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Il y a cent dix ans cette semaine, Manchester United fut sauvé in extremis d’une disparition certaine par un certain Major. Non, pas un ancêtre de John et ses moeurs Benny Hillesque, mais un mammifère bien plus respectable : un Saint-Bernard errant.

Le sauvetage de club le plus cocasse et spectaculaire du football anglais n’est pas le fait d’un ou homme d’affaires excentrique ou d’un sugar daddy illuminé mais d’un chien. Si Manchester United en est là aujourd’hui, il le doit en effet indirectement à un brave toutou. Grâce à Major, le club déclaré en faillite et à deux doigts de la liquidation renaîtra de ses cendres pour connaître une fabuleuse décennie, l’une des plus glorieuses de sa riche histoire. Aujourd’hui, deuxième et dernière partie : de 1901 à 1912 (première partie ici).

Un sauveur aussi miraculeux qu’inattendu

Harry Stafford

Harry Stafford

Au soir du premier mars 1901, la kermesse de la dernière chance achève sa troisième journée dans l’abattement général, l’objectif de 1 000 £ étant chimérique. Dans un ultime réflexe de survie, le capitaine et joueur emblématique de l’équipe, Harry Stafford (alors 160 matchs au compteur mancunien), décide d’associer son chien Major aux efforts de collecte. Captain Courage est alors loin de se douter que cette idée anodine changera involontairement et à jamais la destinée du club.

Le lendemain, c’est avec une grosse boîte-tirelire sur le dos et un tonneau miniature de Cognac au cou que le Saint-Bernard se promène parmi les stands. En fin d’après-midi, un formidable coup du sort va faire basculer le cours des choses. A force de gambader partout, Major se fait la belle. Une jeune fille, Elsie Davies, le repère et le ramène chez elle. Elle supplie son papa, John, un riche propriétaire de brasseries, de l’adopter. La boîte comporte la mention Newton Heath FC et une adresse. Le lendemain, Papa Davies rapporte Major à son propriétaire.

Instantanément, John Davies et Harry Stafford sympathisent. Tous deux travaillent dans la même branche (Stafford tient un pub) et ils se sont même déjà vaguement rencontrés professionnellement. Un deal est discuté : si John Davies verse 200 £ pour garantir l’avenir immédiat du club, sa fille pourra garder le chien. Marché conclu. Peu à peu, Davies va tomber amoureux du club.

En décembre 1901, les matchs attirent à peine 3 000 spectateurs et la situation financière est à son nadir. Le 9 janvier 1902, des huissiers tambourinent à la porte du club en présentant aux dirigeants une injonction de paiement émanant d’un investisseur qui veut récupérer ses billes (242 £). Cet homme n’est autre que William Healey, le président de Newton Heath FC… Les bailiffs concluent leur visite en déclarant le club en faillite et cadenassent les portes du stade. Si cette somme n’est pas réglée sous quinze jours, le plan de liquidation du club sera activé, sonnant à jamais la disparition de Newton Heath FC. Interdit de stade et donc dans l’impossibilité de disputer son prochain match à domicile, le club doit alors chambouler le calendrier.

L’ange gardien John Davies

John Davies

John Davies

Si toute une batterie de mesures protège aujourd’hui les clubs de la banqueroute, telle l’exemption de remboursement des dettes fiscales ou des créances dites « non sécurisées » (d’où la rareté des dissolutions de clubs), à l’époque, on ne fait guère de sentiment. Appelé à la rescousse par Harry stafford, John Davies accourt au chevet du mourant. Aidé de trois investisseurs, il réunit les fonds nécessaires (2 000 £) et rembourse le gros des dettes. Le quatuor s’engage également à verser 3 000 £ sous forme de prêt pour recruter des joueurs.

Le 24 avril 1902, lors d’une assemblée extraordinaire dans un New Islington Public Hall bondé, John Davies est nommé président du club. Le surlendemain, pour symboliser cette renaissance, on décide de rebaptiser le club. Manchester Celtic et Manchester Central sont suggérés, mais tous deux sont rejetés (le premier car le club n’a aucune connection celte ; le second car il sonne trop comme une gare ou un site industriel).

Finalement, le choix s’arrête sur Manchester United FC, une suggestion du dirigeant Louis Rocca, un fils d’immigrés italiens qui jouera un rôle primordial dans le fonctionnement du club jusqu’à sa mort en 1950. Ce United, contrairement à d’autres (tel Newcastle United), n’est pas ici le fruit d’une fusion entre deux clubs mais l’expression d’une mise en commun de ressources et d’une union sacrée de moyens. Dans la foulée, on change aussi les couleurs aussi. Exit le vert et or de Newton Heath, place au rouge et blanc. Voici le seul film existant d’un match de Man United disputé lors de sa première saison (Burnley-MU, 6 décembre 1902).

Place au défi sportif

Ernest Mangnall

Ernest Mangnall

Le club sauvé, il s’agit maintenant de le faire monter parmi l’élite. Le 30 septembre 1903, Ernest Mangnall, un personnage charismatique qui vient de quitter un Burnley en grande difficulté, est nommé entraîneur. A l’aise avec les médias, Mangnall sera le premier grand manager de Man United (le terme « manager » ne sera utilisé à Manchester United qu’à partir de 1914. Mangnall est appelé « Club secretary » ou même parfois « Second secretary »).

Eté 1904, Mangnall arrache Charlie Roberts à Grimsby Town pour la somme record de 400 £ (jusqu’à 600 £ selon certaines sources). Ce puissant arrière central est généralement considéré comme la première véritable vedette du club (il fut le premier international anglais de Man United). Ci-dessous la photo d’équipe 1904-1905, avec au premier plan le sauveur du club, « The » Major.

La montée tant attendue arrivera en fin d’exercice 1905-06, après douze saisons en D2. Pour récompenser Mangnall, le club augmente son salaire, substantiellement : 1 £ supplémentaire par semaine ! La longue conquête aux trophées peut commencer. Deux titres de Champion d’Angleterre seront remportés sous l’ère Mangnall, en 1908 et 1911, ainsi qu’une FA Cup (1909). Entre temps, John Davies a fait bâtir Old Trafford, qui accueille ses premiers spectateurs (45 000) le 19 février 1910 contre Liverpool (voir ci-dessous).

Tout comme John Davies, Ernest Mangnall occupe une place de choix dans l’histoire de Man United. Outre les trois titres qu’il apporta au club, il fut l’un des artisans de la construction d’Old Trafford ainsi que de la transformation du club durant cette décennie. Cependant, en septembre 1912, un coup de théâtre se produit : Ernest Mangnall quitte le club dans des circonstances controversées… pour Man City.

Manchester United en 1910

Manchester United en 1910

Mangnall parti, personne ne se doute alors des crises successives (sportive et financière) qui vont s’abattre sur Man United et de la très longue traversée du désert que connaîtra le club. Il faudra en effet attendre 1952 et l’ère Matt Busby pour revoir la couleur d’un titre en championnat. Si John Davies est parfois surnommé « le premier ange gardien de Man United », James Gibson, sera son deuxième homme providentiel. En 1931, quatre ans après la mort de John Davies qui aura passé vingt-cinq ans à la tête du club, Gibson sauvera un United touché de plein fouet par la Grande dépression de 1929 et une nouvelle fois menacé de disparition.

Quant à Major, il succéda à la première mascotte du club, Michael the Canary (en fait… une oie), et de 1902 à 1906, il fut paradé et fêté comme un héros avant chaque match à domicile. Major fut ensuite remplacé par la chèvre Billy the Goat, qui connut un destin à la Garrincha. Au cours des célébrations post-finale de FA Cup le 24 mars 1909, la biquette picola trop et mourut d’intoxication éthylique (sa tête est préservée dans le musée du club).

Les deux titres de 1908 et 1911

1908. MU, 52 points (2è Aston Villa, 43. 3è Man City, 43). Affluence moyenne sur la saison : 23 368.

United démarre fort : quatorze victoires sur les quinze premiers matchs, dont un 6-1 à l’extérieur infligé au champion sortant, Newcastle. Le reste de l’exercice sera un long fleuve relativement tranquille. Les 52 points obtenus constituent un record depuis la création de la Football League (23 victoires, 6 nuls, 9 défaites). En raison du plafonnement des salaires et de l’interdiction des primes décidés par la FA en 1901 (le salary cap continuera jusqu’en 1961, voir détails ici, entrée du 14 janvier), pour récompenser les joueurs, le club organise une tournée en Autriche-Hongrie où United joue devant des foules immenses.

Ironiquement, Man United doit son premier titre à Man City. Cette saison-là, United bénéficie en effet à plein de l’inclusion de quatre Citizens, donc le fameux Billy Meredith, un ailier de 33 ans qui aime tracer sur son flanc le cure-dent aux lèvres. Une manie assurément plus propre que le tabac qu’il mâche parfois pendant les matchs et recrache à la volée (certains employés refusent de nettoyer son maillot couvert de chique mouillée). Meredith est considéré non seulement comme le meilleur joueur de l’époque mais aussi comme la première vedette du football britannique. Billy Meredith, qui avait été mineur au Pays de Galles de douze à vingt ans, avait la santé puisqu’il évolua en D1 avec les Citizens jusqu’à cinquante ans ! Il collectionnait aussi les surnoms, dont « Le Magicien Gallois », « Le Roi du dribble » et  « Le Vieux Maigre ». En 1926, il joua même le rôle d’un entraîneur dans le film « The Ball of Fortune ».

Charlie Roberts

Charlie Roberts

Ces quatre recrues font partie des dix-sept joueurs licenciés et vendus (aux enchères !) par Man City à la suite d’un retentissant scandale portant sur des paiements illégaux (ici). Dans l’équipe, il y a aussi l’arrière central Charlie Roberts, une forte tête qui refuse de porter un short long. Lors d’une série de visites à Old Trafford (après des études à Manchester), le célèbre entraîneur italien et fervent anglophile Vittorio Pozzo le considéra comme le meilleur joueur au monde. Alors que le positionnement était rigide dans les dispositifs de l’époque, Roberts était le seul défenseur qui n’hésitait pas à attaquer, ce qui ne manqua pas d’impressionner l’Italien. Plus tard, en tant qu’entraîneur de la Squadra Azzura de 1929 à 1948, Pozzo s’inspira de Roberts pour métamorphoser son arrière-central en bête d’attaque. Pas une mauvaise idée puisqu’il fit de l’Italie le double Champion du monde 1934 et 1938.

Une saison riche en évènements. Le 2 décembre 1907, les mavericks Meredith et Roberts, aidés de plusieurs autres joueurs de Man United, créent le syndicat des joueurs, The Association of Football Players’ and Trainers’ Union (AFPTU), l’ancêtre de la PFA. Un avènement qui se fera dans la douleur (conflit avec la fédération et la Football League, grêve des joueurs, formation du Outcast FC, etc.). Le syndicat sera finalement reconnu en 1909. Charlie Roberts paiera cher son esprit rebelle puisqu’il est généralement accepté que son faible nombre de capes anglaises (3) est dû à ses actes répétés d’insoumission.

1911. MU, 52 (2è Aston Villa, 51. 3è Sunderland, 45). Affluence moyenne : 27 157.

Pour sa première saison pleine à Old Trafford, United ne se rate pas. Le nouvel antre de Man United, qui connaît son baptême du feu le 19 février 1910 contre Liverpool (3-4), a été conçu par le célèbre architecte de stades Archibald Leitch. Davies a emprunté la colossale somme de 60 000 £ pour s’offrir son joujou pouvant accueillir 100 000 spectateurs et doté d’une vaste toiture centrale ainsi que de zones assises.

L’ensemble est aussi révolutionnaire que luxueux pour l’époque et la presse est dithyrambique. Réaction d’un journaliste du Sporting Chronicle :

« Old Trafford est la plus belle enceinte, la plus vaste et la plus remarquable qu’il m’ait été donné de voir de ma vie. Ce stade est unique au monde. »

Cinquante ans plus tard, Bobby Charlton le surnommera « The Theatre of Dreams ». Le parfais timing dans le déménagement est à souligner : le jour de l’inauguration d’Old Trafford, des bourrasques de vent arrachent une partie du toit du stade de Bank Street que United vient de quitter !

La saison 1910-1911 est indécise jusqu’au bout et donne lieu à un mano à mano captivant avec Aston Villa. Lors de la dernière journée, le 29 avril, Man United occupe la deuxième place et reçoit Sunderland (3è), tandis que les Villans (1er) se déplacent à Liverpool (14è). A Old Trafford, les Black Cats sortent les griffes et marquent rapidement… avant de s’en prendre cinq dans l’écuelle. Comme le racontera Charlie Roberts au Saturday Post, à la fin du match, les spectateurs se massent devant la tribune principale et attendent les nouvelles d’Anfield… A l’annonce de la victoire de Liverpool 3-1 sur Aston Villa, le public exulte. Man United est champion pour la deuxième fois de sa courte histoire.

Kevin Quigagne.