Archive for janvier 23rd, 2014

Présentation du Hall of Fame Spurs version Teenage Kicks.

D’ici quelques jours, le site Hat-trick (foot britannique) fera son entrée sur le Net. L’une des originalités de Hat-trick sera ses « fiches de club », où le Hall of fame occupe une place de choix. Par manque de disponibilité, je ne pourrai être de l’aventure Hat-trick mais quand Romain Molina, créateur du site, me demanda en juin dernier si je voulais rédiger quelques fiches, je lui dis OK et choisis de faire Sunderland, Liverpool et Newcastle. Et comme personne n’était trop chaud pour faire Tottenham en grand format*, je me suis dévoué.

[*Traitement de faveur réservé par Hat-trick aux gros cubes, eg ma fiche Liverpool FC. La fiche Tottenham TK est une version très allongée par rapport à celle qui apparaîtra dans Hat-trick. Sunderland et Newcastle sont des fiches courtes selon les critères de HT, moins de 6 000 signes pour leur Hall of fame, Sunderland par contrainte éditoriale, Newcastle par obligation – trouver dix grands joueurs Magpies relève du tour de force, mais j’ai rien lâché et y suis parvenu]

Nb : une trentaine de joueurs ont été sélectionnés dans les deux sections – principales et secondaires – de ce Hall of Fame Tottenham, bien au-delà des recommandations initiales du boss de Hat-trick. Impossible d’en caser plus et donc d’inclure tous ceux qui auraient pu prétendre à une place ici. On pense notamment à Ron Burgess, Eddie Baily, Maurice Norman, John White, Mike England, Ralph Coates, Steve Archibald, Graham Roberts, Clive Allen et, récemment, Luka Modrić. Pour complément d’infos, voir ici.

Le Hall of fame TK de Tottenham

Arthur Rowe (1929-1939, joueur et 1949-1955, manager). Le plus emblématique entraîneur de l’histoire du club avec Bill Nicholson.

Né en 1906 tout près de White Hart Lane, Rowe intégra Spurs en 1921 et passa pro en 1929. Sa carrière Spurs comme arrière-central se déroula principalement en D2, fort honorablement (230 apparitions, 1 cape anglaise).

En 1939, cet amateur de beau jeu avide de découverte et d’échange partit disséminer son savoir en Hongrie comme entraîneur et conférencier. Il y exposa une philosophie s’inscrivant dans la filiation de courants qui seront à l’origine de l’émergence des Magyars Magiques (cf passages là-dessus dans Inverting the Pyramid de J. Wilson). Il fit forte impression et les instances hongroises ainsi que Gusztáv Sebes, le futur entraîneur de la grande Hongrie des années 50, voulurent l’enrôler comme entraîneur de l’équipe amateur pour les J.O de 1940 (finalement annulés). Mais la guerre éclata et Rowe retourna au pays.

En mai 1949, Rowe devint manager des Spurs, alors en D2 depuis 1935 (7 saisons, interruption de la Football League de 1939 à 1946). Il y développa le push and run, antithèse du kick and rush, un style fluide basé sur la possession, le jeu de passe et le mouvement ainsi que sur la polyvalence des joueurs clés (en définitive, une sorte de croisement avant-gardiste entre Tiki-taka et Total Football). C’était une révolution pour l’époque et les principes de ce visionnaire suscitèrent le scepticisme.

En 1950, Rowe fit monter le club en D1 et remporta le premier titre de champion d’Angleterre du club ; vice-champion en 1952. Les deux saisons suivantes, Tottenham sera nettement moins performant, pour cause d’effectif vieillissant et d’adaptation des autres clubs au style Spurs.

En mars 1954, la pression et le stress (Tottenham mal classé) eurent raison de la santé d’Arthur Rowe et son adjoint reprit les rênes. Décédé en novembre 1993 de la maladie d’Alzheimer.

Bill Nicholson (1938-1955, joueur et 1958-1974, manager). Surnommé Mister Tottenham pour sa longue association avec le club (68 ans), Nicholson est le plus titré parmi les grands entraîneurs Spurs (John Cameron, Arthur Rowe et Keith Burkinshaw).

Nicholson, devant les Bill Nicholson Gates installées en 1999

Le grand homme himself, inaugurant les Bill Nicholson Gates installées devant White Hart Lane en 1999

Arrivé à Londres de son Yorkshire natal à 16 ans, Nicholson avait été un élément clé de la superbe équipe d’Arthur Rowe, totalisant 344 apparitions d’abord comme arrière-central puis latéral droit.

C’est en tant que manager qu’il va devenir légendaire, en remportant le doublé Championnat-FA Cup en 1960-61 (le premier du XXè siècle) et une flopée de coupes, tout en maintenant les Spurs dans le Top 6 pendant la dizaine de saisons suivantes. L’ère Nicholson fut la plus triomphale de l’histoire du club : 1 titre de D1, 3 FA Cups, 1 C2, 1 C3 et 2 League Cups.

Le titre de 1961 fut  remporté classieusement et en mode bulldozer : 11 victoires d’affilée en hors d’oeuvre (record), 31 victoires/42 matchs en guise de plat sans résistance (record de D1 anglaise, jamais battu ou même égalé), 66 points (record de 1931 d’Arsenal égalé), des roustes à la pelle (Newcastle étrillé 7-0, Birmingham 6-0, etc. 115 buts marqués) et la FA Cup en dessert. Un doublé plus revu depuis Preston en 1889 ! La plus belle ère de Tottenham léguera, entre autres, plusieurs chants et livres ainsi que le film Those Glory Glory Days.

Beaucoup attribuent ce succès au style de jeu caractéristique pratiqué par Spurs : le pass and move. Cette marque de fabrique Spurs s’inscrivait dans la continuité du push and run révolutionaire d’Arthur Rowe, un style auquel Nicholson ajouta une touche de rugosité (Mackay notamment, ci-dessous). Le Spurs du début des Sixties étaient les grands entertainers du football anglais. Seule ombre au tableau : le succès en championnat post titre 1961 ne se confirma pas. Souvent dans le Top 5 mais plus jamais champion, Tottenham fut étiqueté cup team pendant l’ère Nicholson (7 coupes remportées), comme aimait à le rappeler Bill Shankly d’un ton volontiers goguenard.

Les raisons de la démission de Nicholson le 29 septembre 1974 sont multiples. Après 38 ans au club, une certaine lassitude l’avait gagné ainsi que l’appréhension de devoir rebâtir un effectif de zéro (mauvais début de saison, les nouvelles recrues n’étant pas à la hauteur – la descente sera évitée in extremis fin avril 1975). « Bill Nic » fut également marqué par la tournure que prit le football anglais au début des années 70 (généralisation du hooliganisme) et écoeuré par les violences qu’il vécut lors de la finale de la coupe UEFA Feyenoord-Tottenham quelques mois avant. En 1976, il revint au club comme conseiller du manager, Keith Burkinshaw, et y resta jusqu’en 1991. Membre du directoire de Spurs jusqu’à sa mort, en 2004. Tottenham fut son seul club en tant que joueur et entraîneur. Intronisé au English Football Hall of Fame en 2003. Voir article TK sur Bill Nicholson.

Dave Mackay (1959-1968), milieu central puis défenseur central, 362 matchs/63 buts, 22 capes écossaises, 4 buts.

Célèbre image de Mackay empoignant Billy Bremner en août 1966 après un tacle vicieux du teigneux milieu de Leeds (après deux jambes cassées – 1963 et 64 – Mackay était chatouilleux).

Célèbre photo de Mackay empoignant Billy Bremner en août 1966 après un tacle vicieux du teigneux milieu de Leeds (après deux jambes cassées – 1963 et 64 – Mackay était chatouilleux).

L’un des grands durs du football britannique, cet Ecossais aux faux airs de Lino Ventura est considéré par de nombreux supporters Lilywhites comme le grand patron du Hall of fame Spurs (avec Danny Blanchflower).

Alliait une forte présence physique à une vision hors norme et une intelligence du jeu souvent occultée – bien malheureusement – par le souvenir de joueur intraitable qu’il a laissé. Pour preuve, les observateurs d’alors s’accordent à dire que, parmi les défenseurs ou milieux, seul Bobby Moore lui était techniquement supérieur. Se cassa la jambe deux fois de suite en 1963 et 1964 mais revint admirablement bien, cette fois en défense centrale pour compenser la perte de vitesse occasionnée par les blessures, avec en prime le brassard de capitaine chipé à Danny Blanchflower. Non seulement il créa des wagons de buts aux côtés du même Blanchflower mais en marqua une bonne quantité aussi, ne rechignant pas à l’animation offensive. Intronisé au English Football Hall of Fame dès sa création en 2002.

Danny Blanchflower (1954-1964), milieu droit, 436 matchs/27 buts. 56 capes nord-irlandaises, 2 buts.

Elément clé du formidable Tottenham de l’ère Bill Nicholson avec lequel il développa une relation symbiotique. Fut nommé capitaine au début des Sixties.

Blanchflower était un joueur très complet loué pour sa grande vision et science du jeu (son relatif manque de vitesse étant le seul bémol). Ce fin technicien cérébral était aussi un meneur d’hommes et il est parfois dit que sa causerie churchillienne avant la finale de la Coupe des coupes 1963 galvanisa tant les troupes que le match ne fut qu’une formalité pour Tottenham (victoire 5-1 sur l’Atletico Madrid et première coupe d’Europe remportée par un club britannique).

Stratège hors pair, ses passes décisives (non comptabilisées alors) pour Bobby Smith, Cliff Jones ou Jimmy Greaves firent longtemps le bonheur des Spurs. Elu deux fois Joueur de l’année par la Football Writers’ Association (1958 & 1961).

Des problèmes aux genoux le firent raccrocher à 38 ans, il se reconvertit naturellement dans le journalisme et les médias où son éloquence était appréciée. En 1988, la maladie (d’Alzheimer) le força à se retirer. Décédé en décembre 1993 et intronisé au English Football Hall of Fame en 2003.

Bobby Smith (1955-1964), avant-centre, 319 matchs/210 buts, 15 capes anglaises, 13 buts.

Ce puissant et trappu Yorkshireman (1m76, 80-85 kilos) fut recruté par Chelsea à 17 ans en 1950 après un apprentissage comme forgeron. Barré par le grand Roy Bentley, il rejoignit Tottenham à 22 ans pour 18 000 £. Smith s’y imposa rapidement, marquant plus de 130 buts entre 1957 et 1960-61, saison du fameux doublé championnat-coupe.

Extraordinairement prolifique pour les Trois Lions mais son caractère bien trempé et ses piques régulières envers des dirigeants liés à la fédération le privèrent sans doute d’une belle carrière internationale. Il n’est pas anodin que Smith ait dû attendre octobre 1960 et l’âge de 27 ans ½ pour décrocher sa première sélection, malgré ses prouesses avec Spurs, un habitué du podium (2è en 1957, 3è en 1958, 3è en 1960). Avant le début des années 60 et la nomination d’Alf Ramsey comme sélectionneur, la sélection était l’affaire du England Committee Selection, une austère coterie fédérale qui ne goûtait guère les francs-tireurs tel Bobby Smith. Seuls des gentlemen ou favoris des huit membres de la commission – fort parfum de népotisme car groupe composé de directors de clubs – étaient jugés aptes à représenter le pays (ce qui frustrait terriblement le sélectionneur d’alors, Walter Winterbottom – 1946-1962 -, et ce dernier réussit à influencer la sélection vers la fin de son mandat, mais trop tard pour le pauvre Bobby).

En froid avec Bill Nicholson et l’état-major des Spurs, à 31 ans, Smith s’exila à Brighton & Hove Albion (D4) avant qu’une nouvelle série de blessures et des bisbilles avec la direction du club ne le poussent à raccrocher les crampons un an plus tard. Une sévère addiction aux bookmakers (fortes dettes), quelques affinités avec la bouteille, des problèmes récurrents aux genoux et un poids très fluctuant avaient précipité son arrêt (il pesait 105 kilos à l’intersaison 1964 ! Fut alors surnommé « Blobby Smith », Bobby la masse difforme). Malgré ces handicaps insurmontables pour le commun des joueurs, son chant du cygne chez les Mouettes de BHA fut remarquable : ses 19 buts propulsèrent les Seagulls en D3.

Son après-carrière fut tourmentée. Il fallait bien gagner sa vie et Bobby fit artisan, d’abord peintre-décorateur puis chauffeur de taxi, mais un malheureux accident de trottoir (chute dans un trou mal protégé par une bouche d’égout) finit de lui bousiller des jambes qu’il avait déjà bien esquintées. Une crise cardiaque suivit. Sa pension d’invalidité ne suffisant pas, la mort dans l’âme, il organisa la vente aux enchères de sa collection de médailles et trophées (titre, 2 FA Cups, coupe d’Europe, etc.). Terrible coup du sort, il se fit cambrioler du sol au plafond peu avant. La scoumoune jusqu’au bout.

Un petit geste de Chelsea lui mit du baume au coeur et une noisette de beurre dans ses baked beans : chaque Noël, le club londonien verse 1 500 £ à tous les membres de l’effectif du titre de 1955, le premier du club. Petite revanche sur un destin cruel car l’entraîneur avait placardisé Bobby Smith cette saison-là et il ne joua quasiment pas…  Décédé en septembre 2010 d’un cancer.

Jimmy Greaves (1961-1970), avant-centre/ailier droit & gauche/milieu central, 381 matchs/268 buts, 57 capes anglaises, 44 buts (fit partie du groupe Coupe du monde 1966 mais malheureusement pour lui se blessa avant les ¼, Geoff Hurst le remplaça, avec le bonheur que l’on sait).

Relativement méconnu à l’étranger (en partie à cause de son rôle mineur lors de la coupe du monde 1966), « Greavsie » commença son extraordinaire carrière en fanfare à Chelsea, où il avait déjà planté plus de 100 buts avant 20 ans (132 buts en 169 matchs chez les Blues).

Meilleur avant-centre de l’histoire des Spurs et l’un des plus grands du football britannique, voire mondial. Greaves, ce n’était pas simplement un phénoménal ratio buts/match tout au long de sa carrière professionnelle (0.70, 422 buts en 602 matchs) mais un flair player techniquement phénoménal, ce qui amena Milan AC à le recruter en avril 1961 (contre sa volonté mais Chelsea était endetté et accepta goulûment les 80 000 £ offerts – extraordinaire plus-value car Greaves leur avait coûté… 10 £, montant de sa prime à la signature).

Malgré une forte rémunération (600 £/mois, 7 fois son salaire de Chelsea, salary cap oblige) et de superbes stats (9 buts en 12 matchs de D1), l’expérience italienne de Greaves fut un échec sur le plan personnel (décrite comme un « cauchemar » dans son autobio de 2003).

Huit mois après sa signature, Spurs l’arracha aux Rossoneri pour la somme record (pour le foot anglais) de 99 999 £, car Nicholson voulut lui épargner la pression d’être le premier joueur britannique à 100K. Entre-temps, le plafond salarial anglais avait sauté et Greaves rentra au bercail assuré de toucher une belle prime à la signature et un salaire trois fois supérieur à ses maigres émoluments de Chelsea. Six fois meilleur buteur de D1 de 1959 à 1969 (41 buts en championnat saison 1960-61, à Chelsea), il marqua deux buts en finale de C2 contre l’Atlético Madrid (5-1).

Fin de carrière douloureuse. A 31 ans, Greaves sombra dans l’alcoolisme. Extraits-résumés de son autobio :

« Dans les années 70, j’avais plusieurs entreprises avec mon beau-frère et d’autres associés mais je ne me rappelle plus trop ces années-là, j’étais plus ou moins ivre de 1972 à 1977. […] Je m’enfilais souvent 20 pintes dans la journée. Quand le frigo était vide, je conduisais jusqu’au supermarché du coin pour m’acheter une bouteille de vodka – conduire en état d’ébriété était culturellement acceptable – que je descendais en moins de 45 minutes. Je ne dormais jamais sans une bouteille au pied de ma table de chevet, comme ça, dès le réveil, allez hop, un p’tit coup. […] Ma femme n’en pouvait plus et me quitta temporairement. Financièrement, j’étais dans le rouge. Avec de l’aide [médicale et familiale] j’ai réussi à m’en sortir et je n’ai plus touché une goutte d’alcool depuis février 1978. »

Jimmy Greaves, à droite. Le lait, c'est juste pour la photo.

Jimmy Greaves, à droite. Le lait, c'est juste pour la photo

Courageusement, il reprit le dessus et se refit une belle santé dans le club semi-pro de Barnet à la fin des Seventies, à 37 ans passés (Barnet évoluait en non-League, Greaves eut d’ailleurs quelques mois l’excentrique Barry Fry comme entraîneur). De 1985 à 1992, co-présenta la populaire émission télé Saint & Greavsie.

Personnage à la faconde intarissable et gouailleuse (voir clip), Greaves sévit toujours fréquemment dans les médias et est extrêmement demandé sur le lucratif circuit de l’after-dinner speech où il compte parmi les footballeurs les mieux payés (jusqu’à 15 000 £ par soirée/show. Il fit notamment pas mal de shows en duo avec George Best dans les années 90). Plus inhabituel chez les footeux, Greaves manie la plume à ses heures perdues et a co-signé plusieurs livres et romans en tandem avec l’auteur Norman Giller. Intronisé au English Football Hall of Fame dès sa création en 2002.

Kevin Quigagne.

A suivre.

Dans la même série :

Liverpool FC : le Hall of fame (1/2)

Liverpool FC : le Hall of fame (2/2)