liens et l’héritage commun entre Liverpool FC et Everton FC sont multiples et forts. Un point illustré par ce fait unique dans les annales du football anglais : de 1902 à 1935, LFC et EFC partagèrent le même programme de match [2] ! De fait, les destins respectifs de ces deux institutions [3] se sont souvent entremêlés et sans les Toffees, Liverpool FC n’aurait probablement jamais vu le jour. Et sans John Houlding, le football aurait un tout autre visage dans cette ville à part.

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Le football à Liverpool : une entame poussive

Il faut attendre le début des années 1880 pour voir le football véritablement décoller sur Liverpool. Un démarrage très tardif comparé aux grandes villes du Nord et des Midlands (telles Sheffield, Birmingham, Stoke-on-Trent ou Nottingham) qui tapent déjà dans le cuir depuis deux bonnes décennies.

Dans son livre Red Men, le sociologue John Williams développe deux raisons principales pour expliquer ce retard à l’allumage.

D’une part, la structure socio-culturelle très hiérarchisée et cloisonnée de la ville (ainsi que sa polarisation extrême) fait que les décideurs locaux, hégémoniques, ont privilégié la pratique des deux sports de l’époque réservés aux classes aisées : le rugby et le cricket. Parallèlement, les niveaux de pauvreté et d’insalubrité affligeants – dont est notamment victime l’imposante colonie irlandaise échouée à Liverpool durant l’exode de 1845-50 – maintiennent la large population ouvrière ou inactive dans un état de santé alarmant. Le manque criant de verdure (docks et entrepôts dévorent l’espace) empêche également l’éclosion de tout sport de masse.

D’autre part, le prolétariat – employé dans les activités marchandes et portuaires – ne bénéficie ni des avancées sociales ni de la législation en vigueur ailleurs dans le pays (congé du samedi après-midi, durées de travail, etc. voir ici et ici), acquis souvent conquis de haute lutte. On baigne en plein cambouis de la révolution industrielle et le « progrès social » ne suit pas le rythme effréné des bouleversements économiques à grande échelle (des changements si soudains et profonds que Friedrich Engels comparera la révolution industrielle britannique à la révolution française). Aussi, depuis l’avènement du Luddisme – mouvement qui nourrira d’autres révoltes, dont celle des Canuts -, le militantisme est de rigueur. Sauf à Liverpool qui souffre d’un isolement social partiellement dû à sa condition de ville non manufacturière. La main d’œuvre, souvent intérimaire, y est fragmentée et peine à se mobiliser (les syndicats, légalisés nationalement en 1871 après des décennies d’oppression, y sont largement absents).

La nature précaire de l’emploi local fait donc accuser à la région un retard considérable sur le reste du pays et l’essor du ballon rond s’en trouvera d’autant plus freiné. Le samedi après-midi de repos, l’un des facteurs clés du développement du football de masse au Royaume-Uni (aussi bien niveau pratiquants que spectateurs), ne sera par exemple octroyé aux dockworkers qu’en 1890… quarante ans après leurs collègues ouvriers du textile de l’East Lancashire voisin ! (où certains derbies attiraient plus de 10 000 spectateurs dès 1880).

Un curé et un franc-maçon pour donner le coup d’envoi

Le football est donc inexistant à Liverpool jusqu’à la fin des années 1870. John Williams rapporte des chiffres éloquents, tirés des journaux des West Midlands et de Merseyside, sur le nombre officiel de matchs disputés localement en 1880 : 811 sur Birmingham contre… 2 à Liverpool.

Le Père Chambers, un curé comme on aurait aimé en avoir un au cathé

Le Père Ben Chambers : un curé comme on aurait aimé en avoir un au cathé

Comme souvent à l’époque, c’est un religieux qui donne au football l’impulsion nécessaire, l’église ayant fait sienne les idéaux victoriens d’effort physique salutaire et de virilité.

En 1878, Ben Swift Chambers, prêtre fraîchement rattaché à la nouvelle église méthodiste de St Domingo située dans le quartier d’Everton [4], monte un club, le St Domingo’s FC (l’église a été détruite par des bombardements pendant la seconde guerre mondiale, mais une truelle et un maillet qui servirent à sa construction trônent aujourd’hui dans la réception de Goodison Park – bel exemple de tradition à l’anglaise !).

Everton et la religion, c’est une histoire d’amour : Goodison Park est le seul stade au monde à compter une église dans son périmètre ! (ici) Jusqu’aux Eighties, des spectateurs grimpaient sur l’édifice, situé dans un virage du stade, pour suivre les matchs… Depuis, la health and safety est passée par là – escalade impossible – et un écran géant a été installé dans l’angle.

L’été étant réservé au cricket, il s’agit surtout pour le Reverend Chambers d’occuper ses ouailles l’hiver et les préserver ainsi des fléaux ravageurs de l’époque (dont le jeu et l’alcool – Liverpool intra-muros, 550 000 habitants, compte alors 2 600 débits de boissons !). Les jeunes du club se retrouvant souvent devant un hôtel voisin de la confiserie Ye Anciente Everton Toffee House qui vendra ensuite ses caramels en quantité industrielle aux supporters (supplantée quelques années plus tard par la Mother Nobletts Toffee Shop près de Goodison Park), le club acquiert peu après son célèbre surnom.

Les « Moonlight Dribblers » d'Everton FC, vers 1881

Les « Moonlight Dribblers » d'Everton FC, vers 1881

Le succès est immédiat et en novembre 1879, ce club SDF est rebaptisé Everton FC. La municipalité l’autorise à jouer dans le grand parc local ouvert quelques années auparavant, Stanley Park.

Mi 1880, John Houlding, un riverain et politicien Tory de 48 ans mordu de sport, se prend d’intérêt pour ce minot qui s’illustre surtout dans les matchs amicaux et la Lancashire Senior Cup (le premier championnat local ne verra le jour qu’en 1882-83, en même temps que la Liverpool Senior Cup, coupe toujours disputée).

Le club grandit vite et sa renommée s’étend rapidement. En 1881-82, Everton se semi-professionnalise et ses joueurs gagnent le surnom de « The Moonlight Dribblers » car ils s’entraînent quasi quotidiennement après le travail (ils se font également appelés « The Black Watch » – du nom d’un célèbre régiment écossais – et jouent une saison en noir).

L’envol dans l’errance

Le football devient une affaire sérieuse sur Liverpool et cela n’échappe pas à Houlding, un notable philanthrope [5] (il fait aussi beaucoup pour la jeunesse désœuvrée) qui pense aussi sans doute que ce sport est le vecteur idéal pour l’épanouissement de sa carrière politique.

Cet ancien employé de brewery (brasserie de bières) a gravi tous les échelons pour devenir chef d’entreprise. Il possède alors la Houlding’s Brewery Co. Limited et deux pubs-hôtels, dont le Sandon Hotel (voir plus bas). Ce franc-maçon vit sur Anfield Road, dans une maison adjacente à Stanley Park, là où les Evertonians s’entraînent. Fin 1881, Houlding est nommé président du club.

Saison 1882-83, l’engouement local pour le football est tel que les clubs ont poussé comme des champignons (on en dénombrera 112 en 1885). Certaines affluences d’Everton, en particulier contre Bolton Wanderers ou leur grand rival Bootle FC, dépassent les 2 000 spectateurs, massés anarchiquement dans un coin de Stanley Park. La municipalité s’inquiète des nuisances causées, en particulier du bruit et des mouvements de foule. Ces derbies occasionnent même parfois des incidents entre supporters. Un enthousiasme débordant qui, selon la presse locale, est symptomatique d’une « football fever » qui gagne le centre et le nord du pays.
Par ailleurs, les nouvelles législations health and safety qui fleurissent un peu partout (déjà !) obligent les mairies à règlementer la pratique du football de masse. Everton est prié de décamper.

Eté 1883, un riverain prête alors au club un terrain adjacent à l’immense cimetière d’Anfield. Everton y fait installer une main courante, des vestiaires et même une petite tribune. Mais au bout d’un an, ce propriétaire altruiste se ravise : ce football est décidément trop braillard et la taille des chambrées l’affole (ainsi que les personnes venues se recueillir sur les tombes voisines…).

Printemps 1884, Everton se nomadise donc de nouveau. Mais cette fois, les Toffees accueillent l’expulsion avec philosophie, opportunisme même : ce site ouvert les empêchait d’imposer un droit d’entrée et l’on décide qu’il faudra dorénavant payer.

La naissance d’Anfield

John Houlding convainc l’un de ses amis brasseurs, un certain John Orrell, de sous-louer au club une parcelle de terrain (abandonnée par l’Everton Cricket Club) qu’il possède, entre Anfield Road et Walton Breck Road. Anfield est né. Toutefois, les Toffees ayant acquis une réputation d’enfant terrible, les termes du contrat entre Everton FC et Orrell sont stricts [6] :

« Everton Football Club s’engage à a) maintenir le site et les murs en bon état b) ne causer de trouble ni à Mr John Orrell ni à l’ordre public ou aux résidents et locataires avoisinants c) s’acquitter des taxes locales et d’un petit loyer ou verser un don annuel au Stanley Hospital au nom de M. John Orrel. »

Le 27 septembre 1884, le premier match (amical) s’y dispute entre Everton et Earlestown (5-0), devant une bonne chambrée. Cette rencontre est en effet une sorte de Trophée des champions de l’époque, Everton étant détenteur de la Liverpool Senior Cup et son adversaire l’un des clubs phares de la ville.

En 1885, année de l’officialisation du professionnalisme du football, Houlding sent que ce sport est rapidement amené à connaître un avenir exceptionnel. Celui que la presse surnommera King John of Everton ou Honest John (il cultive un contact simple et un langage populaire) met alors le paquet : il emprunte lourdement – 4 000 £ – et rachète le terrain à Orrell pour 6 000 £ (plus d’un million de £ actuels). Il y fait installer barrières et tourniquets ainsi que des gradins temporaires.

Le club organise désormais ses réunions dans le principal pub d’Houlding, le Sandon Hotel, situé à 300 mètres d’Anfield (aujourd’hui quartier général des supporters du LFC. En 2008, Tom Hicks Junior, membre du directoire et grossier fiston du très controversé ex co-propriétaire Tom Hicks Snr, y aurait été chahuté alors qu’il y sirotait un verre, ici).

L’année suivante, Houlding fait construire une tribune en dur sur Kemlyn Road (aujourd’hui la Centenary Stand, inaugurée le 1 septembre 1992 pour marquer le centenaire du premier match officiel disputé par LFC, photo de gauche). Luxe suprême pour l’époque, ce stand est couvert. Houlding facture Everton FC un loyer annuel modique pour l’utilisation d’Anfield : 100 £, une somme qui ne couvre même pas ses remboursements de prêt.

Si en cette année 1886 tout baigne pour Houlding et les Toffees, l’arrivée de l’ère professionnelle – donc de l’argent, des investisseurs, du public et bientôt de la Football League – est susceptible de bouleverser la donne à tout moment…

A suivre.

Kevin Quigagne.

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[1] L’autre date officielle étant le 3 juin 1892 (date administrative de la fondation de LFC, voir ici).

Je me suis efforcé de restituer les événements et personnages impliqués de la manière la plus objective et documentée possible. La difficulté de l’entreprise est réelle car il n’existe pas une version « officielle » mais deux, au moins : celle de Liverpool FC et celle d’Everton FC. Pour schématiser, la première présente John Houlding sous un jour favorable ; la dernière est dans l’ensemble critique à son égard (et donne le beau rôle à son grand rival, George Mahon). Compte tenu de l’ancienneté des faits et la manière parfois aléatoire, voire subjective (ou même involontairement tronquée), dont l’histoire du football de club fut enregistrée au XIXè siècle, il est impossible d’être définitif et catégorique sur nombre de points. A l’avènement du football, et par conséquent des rubriques Sports des journaux locaux, très peu de journalistes ou d’historiens suivaient les clubs (et absolument pas obsessionnellement comme maintenant) ; on devait souvent s’en tenir à la version de témoins ou d’insiders, plus ou moins partiaux ou fiables, version des évènements racontée parfois bien après les faits.

Parmi les dizaines de sources étudiées au cours de mes recherches (sites et livres* « neutres » ou émanant d’historiens de ces clubs), les avis et témoignages de l’époque se sont parfois opposés. En l’absence occasionnelle de preuves avérées ou « irréfutables », une démarche quelque peu heuristique s’est imposée d’elle-même : il s’est agi de tenir compte à la fois du contexte et d’un ensemble de probabilités pour trancher ou s’abstenir. Un point fait toutefois l’unanimité : sans John Houlding, le football liverpudlien ne serait pas fort de cette unique richesse qui le caractérise.

[*Liverpool: The complete record est à citer tout particulièrement. Ce pavé publié en août 2011 est l’œuvre des créateurs islandais de l’incontournable www.lfchistory.net. L’équivalent Toffee Everton: The Official Complete Record coûtant 70 £, je me suis rabattu, entre autres publications, sur The Essential History of Everton et l’indispensable www.toffeeweb.com].

[2] Voir ici et ici.

[3] Le terme « institution », souvent galvaudé, est à manier avec précaution. S’il s’applique incontestablement à Liverpool FC, le standing d’Everton est plus problématique à définir (palmarès moins étoffé, rayonnement moindre, etc.). Toutefois, parmi les critères retenus, l’incroyable longévité des Toffees en D1 – la plus remarquable du football anglais – a fait pencher la balance en leur faveur : 110 saisons parmi l’élite sur 114 possibles ! Leur déclin relatif, passage en D2, eut lieu dans les années 50… comme pour le voisin Liverpool !

[4] Everton, l’un des trente Council Wards de Liverpool, est situé à trois kilomètres au nord-est du centre-ville. Dans les années 1880, ce ward – division administrative et électorale d’une ville – était un quartier relativement aisé, prisé de la petite bourgeoisie locale. Everton FC n’a en fait jamais joué dans le ward du même nom mais dans celui d’Anfield (voir carte des wards de Liverpool ci-dessus). Aujourd’hui, les wards voisins d’Everton et Anfield sont officiellement classés parmi les plus pauvres d’Angleterre. Dans le dernier Index of Multiple Deprivation à classer les 8414 wards du pays selon les critères suivants, Everton figure dans les cinq most deprived wards in England. Le classement IMD s’établit désormais sur les 326 districts anglais – un District est une sous-division administrative (ville, comté, bout de comté, etc. voir ici). Le IMD 2010 plaçait Liverpool District « en tête », devant les deux Boroughs londoniens d’Hackney et Newham et Manchester District.

A lire cet intéressant article sur le quartier d’Everton et Simon Abrams, un médecin pas comme les autres (qui n’est pas sans rappeler l’icône britannique Florence Nightingale, cette légendaire fille de richissimes industriels qui réforma totalement le métier d’infirmière et consacra sa vie à soigner les indigents et blessés de guerre).

[5] Dans le sens victorien du terme, à savoir souvent un industriel ou tout autre bienfaiteur qui escomptait un retour sur investissement – surtout si engagé en politique, comme J. Houlding -, au moins en terme de notoriété.

[6] Extrait tiré du livre Everton FC: The Men from the Hill Country (the development of Everton FC during the reign of Queen Victoria)