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Dimanche 24 février, se disputera la plus improbable des finales de coupe : Bradford (D4) contre Swansea (Premier League). Mieux. Cette finale de League Cup, entre deux clubs aux parcours furieusement inverses depuis 2000, tient du miracle. Et avec la succession de glauqueries qui polluent le football britannique depuis plusieurs saisons, cette grosse bouffée d’air frais arrive à point nommé.

C’est Michael Laudrup, le manager de Swansea, qui a le mieux résumé cette finale au lendemain de la qualification des Swans pour Wembley : « Ce match opposera le petit conte de fée au grand conte de fée. »

Conte de fée. Si ce terme taillé pour la coupe est souvent galvaudé, il prend ici tout son sens. Deux fairytales aux trames diamétralement contraires et hors normes, et bien malin qui pourrait désigner avec certitude le minot de ce conte enchanté.

A tout saigneur, tout honneur : Bradford ayant sorti trois clubs de Premier League pendant cette campagne (!), aux Bantams d’ouvrir le bal.

[tous chiffres en £]

Les Bantams

Les Bantams, à Villa Park, fêtant leur billet pour Wembley

Une finale « salutaire » pour le moral du foot britannique

Une finale décrite ainsi par Mike Harrison, rédacteur en chef du principal fanzine du club, The City Gent, depuis 1984 (l’un des premiers du pays et le plus vieux en circulation) :

« Cette finale est un coup de fouet salutaire pour les supporters désabusés par le gouffre sans cesse grandissant entre les clubs riches et pauvres. Notre épopée a ravivé la flamme de la passion que beaucoup pensaient avoir perdue dans le football d’aujourd’hui. Les exploits de Bradford rappellent à tous les supporters des petits clubs anglais qu’il faut oser rêver. Ces épopées semblaient appartenir au passé mais tout est possible, toujours. Dans cinquante ans, on parlera encore de notre parcours de rêve. »

Flashback, début des Noughties (années 2000). Bradford évolue en Premier League et dépense sans compter tandis que Swansea, descendu en D4, ferraille devant à peine 3 000 inconditionnels pour ne pas sombrer en non-League [1], sorte de Triangle des Bermudes du football anglais (cf Luton Town ou Grimsby).

Tout l’effectif Bantam a coûté le tiers d’une beuverie téquila-champagne avec Patrice Evra : 8 750 €.

Puis, en 2001, l’énorme bulle éclate à la face des Bantams et la spirale cauchemardesque s’enclenche : dettes faramineuses (jusqu’à 40M £), descente en D2 (il y en aura trois en six saisons) et redressement judiciaire en 2002 (un autre suivra en 2004). Depuis 2007, Bradford est englué en D4 et toujours endetté. Pour preuve, le XI qui sortit Aston Villa en demi-finale le mois dernier a coûté… moins cher qu’une voiture bas de gamme, 7 500 £ ! En fait, c’est tout l’effectif Bantam qui est revenu au tiers d’une beuverie téquila-champagne avec Patrice Evra et au dixième d’une soirée Las Vegas du Secret Footballer…

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Parallèlement, après les heures sombres de 2000-03, Swansea est repris par les supporters, avec à leur tête Huw Jenkins, homme d’affaires local. Une ascension fulgurante jusqu’au sommet de la Premier League, largement réalisée à la force du mollet et grâce à des choix de personnel réfléchis (dans le dernier volet).

Bradford City, ex kakou de Premier League

S’il fallait résumer le Bradford City des quinze dernières années par une expression anglaise souvent utilisée en sport, rise and fall irait comme un gant. Car peu de clubs britanniques se sont élevés aussi haut avant de tomber si bas (ah si, un autre… Swansea City ! voir leur wiki).

Mai 1999. Sous la houlette du manager Paul Jewell, les Bantams finissent 2è de D2 et rejoignent l’élite qu’ils n’ont plus revu depuis 1921 quand, devant 30 000 spectateurs bien souvent, il se tiraient la bourre avec Bradford Park Avenue, l’autre (ex) grand club local (aujourd’hui semi-pro en D6).
Bradford est aussi une ville de rugby (Bradford Bulls, jeu à XIII, celui de la working-class) où les Manchots ont toujours eu du mal à exister. Pour illustration, les affluences moyennes de Bradford City dans les Sixties et Seventies : à peine 5 000 (époque où la ville connut un fort déclin économique,
effondrement du commerce du coton et textile notamment).

Eté 1999, Geoffrey Richmond, le propriétaire du club depuis 1994, est ambitieux et veut de la vedette. De l’avis général, il a dirigé feu Scarborough FC pendant six ans avec brio et vient de vendre son entreprise pour 10M £. Tout lui sourit et les supporters sont confiants. Ce dont personne ne se doute est que la fortune (relative) de Richmond s’est bâtie sur du sable (entre autres malversations, il a « omis » de payer 3M d’impôts – il sera condamné en 2004) et que ses penchants mégalomaniaques précipiteront le club dans une crise d’une ampleur rare dans le football anglais.

Une tripotée de cadors, has-beens et could-have-beens passeront par Valley Parade entre 1999 et 2001 (achats et prêts), sans y laisser un souvenir impérissable. La liste (non exhaustive) est impressionnante pour un petit club de Premier League. Pêle-mêle, citons : Stan Collymore, Benito Carbone (ci-dessous), Jorge Cadete, Dan Petrescu, Lee Sharpe, Dean Saunders, David Hopkin (acheté 2,5M à Leeds, record du club), Ashley Ward, Peter Atherton, Andy Myers et Ian Nolan.

Sans oublier notre Bruno Rodriguez national qui, dans cette interview de 2010 ne semble pas avoir réalisé que Bradford évoluait en Premier League. Pour lui, Bradford, c’était de la D3… Mettons cette légère méprise sur le compte du piètre niveau d’anglais de l’ex Parisien et de l’état des vestiaires qui ont pu lui faire penser à un club amateur (nous les visiterons dans la dernière partie, prévoyez de vieilles fringues).

Parmi tous ces noms ronflants (pour un habituel pensionnaire de Football League), Dan Petrescu et Benito Carbone laisseront les plus amers souvenirs. Carbone est recruté d’un Sheffield Wednesday à la dérive et qui amorce sa longue descente aux enfers. L’Italien, brillant avec les Owls, floppera et deviendra une hate figure du club. Son salaire de 180 000 £ / mois sera jugé obscene. De plus, pour s’en « débarrasser », il faudra lui verser 800 000 £, sans bien sûr pouvoir le vendre…

Lors de l’ultime match de sa première saison en PL, le club joue quitte ou double. 14 mai 2000, 38è journée, celle de la dernière chance. Problème : Bradford accueille Liverpool, 3è. Miraculeusement, les Bantams se maintiennent, grâce à un but du défenseur David Wetherall et d’une performance défensive héroïque. Avec aussi un moment émotionnel très fort ce jour-là entre Bradford et Liverpool (unis dans la tragédie pour des raisons évidentes) qui observeront une minute de silence pour les quinze ans du drame de Valley Parade (voir article TK) [2].

Une gueule de bois à 40 millions

La deuxième saison de PL, la mayonnaise ne prend pas entre les « vedettes » et Bradford finit bon dernier avec 26 misérables points. Les détracteurs surnomment l’équipe vieillissante la « Dad’s Army de la Premiership », du nom d’un célèbre sitcom anglais des Seventies où un groupe de vétérans gaffeurs est enrôlé dans la Home Guard.

L’après-Premier League sera terrible. A l’instar du voisin Leeds United (à une moindre échelle), que les dirigeants couleront peu après en déclarant haut et fort avoir « lived the dream » [3], le club a maximisé les risques pour rester en PL. Bradford a « chased the dream » dira plus tard le président-propriétaire d’alors, G. Richmond (ci-dessous).

Le rêve s’est envolé mais pas la gueule de bois. Le club est financièrement exsangue et le bout du tunnel est encore loin, il faut par exemple rembourser le coûteux agrandissement du stade (de 18 000 à 25 000 places) entrepris par Richmond, à coups d’emprunts et montages risqués. La spectaculaire faillite de ITV Digital (en 2002), le seul bailleur de fonds de la Football League, finira d’enfoncer les West Yorkshiremen. Saison 2001-02, Bradford se retrouve en D2 avec une pléthore de contrats mirololants (et sans « clause de relégation ») sur les bras.

L’inévitable arrive : redressement judiciaire en 2002, avec 13M de dettes à la clé… (chiffre qui triplera en quatre ans). L’administrateur judiciaire ne fait pas dans la dentelle : d’emblée, il brade ou licencie 16 joueurs, soit les deux tiers de l’effectif professionnel.

L’euphorie de 2000 n’est alors plus qu’un très lointain souvenir ; l’heure est desormais aux réglements de comptes et autres mea-culpa embarrassants. Les dirigeants jurent qu’ils auraient préféré ne jamais connaître la Premier League. Geoffrey Richmond lui-même :

« Jamais, jamais je ne me pardonnerai d’avoir dépensé autant. A la réflexion, ces six semaines [d’acquisition tous azimuts – été 2000] furent de la pure folie et j’en porte l’entière responsabilité. On s’est emballés, beaucoup pensaient que nous pouvions rester en Premier League encore longtemps. »

Eté 2002, Richmond quitte Bradford, « pour le bien du club » avancera-t-il laconiquement [4]. Les frères Rhodes (Julian – ci-contre – et David), déjà « investisseurs » du club depuis le milieu des années 90, prennent le relais, assisté de Gordon Gibb, homme d’affaires local qui possède Flamingo Land, un parc d’attractions du Yorkshire qui fait dans la montagne russe. Tout un symbole.

Attention, chute (libre) de club

En 2003, pour assurer la survie du club (désormais managé – ou plutôt maintenu sous perfusion – par l’ex Red Devil Legend Bryan Robson), le stade de Valley Parade est vendu à une société appartenant… au co-propriétaire Gordon Gibb. Ce dernier le sous-loue au club, pour une fortune (les chiffres oscillent entre 380 000 £ et 700 000 £ / an). Un problème épineux et toujours d’actualité.

Début 2004, rebelote, deuxième redressement judiciaire. Les dettes ont atteint un niveau stratosphérique : 36M £. Bradford est relégué en D3. De nouveau, les Bantams sont sauvés par les Rhodes, qui injectent plusieurs millions de £ pour rembourser les principaux créanciers. Les supporters en ont ras l’obole mais se mobilisent : 300 000 £ collectés.

Mai 2007, le club dégringole en D4. Pour fidéliser un public en baisse (tout de même 8 700 spectateurs de moyenne en 2006-07), Bradford innove avec une batterie d’offres originales (voir ici). L’abonnement Adulte est par exemple fixé au tarif le plus bas du pays : 138 £ (pour 23 matchs). Les affluences monteront à 12 700 de moyenne en 2008-09.

Eté 2007, arrive alors le businessman Mark Lawn (ci-contre), un lifelong fan qui met 3M sur la table pour éponger le gros des dettes.

Quatre managers (dont la club legend Stuart McCall) se succéderont de janvier 2010 à l’arrivée de Phil Parkinson en août 2011 (ci-contre).

« Parky » débarque avec un bilan contrasté. Il a certes hissé le petit club de Colchester en D2 mais ce succès fut suivi d’un échec à Hull (alors en D3), puis d’une expérience mitigée à Charlton (Premier League) où il est d’abord l’adjoint d’Alain Pardiou (l’actuel Consul de France à Newcastle) avant de lui succéder en novembre 2008. Les Addicks sont alors redescendus en D2. Charlton, en proie à de graves difficultés (fin de l’ère mouvementée Simon Jordan – propriétaire, 30M de dettes), descendra en D3 sous sa coupe. Parkinson sera limogé en janvier 2011.

La saison dernière, le club évite la descente en non-League de peu. En décembre 2011, Bradford occupait la 22è place de D4 (sur 24, plus basse position jamais atteinte par un ex club de Premier League) avant finalement de finir l’exercice 18è.

Bradford végète en D4 depuis 2007 (10è en 2008, 9è en 2009, 14è en 2010, 18è en 2011 et 2012) et a beau aller mieux sportivement aujourd’hui, les supporters se plaignent du status quo apparent. Mais comme le disait lui-même Mark Lawn dans une récente interview à la chaîne de radio Talksport :

« Si la famille Rhodes n’avait pas remboursé les dettes et stabilisé le club, les Bradfordiens supporteraient aujourd’hui Bradford Park Avenue [D6] car soit on n’existerait quasiment plus, soit BPA serait dans une division au-dessus de nous. Je ressens beaucoup de plaisir à diriger le club mais aussi du stress. J’ai pris 30 kilos depuis que je m’investis dans Bradford et ma santé a terriblement souffert ! »

Cette saison, après avoir longtemps occupé les places de play-offs (4è à 7è), les distractions de la coupe ont fait rétrograder Bradford en milieu de tableau.

Quelques jours avant la victoire sur Aston Villa en demi-finale, Bradford s’inclinait sèchement face à Barnet (2-0). De surcroît, le club est toujours en difficulté financière : pertes de 4M £ pour l’exercice 2010-11, derniers chiffres disponibles. Rien que la location et l’entretien du stade coûteraient 1,3M £ / an au club, soit le montant de sa masse salariale. Les 2,5M engrangés pendant l’aventure League Cup seront les bienvenus.

Kevin Quigagne.

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[1] Divisions situées sous la Football League, D5 et au-delà. Seule la D5 est professionnelle – à 80 % – le reste est semi-pro (D6, voire D7) et amateur. La différence principale entre la D4 et le premier échelon de la non-League (D5) se situe au niveau a) de l’exposition médiatique donc, logiquement, b) des revenus médias.
a) La D4 est diffusée par Sky (et BBC, résumés), tandis que la D5 doit se contenter de Premier Sports, une chaîne câblée confidentielle.
b) Le minimum revenus médias garanti en D4 est d’environ 600 000 £ / an. Un club de D5 ne touchera qu’environ 10 000 £.
[2] Un récent numéro de So Foot (le # 100) y consacre un papier intéressant, malheureusement entaché de deux erreurs de taille :
1) Dans le chapô est écrit : « […] faisant de ce match le premier drame du football anglais… »
Non. Avant Bradford, il y eut le tristement célèbre Burden Park disaster, 33 morts et plus de 400 blessés.
Un stade rendu fameux par Going to the Match, le tableau de L.S. Lowry, le « peintre de la working-class », acheté aux enchères en 1999 par la PFA (syndicat des joueurs) pour 1,9M £. Il est habituellement accroché au siège de la Football Association (mais parfois prêté, récemment au National Football Museum de Manchester). En mai 2011, un autre tableau de Lowry sur le football s’est vendu aux enchères – pour 5,6M –, The Football Match (et pour ceux qui seront à Londres entre la fin juin et octobre 2013, la Tate Britain consacrera à Lowry sa première exposition).
2) Dans la dernière partie est écrit : « A la suite de ce drame [Bradford], le football britannique prend un virage important dans son histoire : la sécurité dans les stades devient une priorité. »
Non. Certes, un rapport sur la sécurité dans les stades fut rédigé en janvier 1986 (le Popplewell Report) mais vite royalement ignoré. Ce n’est qu’après la tragédie d’Hillsborough le 15 avril 1989 qu’un réel virage fut pris et que la sécurité dans les stades devint une priorité (rapport Taylor).
Le Popplewell Report était le huitième rapport de ce type depuis le premier, le Short Report de 1924 (voir article TK), qui portait sur la toute première finale de FA Cup disputée à Wembley, la célèbre White Horse Final de 1923 : 1 000 blessés, bousculade monstre due à la surpopulation (voir fascinant clip d’époque).
On estime que 300 000 personnes furent admises ou entrèrent illégalement dans Wembley ce jour-là pour une capacité maximale de 127 000 places. Hormis les ventes de joueurs, la billetterie représentait la seule ressource des clubs et il était alors habituel de vendre plus de billets qu’autorisé, parfois trois fois plus ! L’organisation souvent chaotique faisait le reste (la finale de FA Cup 1893 se disputa ainsi devant environ 60 000 spectateurs, au stade mancunien de Fallowfield, d’une capacité de… 15 000 places).
[3] Selon le fameux mot de Peter Ridsdale, ex président fossoyeur de Leeds United. Depuis octobre dernier, Ridsdale est enfin sous le coup d’une interdiction d’exercer toute fonction de director dans une entreprise anglaise, ici.
[4] Geoff Richmond réapparaîtra peu après dans l’organigramme de Leeds United, avant que les Whites n’implosent. Plus tard, en épluchant les comptes de Bradford, l’administrateur judiciaire constatera que Richmond s’est versé de généreux dividendes et « frais de consultations » d’au moins 2,5M. Idem pour son associé Julian Rhodes, jusqu’à 8M – toutefois, Rhodes remboursera intégralement cette somme et poursuivra son association avec le club dont il est maintenant co-président.