Il y a trente ans cette semaine, s’achevait la plus longue grève de l’histoire du Royaume-Uni, celle des mineurs (du 5 mars 84 au 3 mars 85). Un long et violent combat contre le gouvernement Thatcher où le football fut parfois de la partie.

L’intro est ici. A voir cette superbe galerie photos du Liverpool Echo ainsi que celle-ci.

Une communauté, deux ennemis

Comme un peu partout ailleurs au moment de la grève, la communauté minière d’Easington (Easington Colliery) est scindée en deux groupes distincts : les grévistes et les « scabs », les jaunes. Et comme partout ailleurs, les jaunes y sont haïs. Ils doivent se rendre à la mine escortés et franchir les piquets de grève en bus grillagé, sous protection de la police.

Le scab est bien plus qu’un jaune : c’est l’ennemi, le traître, le suppôt de Thatcher. On tague scab en gros sur les murs de sa maison, on vandalise sa voiture et insulte sa famille. A l’école, s’ils y vont encore, ses gosses rasent les murs. Quand les grévistes doivent se contenter d’aides sociales dérisoires, de collectes et de la solidarité internationale (dont celle des mineurs français, qui envoient de l’aide alimentaire), les scabs eux, « roulent sur l’or » et partent en vacances. Au sein de la communauté minière, la polarisation est extrême.

L’autre ennemi honni est la police. L’Angleterre a encore fraîchement en tête les émeutes de 1981 et les méthodes policières souvent illégales. Les mineurs connaîtront aussi leur lot d’affrontements violents avec la police (Orgreave en juin 1984, près de Sheffield, sera le théâtre de la bataille syndicale la plus emblématique du mouvement [1]). Ces brutalités passent d’autant moins que le peuple ouvrier a le sentiment que les policiers traitent les hooligans avec bien plus de respect (voir article TK).

Le football, ciment d’une communauté divisée

Au milieu de ce sombre tableau, un rayon de soleil : le club corpo de la mine, le Easington Colliery AFC. Presque naturellement, le football va rapidement s’imposer comme un vecteur d’espoir et d’unité, de solidarité même. Avant la grève, on jouait au foot une fois par semaine. Après deux mois de grève, on tape le cuir tous les jours. Le club sert même de centre névralgique et de cantine pour les familles dans le besoin. Et chose impensable, certains scabs et policiers y sont tolérés. Le temps d’un match, on oublie les rôles de chacun.
Barry Harper (oncle de Steve Harper, gardien de Newcastle United de 1993 à 2013), 66 ans aujourd’hui et l’ex cheville ouvrière du centre de loisirs de la mine, dans une interview diffusée à la télévision régionale (BBC Tyne & Wear) en avril 2014 :

« Le football a toujours été vital ici et arrivé le samedi après-midi, on oublie tout et on joue. Sans le football, beaucoup ici auraient été perdus. En fait, la grève nous a fait jouer au foot bien plus souvent qu’avant, les plus jeunes mineurs y jouaient presque tous les jours. »

Jeff Cranson, mineur gréviste solidement engagé dans la lutte, confirme et précise que le soutien n’était pas que moral pour les meilleurs joueurs du club :

« Le midi, on se retrouvait au Welfare Centre [centre d’aide sociale où étaient mis en commun les dons et la nourriture] pour y manger un morceau et l’après-midi, on disputait souvent un match. Pour moi qui avais trois enfants, c’était peut-être encore plus dur que pour les plus jeunes ou les célibataires, toute une année sans salaire, on tirait la langue. Mais il fallait passer par là, c’est notre gagne-pain, notre vie qu’on défendait. Je jouais dans l’équipe première de la mine, on disputait la County Cup et on se débrouillait bien, pas mal de monde venait nous voir et je touchais un peu d’argent grâce à ça. Sans le football, je ne sais pas si j’aurais tenu le coup. »


Jour de manif dans les rues d’Easington, 1984

Tommy Garside, un autre mineur gréviste et crack de l’équipe, acquiesce :

« La grève des mineurs fut terrible pour la communauté, elle coupa la ville en deux et parfois même les familles. Il arrivait d’assister à des incidents intra-familiaux qui en disaient long sur l’état de tension général, par exemple des pères non-grévistes qui se faisaient traiter de “putain de sale jaune” par leur propre fils devant tout le monde, dans la rue ou ailleurs. La division, c’était la stratégie numéro un de Thatcher et du National Coal Board. On promettait telle grosse indemnité de licenciement à tel site et le contraire à d’autres, on nous disait que telle mine allait fermer mais pas celle d’en face parce qu’elle était soi-disant plus rentable, tout ça pour semer la discorde et faire voter la reprise du travail avec des engagements bidons. Bref, le gouvernement cherchait à braquer les uns contre les autres et affaiblir le mouvement. Nos amis devinrent parfois nos ennemis.

[…]

Heureusement, ici sur Easington, le football a toujours beaucoup compté et il a agi comme un ciment, en permettant à la communauté de ne pas se disloquer complétement. Grâce à la solidarité, aux dons, aux collectes diverses et grâce aux matchs de foot pour beaucoup, comme spectateur ou joueur, on a tenu bon. Certains non-grévistes étaient tolérés, on jouait plutôt contre eux qu’avec eux et surtout dans les matchs officiels, championnat de District et County Cup mais il nous arrivait de les inclure dans notre équipe du week-end. La plupart d’entre nous savaient respecter cette parenthèse. Y’avait même des flics qui ont joué pour nous si on avait des blessés ou autre. Et pourtant, on les haïssait. »

Tel le policier George Curry, qui raconte :

« Les gars m’acceptaient car j’étais du coin et je les comprenais même si je ne m’exprimais pas trop là-dessus. Je me déplaçais en bus avec eux le week-end et j’ai parfois dû fermer les yeux sur certains trucs illicites, comme le jour où l’un des joueurs a repéré un tas de bûches de chauffage près d’une station service [destinées à la vente] et que tous les gars sont descendus pour les piquer. Enfin, fallait bien se chauffer… »

La mort de la vieille gauche britannique

L’arrêt de la grève et la reprise du travail furent votés le 3 mars 1985 à Londres, à 52 %, par les 189 délégués du National Union of Mineworkers. Aucun accord n’ayant pu être signé ou compromis trouvé avec l’organisme de tutelle, le National Coal Board, l’avenir immédiat s’annonçait très incertain pour les quelques 200 000 mineurs du Royaume-Uni. 25 000 emplois seront supprimés avant la fin 1985, et 130 000 autres d’ici 1992.
Arthur Scargill, le virulent leader du NUM, s’estimant lâché par le Parti travailliste (« Neil Kinnock [leader du Labour Party et fils de mineur, nda] a trahi les mineurs », déclara-t-il), hurla au complot politico-médiatique et s’éleva contre l’acharnement judiciaro-policier tout en exhortant ses troupes à continuer le combat, au niveau local cette fois.

Thatcher avait donc triomphé et mené à bien sa lutte des classes à elle. Une victoire à la Pyrrhus pour beaucoup, tant son gouvernement avait engagé des coûts humains et matériels sans précédent dans l’histoire sociale du pays (entre 7 millards £ de l’époque – chiffre officiel du National Coal Board – et 27 milliards £, chiffre des organismes/médias de gauche et incluant le coût estimé de la privatisation).

Mais l’addition finale n’était sans doute qu’une préoccupation secondaire pour Thatcher puisque l’objectif numéro un avait été atteint : réussir sur le seul terrain véritablement décisif, celui de la politique. Ce succès marquait une rupture avec le passé et un tournant historique pour le pays : les derniers vestiges de la gauche traditionnelle – idéologique, antilibérale, syndicaliste, militante – étaient en voie de décrépitude avancée.

La Dame de fer fêta l’extinction de la vieille garde socialiste en distillant les bons mots, comme celui-ci en mai 1987 : « We are well on the way to making Britain a country safe from socialism. » (« Nous sommes en bonne voie d’avoir débarrassé la Grande-Bretagne du socialisme. » Citation complète dans cet article). Ou le notoire « There is no such thing as society. » de septembre 1987, aphorisme darwinien qui préfigurait les politiques à venir, notamment la « Big Society » de David Cameron en 2010, officiellement définie ainsi : « Integrating the free market with a theory of social solidarity based on hierarchy and voluntarism. Conceptually it draws on a mix of conservative communitarianism and libertarian paternalism. » (en clair : ne comptez pas sur l’État, démerdez-vous tout seul).

Les mineurs licenciés au cours des Eighties et Nineties touchèrent des indemnités proportionnelles à l’ancienneté, souvent qualifiées aujourd’hui de « généreuses » – car elles pouvaient atteindre 30 000 £ de l’époque – mais la réalité est bien plus nuancée, voir REDUNDANCY PAY FACTS ici.

Au 1er janvier 1995, le secteur minier avait été entièrement privatisé. Le Royaume-Uni est toujours un gros consommateur de charbon (à 80 % importé), il sert principalement à alimenter ses centrales thermiques qui fournissent plus du tiers des besoins nationaux en électricité. Il reste environ 2 000 mineurs de fond au Royaume-Uni (bientôt 600), répartis sur trois sites miniers dans le Yorkshire et Nottinghamshire. L’extraction se fait surtout aujourd’hui dans une trentaine de sites à ciel ouvert, dont la moitié en Ecosse.

Une communauté « vide de sens »

Le dernier puits a fermé depuis longtemps à Easington (1993) et le canton ne s’est jamais relevé de la brutale fermeture des mines. Au contraire d’autres bassins houillers, notamment Dearne Valley dans le South Yorkshire qui bénéficia, entre autres aides publiques, des subsides européennes.

Les hypothèses ont fusé pour expliquer l’échec global des tentatives de régénération : trop forte dépendance au charbon, manque de planification de l’après-mine, moins d’atouts qu’ailleurs, insuffisance criante d’investissements publics, absence de piston politique. Tony Blair a beau avoir été député de la circonscription voisine de Sedgefield pendant 24 ans (les Travaillistes ont toujours cartonné localement : 80 % aux Législatives 1997 sur la circonscription d’Easington, 59 % en 2010), les politiciens ont depuis longtemps décrété ce ward (canton) d’Easington cause perdue. Pas même sacrifié sur un quelconque autel, non, simplement oublié, abandonné, rendu invisible. C’est une localité meurtrie, cassée, une communauté dépecée de sa substance. Une communauté « vide de sens », pour paraphraser la lugubre prophétie d’Arthur Scargill.

Les mineurs partis, mis sur la touche ou on the scrapheap (au rebut) selon la cruelle expression consacrée, sont arrivés des « étrangers du cru », des sortes d’immigrés de l’intérieur, britanniques de souche mais différents. Des familles « à problèmes », draînant avec elles leur habituel et désespérant cortège de détresses multiformes : décrochage scolaire, extrême précarité, drogue, alcool, désoeuvrement, délinquance. Une catégorie considérée comme insoluble dans un milieu minier traditionnel, transbahutée ici par les services sociaux des villes avoisinantes. Oh, pas tant de familles que ça mais suffisamment pour achever de fragiliser le restant de structure, assez pour laisser paupérisation et stigmatisation imprégner l’endroit.

Des familles relogées dans des maisonettes en briques retapées à la va-vite, des two-up, two-down (deux pièces en bas, deux en haut), le genre de micro-habitation marketée par les agences immobilières des coins chics de Newcastle ou Durham comme bijou character cottage et vendue 350 000 £. Ici, on pourrait en acheter douze pour ce prix-là. Il y a une dizaine d’années, on les donnait même, à de téméraires investisseurs visionnaires. Les repreneurs ne se bousculèrent pas au tourniquet et des rues entières furent condamnées (problème toujours d’actualité ; cf cet article, énième du genre, où le député local en appelle au gouvernement…).

Le wiki sur ce bout d’Angleterre parle pudiquement de unemployment blackspot. Les quelques travailleurs polonais égarés sont plus directs : « On se croirait en Silésie, sauf que y’a plus de boulot là-bas », disent-ils parfois, mi amusés, mi surpris de découvrir de tels lieux ici, loin de cette Angleterre de carte postale qu’on leur vend au pays, l’Angleterre prospère et riante des séries TV. Les auteurs du best-seller Crap Towns (Villes de merde) ne s’embarrassent pas non plus de précautions sémantiques : ils ont élu Easington l’une des pires villes du pays, « un coin pour lequel auraient même pitié les habitants de Luton, Hull ou Middlesbrough », résument-ils caustiquement.
Ici, « L’héritage industriel » n’est pas qu’une belle expression pour touristes-sociologues en mal de romantisme houiller. Cet enfoiré de patrimoine tout rouillé a laissé des traces et s’obstine à faire dérouiller. Depuis 1985, plus de 14 000 hommes (et femmes, 15 % du total) sont morts du mésothéliome et de cancers liés à l’amiante dans le North East, et l’hécatombe continue. Un chiffre qui ne comprend pas toutes les saloperies mortelles que les services médicaux et autres cabinets d’avocats spécialisés sur ce créneau ne peuvent formellement attribuer à cet héritage toxique.

La Dame de fer ? Rust In Peace

On entend parfois des économistes nous expliquer avec enthousiasme et légèreté, comme on nous annoncerait l’arrivée du printemps, que la « quatrième révolution industrielle » est en marche, inarrêtable. Le rouleau-compresseur du big data, de l’intelligence artificielle, de la computérisation-robotisation à outrance qui améliore nos vies tout en précarisant et menaçant l’emploi. Dans des villes comme Easington, on encaisse cette claque « virtuelle » et subit le rythme (l’algorithme ?) effréné des évolutions technologiques en silence, sans broncher. Forcément silencieusement, comment pourrait-il en être autrement ? Ça fait un bail que la communauté a perdu sa voix.

Pourtant, doucement, la ville revit et se régénère à sa manière, plus physiquement qu’économiquement. A l’automne dernier, le Conseil Général du comté de Durham a enfin approuvé la transformation définitive des 27 hectares de l’ancienne mine en réserve naturelle. Une nouvelle qui aura au moins ravi les canards et crapauds du coin.

Le 9 avril 2013, au lendemain du décès de Margaret Thatcher, des processions défilèrent spontanément en mode carnaval dans les rues des villes de la circonscription d’Easington. On y sabra le champagne discount et y parada une Maggie en cercueil avant d’embraser un bûcher sous les vivas de la foule. Et on se remémora probablement les luttes d’antan et peut-être aussi les matchs de foot entre grévistes, flics et scabs, en versant quelques larmes. Les sanglots de la délivrance sans doute.

Kevin Quigagne.

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[1] Sur ce sujet de la bataille d’Orgreave, pour mieux comprendre le contexte mineurs vs police de l’époque, lire cet article de David Conn qui établit un parallèle entre Orgreave et Hillsborough (et plus récemment). Dans les deux cas, l’état-major de la police du South Yorkshire fabriquera de toutes pièces des preuves contre les mineurs/supporters. Trente-et-un après, Orgreave est toujours en quête de vérité et justice, tout comme Liverpool.

24 commentaires

  1. Armand dit :

    heart breaking…

  2. Kilkenny dit :

    Excellent article, l’un des plus brillants de l’histoire de Teenage Kicks qui n’en manque pourtant pas.

    Pour ceux que le sujet des grèves minières intéresse, je vous recommande le livre de Pierre-François Gouiffès « Margaret Thatcher face aux mineurs » (le seul en Français sur le sujet à ma connaissance).
    http://www.pfgouiffes.net/livre.php?idli=2

    Et, pour élargir à d’autres sports, je vous recommande le film documentaire « Diables rouges et gueules noires » qui traite le sujet via le prisme du rugby dans les vallées minières galloises. Le film est difficile à trouver (ARTE l’avait diffusé lors de la coupe du monde de rugby en 2007) mais vaut vraiment le coup.
    http://www.film-documentaire.fr/Gueules_noires-Diables_rouges.html,film,7212

  3. fred dit :

    Superbe et poignant. Merci pour cet article

  4. Gouffran direct dit :

    Superbe! Ça remue les tripes.
    Le foot en fil rouge qui surnage dans une misère sociale inimaginable.
    Troublant et vraiment bien écrit.
    Bravo!

  5. Koopa Troopa dit :

    La glorieuse URSS et l’anti-impérialiste Libye de feu Kadhafi avait d’ailleurs soutenu financièrement les mineurs…

  6. Hafidh dit :

    Merci pour ce superbe article, bien écrit et, comme d’habitude, parfaitement documenté, le foot anglais et son histoire n’arrête pas de me surprendre!

  7. Sam Troulcul dit :

    Merci Kevin, super article, comme d’hab.

  8. Kevin Quigagne dit :

    Merci à vous, en particulier à Kilkenny pour ses liens que je ne manquerai pas d’examiner (beau site que le tien au passage, je ne connaissais pas).

    Puisque tu cites un livre français sur le sujet Kilkenny, mentionnons également GB 84 de David Peace, traduit en français (l’auteur de The Damned Utd, entre autre. Peace c’est souvent de la prose un peu spéciale, itérative, saccadée, etc. mais GB 84 est à découvrir si vous ne connaissez pas).

    @ Koopa Troopa.

    La dernière fois que tu es intervenu ici, c’était pour exprimer ton indignation sur la terrible affaire de Rotherham, affaire sans aucun rapport avec mon article sur le football noir britannique.

    Et là rebelote. Pour tout t’avouer, j’ai pas franchement franchement l’impression que le football britannique t’intéresse des masses. A me demander si tu ne parcours pas le Net comme le font certains, en se disant : « Tiens, qu’est-ce que je vais bien pouvoir m’trouver aujourd’hui comme sujet d’indignation sans-grand-rapport-avec-l’article-traité » ?

    Au passage, malgré mon manque de dispo, je t’avais répondu, longuement, 1 832 mots pour être précis. Au cas où ça t’aurait échappé, c’est ici :

    http://cahiersdufootball.net/blogs/teenage-kicks/2014/11/19/les-premiers-blacks-du-foot-britannique-1/#comment-232103

    Je ne signale pas ces connections NUM-Moscou-Kadhafi (comme je ne signale pas, par exemple, que Thatcher était pote avec Pinochet) parce que mon article n’est pas un traité sur le NUM, Thatcher ou qui sais-je encore. J’expose le contexte particulier, toxique, de l’époque simplement parce que ces précisions permettent de mieux comprendre le coeur de mon article, à savoir le rôle fédérateur (sort of) et positif qu’a joué le football dans cette communauté déchirée d’Easington.

    Après, ça ne surprendra personne je pense que l’URSS ait aidé le NUM (eg Moscou finançait le PC français à l’époque). Lire :

    http://www.telegraph.co.uk/news/politics/margaret-thatcher/10547373/National-Archives-Plans-to-stop-miners-union-smuggling-Soviet-roubles-into-Britain-during-strike.html

    Pis si on commence à répertorier toutes les aberrations des diverses parties en présence dans ce long feuilleton, on n’a pas fini et au final TK n’aura plus grand chose à voir avec un blog de foot. C’est une saga interminable qui se prolonge bien au-delà des 363 jours de grève et j’ai essayé de synthétiser.

    L’URSS, Kadhafi, le communisme, les Soviets, Marchais, etc. tout ça est bien révoltant ma foi et ces ordures/malades mentaux m’ont toujours profondément écoeuré. Je me chauffais avec les communistes à la fac y’a 30 ans quand on abordait le sujet des droits de l’homme ou le système économique soviétique de l’époque, alors crois-moi que je ne les porte pas trop dans mon coeur.

    Une restructuration de l’industrie minière était sans doute nécessaire à l’époque mais fallait pas compter sur Scargill et Thatcher pour trouver un terrain d’entente, ils étaient trop dans le rapport de force et l’idéologie. Thatcher a gagné son bras de fer et elle est parvenue à ses fins (court-circuiter l’influent NUM, affaiblir les syndicats, continuer son cycle de privatisation-dérégulations et mettre un gros coup de boule à la législation du travail au passage).

    Ce que je voulais surtout souligner et ce que j’aimerais qu’on retienne en substance pour ce qui est de la partie extra football de mon article, c’est la manière brutale et cynique avec laquelle ce démantèlement houiller fut exécuté. C’est surtout ça qui choque, ou devrait choquer, quand on revient sur cette période.

    J’ai essayé de présenter les choses le plus objectivement possible, avec mon ressenti émotionnel évidemment, celui de quelqu’un comme moi qui vis et travaille dans ces communautés depuis deux décennies. J’ai surtout voulu raconter un pan d’histoire sociale auquel le football s’est retrouvé mêlé.

    J’aurais pu raconter d’autres histoires similaires liées au football, et je le ferai peut-être un jour, mais celle-ci me touche de près, surtout dans ma vie antérieure, années 1990 (South Yorkshire – Barnsley-Rotherham-Dearne Valley, là où a été tourné « Les Virtuoses » et où j’ai longtemps travaillé) car j’étais, et la société était, en plein dans l’immédiateté et l’urgence de l’après-mine alors qu’aujourd’hui, ça commence à dater même si les conséquences et séquelles de cette époque sont toujours bien parmi nous et patentes, ce que j’explique (eg avec ces maladies industrielles, tristement évolutives, qui frappent toujours, et aussi avec le cas de ces communautés qui ne se sont jamais relevées, ou avec le cas d’Orgreave).

    Si on laisse de côté le MUN, Scargill, Thatcher et la politique deux minutes, comment de ne pas avoir une pensée pour la communauté minière et que ce sont devenus certains de ces coins, comme Easington ? Toutes les communautés n’ont pas sombré, évidemment, certaines ont pas trop mal vécu l’après-mine, comme je le précise dans l’article en mentionnant le cas de la Dearne Valley (je généralise bien sûr, par souci de clarté, y’a aussi des grosses poches de grande détresse à l’intérieur même de la Dearne Valley, c’est un coin vaste).

    Je sais pas, Koopa Troopa, quand tu lis un article-témoignage comme celui-ci, t’as forcément d’emblée envie de polémiquer, instinctivement comme ça, envie d’embraser le débat en balançant deux lignes en forme d’aposiopèse, sans ressentir quoi que ce soit et sans livrer au moins une petite émotion ?

    J’aborde rapidement le sujet de ces pathologies à la fin de l’article, sans m’étendre, ayant estimé que 34 000 signes, c’était largement suffisant pour un article, tout ça étant évidemment très chronophage (et pis on veut pas concurrencer le Lancet non plus hein). J’aurais aussi pu parler plus en détail des ravages de la drogue dans certains de ces coins ex miniers/industriels, car ça aussi c’est fort et ça remue les tripes comme écrit Gouffran direct. L’un des indicateurs des ravages causés est le volume de méthadone distribué dans un endroit donné (produit de substitution à l’héroïne administré sous forme de liquide en G-B, dans les pharmacies en tout cas).
    Ma compagne, pharmacienne, a longtemps travaillé dans ces communautés et depuis que je vis avec elle (18 ans) elle me raconte l’évolution de la situation, sous un angle médical. Si ça s’est amélioré dans certains coins depuis les années 1990, ça s’est aussi sacrément dégradé dans d’autres. Elle a moins l’occasion d’observer ça de près ces dernières années car sa situation a changé après de sérieux problèmes de santé (elle exerce toujours, ailleurs) mais ce qu’elle a vu dans certaines communautés pendant les années 1990 et 2000 l’a marqué. Par exemple des pharmacies, spécialement aménagées, avec une centaine de toxicos venant quotidiennement chercher leur méthadone.

  9. MLDB dit :

    Un grand merci pour cet article, excellent comme d’habitude.

    Je vis en Angleterre depuis 1998 (Worcester), et, travaillant dans la siderurgie, je constate les sequelles permanentes que les annees Thatcher ont causé dans certains coins (Lancashire, Yorkshire, Teesside en particulier)

    Bonne continuation

  10. Kambathoustra dit :

    Sur le contexte et sans tomber dans le financement libyen (pourtant pas un fantasme), il n’est peut-être pas inutile de rappeler en revanche que la décision de lancer la grève s’est faite dans l’illégalité et sans vote, la tendance « dure » n’étant pas majoritaire au sein du NUM… et totalement minoritaire dans certains bassins miniers.

    Cela a d’ailleurs laissé des traces quant à la perception du mouvement tant sur le moment qu’au travers de l’imaginaire collectif (footballistique ou non) 30 ans après. En effet, si elle a été suivie à presque 100% dans le Yorkshire, en Ecosse et dans le sud du Pays de Galles, qui ont donc été particulièrement marqués par cette année 1984-85, d’autres secteurs miniers et parfois non des moindres (Midlands, Nottingham…) ont été beaucoup moins impliqués, voire presque pas concernés (Leicester, Derby)…

    … un peu comme si la même grève avait eu lieu en France au même moment, avec 100% de grévistes dans le Nord, 50% dans le Forez et 10% en Lorraine.

  11. Kambathoustra dit :

    (Désolé, je constate que ces éléments figuraient bien dans la première partie de l’article… Ca m’apprendra à commencer par le post 2/2 !)

  12. sequane77217139 dit :

    Je te tiens en haute estime pour la qualité de ton écriture, ta connaissance du football et le temps que tu passes bénévolement à tenter d’ instruire et divertir ton prochain.

    Par contre ton analyse politique en réponse à koopa troopa me choque un peu.
    Je sais qu’ on est pas la pour en faire mais je crois que l’on pourrait aussi discuter du sujet des droits de l’homme dans certains pays sous l’ influence de l’ impérialisme Américain ou Européen depuis 1917, et de notre système économique qui exclut ou paupérise en masse ces temps ci, décrète la brevetabilité du vivant et spécule sur les récoltes.
    Bref, il est facile de jeter le bébé avec l’ eau du bain, mais mettre sur un même plan Kadhafi et les soviets -à l’ origine des conseils d’ ouvriers et de paysans- j’ ai eu du mal.

    Et tout le monde ne trouve pas révoltant l’ idéal communiste.

    Voila, c’ était juste pour user de ma liberté d’ expression, sans vouloir faire de prosélytisme et au nom du pluralisme des idées.
    Ces deux articles étaient superbes par ailleurs, merci beaucoup pour tout ton travail.

  13. sequane77217139 dit :

    …stakhanoviste !

  14. Incendie Paillot dit :

    Bel article qui donne envie d’en savoir plus sur cette partie de l’histoire de nos voisins d’outre-manche.
    N’étant pas stakhanoviste de l’écriture, je n’écrirai pas plus et puis je n’ai pas plus à dire car j’étais en primaire à cette époque donc voilà, je n’y connais rien, je découvre (avec intérêt).
    Bonne continuation !

  15. Kevin Quigagne dit :

    Merci à tous.

    Et en lien avec l’article, voilà ce que sont devenus certains terrils dans la région de Newcastle (le parc de Northumberlandia, public) :

    https://twitter.com/teenagekickscdf

    @ sequane.

    Oui on pourrait en discuter (des droits de l’homme dans les pays sous domination US, je suis à Amnesty depuis 1984) mais on partirait vraiment sur tout autre chose.

    Ma réponse à Koopa Troopa est aussi à mettre en rapport avec son intervention de novembre dernier (je mets le lien dans mon comm’ précédent).

    Je ne cherchais pas bien à mettre Kadhafi et les Soviets sur le même plan, quand j’écris « L’URSS, Kadhafi, le communisme, les Soviets, Marchais, etc. », je ne faisais pas référence à 1917 et tout ça mais aux Soviétiques des années 1980 (puisque c’est le point de référence de Koopa Troopa dans son comm’ et la période dont on parle).

    Bien sûr, certains aspects du « modèle » libéral sont tout aussi révoltants, je pense que cela ressort suffisamment dans mon article, notamment à travers l’exemple de communautés comme Easington.
    Pour tout t’avouer, avec ce qui se passe en Grande-Bretagne depuis mon arrivée ici en 1992, si c’était à refaire, je ne reviendrais pas vivre ici, c’est assez dingue l’évolution de la société britannique depuis une bonne dizaine d’années. Si c’est ça le libéralisme, ben putain… (la mort du syndicalisme militant dans pas mal de secteurs a vraiment de quoi effrayer).

    Et qu’est-ce que vous avez tous à m’appeler « stakhanov(iste) » https://twitter.com/hashtag/vintageetpasquunpeu?src=hash)… Vous allez me faire passer pour un forçat dans une mine de sel russe… 😀

  16. pinguinalité dit :

    Un excellent article, instructif et très bien écrit, comme d’habitude !

  17. Three lions dit :

    SUPERBE ! Vraiment superbe et poignant !
    Clairement l’un de tes plus beau, et c’est pas peu dire !

  18. sequane77217139 dit :

    J’espère que tu m’excuseras d’ avoir pris la mouche; visiblement, la réalité sociale qui accompagne l’ ultra libéralisme ne t’as pas échappée.
    Et effectivement , les aspects révoltants de cette doctrine transparaissent clairement dans l’ article et je te remercie d’ avoir pris le temps de me préciser ta pensée.
    D’ autant que j’ ai été vraiment agréablement surpris par les dossiers teenage kicks de ce début d’ année, et cela m’ a totalement déculpabilisé vis à vis de mon addiction au site, c’ est top. 😉

  19. Kevin Quigagne dit :

    Merci à vous.

    Mais y’a pas de mal sequane, t’en fais pas, on est là pour échanger et je me réjouis que ce blog permette ce genre de débat.

    Sur un tout autre sujet : j’ai eu le nez super creux ce week-end en zappant le Stadium of Light (Sunderland-Aston Villa, 0-4) alors qu’on me prêtait une carte d’abonné. A dire vrai, je ne pouvais pas m’y rendre… Je serai au derby dans 3 semaines et je sens que ça pourrait être l’un des plus médiocres et tendus de ces dernières années. Youpi, enfin du spectacle.

  20. Ballantrae dit :

    Merci pour ta réponse à ma réponse sur le Pays de Galles suite à la première partie, et merci pour cette seconde partie toute aussi excellente que la première.

    Je me permets de signaler, au cas où tu ne l’avais pas vu et puisque tu parles souvent de ce coin, que The Guardian a consacré un article-portrait à Sunderland (http://www.theguardian.com/cities/2015/mar/20/city-rivalries-sunderland-reinvention-recovery-fragile) et un autre à Newcastle (http://www.theguardian.com/cities/2015/mar/20/newcastle-poster-child-north-sunderland-rivals?CMP=share_btn_tw) dans leur dossier « City rivalries ».

  21. Martlou.fr dit :

    Un bon article, que j’ai aimé lire

  22. Kevin Quigagne dit :

    @ Ballantrae.

    Merci de signaler ces deux articles, j’y jetterai un oeil à tête reposée.

    Sans trop entrer dans les détails car je manque de temps là, parmi les grandes villes du Nord, Newcastle et Sunderland sont peut-être celles qui ont le plus souffert depuis le début de la récession en 2008, et a fortiori depuis l’arrivée des Conservateurs en 2010. Raison principale : les coupes budgétaires, jusqu’à 60 % en moins depuis 2011 sur certains postes. Et comme Newcastle & banlieue est la conurbation britannique qui compte le plus de fonctionnaires et assimilés (environ 30-35 %, cité admin nationale pour les retraites, NHS, etc.), ça a morflé.

    Y’a des explications politiques bien sûr (aucun député Tory dans les grandes agglos du Nord, voir http://tinyurl.com/357gepc) mais pas que. J’habite le Nord depuis 1992 et j’ai pas souvenir que les Travaillistes aient vraiment plus investi structurellement dans le Nord spécifiquement. C’est l’illustration du traditionnel « North-South divide », http://en.wikipedia.org/wiki/North%E2%80%93South_divide_in_the_United_Kingdom

    Cela dit, il est incontestable que les Travaillistes ont plus investi en général. Faut dire que moins aurait été impossible. Ça a été surtout visible dans l’éducation et la santé mais, malheureusement, beaucoup via du PPP (partenariat public-privé, montages introduits par les Conservateurs en 1992 et adoptés avec énorme enthousiasme par les Travaillistes), une putain de bombe à retardement.
    Même pas à retardement d’ailleurs, ça nous pète déjà à la face. Je voyais récemment un reportage sur la BBC régionale (Tyne & Wear) sur plusieurs hôpitaux du Nord qui sont en train de nous revenir minimum 5 fois le coût initial. Ce n’est pas qu’un problème comptable : déjà fragilisés par les grosses coupes budgétaires sur le Service National de Santé, ces établissements doivent en plus composer avec les déficits causés par le PPP. Et donc > licenciements, pénuries de personnel, baisse de la qualité de soin, moins d’investissement humain et matériel, services qu’on ferme, etc. et in fine des scandales en pagaille. Comme dans le cas du James Cook de Middlesbrough ou du Cumberland Infirmary de Carlisle à 100 kms de Newcastle, le premier grand hôpital PPP du pays et inauguré en grande pompe par Tony Blair en 2000, hosto qui devait donc être un modèle du genre, un “flagship hospital” comme on dit. Il croule aujourd’hui sous les dettes, va de crise en crise et a été mis sous perfusion financière par l’état l’an dernier, même pas 15 ans après son inauguration. Il reviendra à environ 7 fois son coût initial une fois le contrat terminé vers 2050.

    Niveau transport par exemple, les investissements sont ridiculement plus élevés dans le grand Sud, surtout Londres et Home Counties (autour de Londres) que le Nord, qui en aurait pourtant sacrément besoin. Avec ce chiffre sur le North East (tiré de cet article http://www.theguardian.com/business/2012/feb/05/financial-crisis-economics) : the government spends £2,731 per head on transport in London, it gives just £5 per head in the north-east.

  23. Dedrick dit :

    Je fut surpris d’apprendre en lisant votre commentaire qu’il y avait environ 30 à 35% de fonctionnaire sur Newcastle et sa banlieue !

  24. Kevin Quigagne dit :

    Oui, c’est dans ces eaux-là pour Newcastle, autour de 30-35 %, avant l’arrivée des Conservateurs. Ce tableau de 2011 met Newcastle intra-muros à 33,5 % de public sector employees (taux national : 18 %, 5,5 millions) :

    http://www.theguardian.com/news/datablog/2011/nov/21/public-sector-employment-uk-map

    En proche banlieue de Newcastle, on note un 31.5 % pour le borough de South Tyneside (150 000 habitants) et 26,8 % pour celui de Gateshead (200 000 h).

    Cette carte du Guardian (2008) confirme :

    http://www.theguardian.com/news/datablog/2010/nov/16/public-sector-employment-statistics-map-by-authority

    Pas mal de bleu (+ de 34 %) donc autour de Newcastle, avec même 48,7 % de public sector employees sur le péri-urbain au nord de Newcastle.

    On contaste sur la carte du Guardian que la conurbation de Newcastle est la seule en Angleterre (même du Royaume-Uni) avec des zones à + de 34 %.

    Comme je l’indiquais brièvement dans mon post précédent, Newcastle & agglo accueillent les bureaux nationaux (ou composantes) de grosses administrations, comme le NHS (National Health Service, 4è employeur mondial) et le Pension Service, notamment au Benton Park View (http://en.wikipedia.org/wiki/Benton_Park_View, l’un des plus grands complexes administratifs d’Europe selon le Wiki).

    L’autre zone bleue anglaise, que j’identifie comme étant le Borough de Copeland (comté de Cumbria), est une zone rurale de 70 000 habitants. Coin bien connu des amateurs de randos et nature puisqu’elle se situe juste à l’extérieur du merveilleux Lake District, l’un des parcs nationaux les plus visités au monde (malheureusement, les autorités locales sont fauchées et vend les bijoux de famille, http://tinyurl.com/pu855cy. Et ouais, y’a pas qu’en Grèce qu’on brade tout).

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