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Si le football anglais a dominé la scène européenne des Seventies aux Nineties, on ne peut pas en dire autant de ses maillots.

Le consensus est unanime : le pire maillot de football jamais créé est le Rodeo Fringe. Instantanément reconnaissable grâce à ses lanières en cuir, il fut porté par les éphémères Colorado Caribous en 1978. In-dé-trô-na-ble.

Mais ne nous gaussons pas trop. Des horreurs, il en eut aussi des wagons dans le football anglais, surtout au cours des Nineties, la décennie de tous les massacres. Partons pour une longue plongée dans le Hall of Shame du maillot anglais. Aujourd’hui, première partie : présentation de la Dirty Dozen, les Douze qui salopèrent le plus la tunique sacrée.

 

Radioscopie de l’horreur

1. Hull City 1992-déc. 93 (D3), maillot domicile

Réunion d’avant-saison entre les dirigeants de Hull et le designer, l’écossais Matchwinner.

Designer : « C’est comment déjà votre surnom ? »

Président du club : « Les Tigers »

Designer : « OK, merci, c’est tout ce je voulais savoir »

On n’ose imaginer ce que Matchwinner aurait produit pour Sheffield Wednesday (les Chouettes) ou Lorient. Un maillot en plumes ou en écailles ?

La mother and father de tous les maillots hideux, pondue par un designer en manque cruel d’inspiration et qui en profita pour faire exploser les limites du mauvais goût. On se croirait parti pour un safari en tenue camouflage.

Verdict TK : saisissant de laideur.

 

2. Scunthorpe United 1994-95 (D4), maillot extérieur

Encore un classique des années 90. Le coin Scunthorpe-Grimsby-Skegness peut s’enorgueillir d’un riche passé industriel mais aussi d’être une station balnéaire très fréquentée de la côte Est, un mini Blackpool hardcore en quelque sorte. Donc, barpapapa, fish ‘n’ chips à gogo, montagnes russes et manèges. Le sponsor, Pleasure Island, est le Shangri-La local, un gigantesque parc d’attraction.

On ignore où voulut en venir le designer (l’obscur Alan Ward Sports) avec cette stupéfiante création, mais on peut supputer qu’il tenta de recréer les couleurs chatoyantes et le flonflon de la fête foraine. Ça ou alors il consommait des champignons hallucinogènes par paniers.

Un nouvel écusson fut aussi introduit cette saison-là, suite à une compétition organisée dans les écoles de la ville. Le vainqueur : un emblème symbolisant les liens étroits entre Scunthorpe et l’industrie de l’acier. Un design à l’allure toute nord-coréenne. Si les amateurs d’art réaliste russe furent ravis, les supporters des Iron protestèrent, en vain. La triple combinaison Pleasure Island, couleurs Lounge d’aéroport soviétique et poing-barre de fer accouchèrent d’un résultat scotchant.

Verdict TK : médaille d’argent amplement méritée, pour l’ensemble de l’œuvre.

 

3. Coventry City 1981-83 (D1), maillot domicile

Jusqu’en 2006, Coventry était le Sochaux anglais, Peugeot y avait une usine. Afin de contourner les strictes régulations TV sur la taille du sponsor, le designer Talbot Sports opta pour un peu discret « T » à la gloire de la sous-marque (également sur le short…). Pas de chance pour les Sky Blues, la BBC et ITV ne tombèrent pas dans le panneau et décidèrent de ne plus diffuser Coventry (qui dut créer un design différent pour les matchs télévisés). Le légendaire Jimmy Hill (alors président du club) y tenait tellement à son Talbot qu’il essaya même de rebaptiser le club Coventry Talbot ! (fort heureusement, la FA le lui interdit).

Verdict TK : on imagine bien Pedretti le porter au volant de la 205.

 

4. Coventry City 1978-81 (D1), maillot extérieur

Toujours nos amis des Midlands, à l’imagination décidément fertile. Les pauvres, entre le maillot domicile (voir 3) et l’extérieur, c’est la totale. Un coup d’Admiral, qui eut la détestable idée de remplacer le traditionnel bleu clair du club par un immonde marron chocolat (qui a l’air de ravir Ian Wallace – photo). Les supporters adverses se régalèrent (chants douteux). Maillot devenu culte à Coventry depuis.

En 2008, pour marquer le 125è anniversaire de la création du club, l’équipe le porta lors de la dernière journée (défaite – relégation en D3 évitée d’un point). Le gros millier de ces maillots collectors mis en vente pour l’occasion partit comme des hot cakes.

Verdict TK : vive le chocolat.

 

5. Hull City jan. 1994-95 (D3), maillot domicile

Suite à une bataille judiciaire entre Hull et Matchwinner en 1993, le club changea de designer. Ouf, se dirent les supporters… Sauf que le nouveau concepteur (Pelada) conserva le même thème Safari. Apparemment, se justifia-t-il, la version 1992 avait été un succès commercial. Oh dear.

Un zoologue avisé notera cependant quelques différences. Le tigre a disparu, pour laisser place à un croisement hybride entre espèces en voie d’extinction. On devine du léopard, de la panthère, du tigre bengalais, saupoudré de puma argenté. Le designer avait-il bossé à Thoiry l’année précédente ? Pas impossible. Il se dit du côté de Hull que l’ex Tiger Bernard Mendy s’en servait comme descente de lit. Porté pendant une saison et demie, avant qu’on pige à Hull qu’il fallait vraiment arrêter de regarder Daktari en boucle.

Verdict TK : on aurait adoré voir Bernard Mendy le porter, mais on a eu Dean Windass et c’est pas mal non plus…

 

 

6. Norwich City 1992-94 (PL), maillot domicile

Ce chef d’œuvre, signé Ribero, est l’une des vedettes incontestées du Hall of Shame du maillot anglais.

Pour la saison inaugurale de Premier League, Norwich City fit très fort (il finira troisième) et les grands d’Europe se pressèrent à Carrow Road la saison suivante. Le Bayern Munich et l’Inter Milan, probablement hallucinés de jouer contre une équipe de paintball, se firent presque plumer dans le Norfolk. Un maillot saveur guano qui n’empêcha pas les Canaries de terrasser le Bayern à l’Olympiastadion (1-2), grâce à ce but très teuton de Jeremy Goss.

Le début des Nineties, c’est l’âge d’or de la diabolique mode paint fleck (petites touches de peinture). Les supporters des Canaries lui donnèrent le surnom moins artistique de « maillot caca d’oiseau ». Pour expliquer le procédé de fabrication, certains bardes locaux évoquèrent « un nuage de fous de Bassan qui auraient déféqué en masse sur des rouleaux de tissu ». Voir photo de Lee Sharpe bataillant parmi une volée de Canaries (Norwich-Man United de 1993). 

Verdict TK : au moins, Nantes n’a jamais connu pareille humiliation.

 

7. Wolves 1992-93 (D2), tenue domicile

L’un des maillots les plus abominables jamais produits. Le designer, le très éphémère (et ultra Wolves-centrique) Molineux, a carrément transposé les traces de pneus du circuit d’essai au tissu. Original, mais dangereux. A s’en décoller la rétine si on regarde de trop près. Le short est également couvert de traces de gomme noire et le pauvre loup de l’écusson se retrouve écrasé par un vilain dérapage incontrôlé.

Il n’y a guère que l’élégant col qui empêche cette monstruosité de figurer dans le Top Five. Même dans l’ère déjantée du design de l’époque, cet épouvantail indisposa et fut dûment rejeté par les supporters. On le retira au bout d’une saison et on entendit plus jamais parler de ce mystérieux designer Molineux (la tea-lady du club ?).

Verdict TK : annus horribilis pour Goodyear et les Wolves.

 

8. Huddersfield Town 1991-92 (D3), maillot extérieur

On croirait ce maillot issu d’une expérimentation malheureuse menée dans un laboratoire British Energy et dirigée par un allumé du spirographe. Sorte de croisement entre les délires d’un savant fou et une toile de tipi d’un mauvais western. Très caractéristique de son époque, le début des années 90, où on était persuadé de faire jazzy en surchargeant et massacrant le design (un style « graphique électrocardiogramme » qui fit bon nombre d’émules, sadly).

Ici, on a clairement essayé d’injecter du dynamisme avec des effets électrisants. Loin de galvaniser les foules, ces electric hoops ringardisent encore plus l’ensemble. Le col, très Last Chance Saloon, donne à penser que John Wayne va débarquer dans le vestiaire tous colts dégainés et canons fumants. Le sponsor-designer Gola ajoute à l’effet désespérado. Pourtant, cette atrocité se vendit comme des petits pains et devint tellement culte que le club remit en vente le Gola en début de saison 2010-2011.

Verdict TK : loin de donner la gola.

 

9. Arsenal 1991-93 (D1-PL), maillot extérieur

Un jaune banane pourrie, un bleu-noir délavé, des motifs triangulaires, des zigzags et lignes tous azimuts, une surcharge d’éléments, des effets de surimpression planants… aucun doute, nous sommes bien au début des Nineties. Le matériel (polyester) et les techniques d’impression se sont améliorés et les designers se la pètent.

Connu sous le nom de bruised banana shirt (maillot banane écrasée), cette abjection est un pur produit de l’époque, où toutes sortes d’expérimentations funestes furent tentées. On sortait des années 80 thatchériennes, tourmentées et matérialistes. Beaucoup de verrous inhibiteurs avaient sauté dans la société anglaise et on baignait en plein dans l’ère pré-bling bling (mantra de l’époque : « Greed is good – if you’ve got it, flaunt it » – « La cupidité, c’est bien. Si tu as de l’argent, montre-le »). Adidas travaillait pour Arsenal depuis 1986, mais en 1994, fatalement, les Gunners dirent basta et s’attachèrent les services de Nike.

Verdict TK : aurait largement pu faire sombrer Tony Adams dans l’alcoolisme (fort lucidement, il n’attendit pas Adidas pour ça).

 

10. Tottenham Hotspur mars 1992-94 (D1-PL), maillot third

Encore une victime de cette satanée évolution des techniques d’impression à la fin des Eighties. Si ce spécimen sort du lot, c’est évidemment pour la sinistre trouvaille d’Umbro : imprimer le nom du club en gros sur le maillot en lui donnant un effet décoiffant (style pare-soleil Gordini). Des fois que les mercenaires de passage ne se rappellent plus pour qui ils avaient signé… Ce maillot fut introduit pour la première fois à l’occasion d’un match de coupe d’Europe contre Feyenoord et fut même parfois préféré au change shirt (jaune).

1990-1992, c’est l’époque de la renaissance de l’élite anglaise (Premier League), des débuts de Sky et sa conquête planétaire. La rumeur courut que si le nouveau propriétaire du club, l’ambitieux mais peu subtil Alan Sugar, avait commissionné un tel maillot, c’est qu’il visait un marché et des contrées incapables de situer l’Angleterre (et encore moins Tottenham) sur une carte du football mondial. Une expérience désastreuse que Tony Sealy, historien du club, décrivit comme « parfaitement vulgaire ».

Verdict TK : un grand classique de la crise identitaire.

 

11. Stoke City 1996-97 (D2), maillot extérieur

Le sponsor (Broxap) jetant l’éponge précipitamment fin 1996, Asics prit la double casquette designer-partenaire dans l’urgence. Le responsable design confondit-il vitesse et précipitation ? Pourquoi, après la malheureuse expérience Spurs quatre ans plus tôt, persista-t-on sur la même voie ? Peut-on être fier de jouer pour les Potters ?

Des questions qui devraient assurément figurer au bac philosophie mais qui resteront à jamais sans réponse. Et cela vaut mieux ainsi. Design surréaliste, dans la même veine que le précédent (le # 10). Cependant, il arriva bien des années plus tard, donc ne peut bénéficier d’aucune circonstance atténuante. Clairement conçu par un stagiaire ivre, qui bidouillait avec un logiciel pouilleux en essayant laborieusement de reproduire un effet graffiti vu sur MTV.

Verdict TK : risible.

 

12. Brighton 1990-93 (D2 & D3), maillots extérieur

Les Seagulls durent porter ces infamies rosées pendant trois saisons (signées Spall et Ribero respectivement), l’une toute en ondulations psychédéliques, l’autre faisant penser à un massacre au couteau de boucher. Calvaire supplémentaire : ils endurèrent le nom de Nobo comme sponsor de 1986 à 1991. On comprend mieux leur détresse quand on sait que le très usité knob (prononcez nob) veut dire à la fois « connard » et « bite ». Sans parler des chants des supporters adverses, dont le célèbre « Does your boyfriend know you’re here ? » (Brighton est la ville la plus gay d’Angleterre). Le short est pire ; il est vendu sur les sites vintage avec la mention « Very rare crazy design shorts ». Un maillot vite surnommé chewit (mâche-le) pour son côté papier de bonbon acidulé.

Guère étonnant donc qu’en 1992 les Mouettes, déprimées, entamèrent une longue descente aux enfers, passant des sommets de la D2 en 1991 à l’avant dernière place de D4 en 1996. Avec entre temps, une énorme crise financière et une vente de leur stade qui les força à s’exiler deux ans à Gillingham, à 120 kilomètres de Brighton. Miraculeusement, ils ne descendirent pas en non-League (car à l’époque un seul club de D4 était relégué). Et tout ça (peut-être) à cause d’un maillot…

Verdict TK : Allo maman Nobo.

Kevin Quigagne.