Il y a 150 ans cette semaine, le lundi 26 octobre 1863, une poignée de passionnés se réunissaient dans un pub londonien, le Freemasons’ Tavern, pour fixer quelques règles communes de jeu. La première fédération de football au monde, la Football Association, était née et le football moderne avec.

Si vous visitez Londres, ne cherchez pas le Freemasons’ Tavern, il n’existe plus [1]. Mais sa legacy est universelle : les premières lois du jeu du football y ont été édictées et la Football Association y fut créée. Parmi les hommes à l’origine de cette révolution, deux dirigeants de club jouèrent un rôle déterminant : Ebenezer Cobb Morley (ci-dessous, à gauche) et Arthur Pember. A ce titre, ces deux pionniers injustement méconnus sont considérés comme les deux principaux pères fondateurs du football [2].

Une brève histoire de la FA en photos.

1830-1848 : l’élite scolaire prend les rênes

Avant les années 1830, et contrairement aux idées reçues, le football d’en bas existait bien, à une micro échelle (un jeu de balle, à tout le moins – on recense même un club créé en 1824 à l’université d’Edimbourg, The Foot-Ball Club [3]). Il s’était développé dès le 16è siècle parallèlement à la soule (appelée mob football ou folk football), ce combat de rue généralement considéré comme lointain parent du football (ou du hooliganisme, c’est selon) et perpétué avidemment en Angleterre lors des Mardi Gras turbulents (Shrove Tuesday) et jours fériés où les excès étaient de rigueur.

Toutefois, peu à peu, ce football allait s’éteindre (l’intensité de la révolution industrielle, ainsi que son dévorant besoin d’espace, lui portant notamment un coup fatal) et ce sont les universités et Public Schools, ces écoles privées réservées à l’élite et propriétaires de vastes domaines, qui reprennent le flambeau pour résusciter l’agonisant au milieu du XIXè siècle. Un problème majeur se pose alors à ces jeunes gens élevés dans un esprit victorien très compétitif : chaque école a son propre code (fluctuant), ce qui rend les rencontres inter-scolaires impossibles. La solution est donc d’adopter des règles communes à tous. Si le principe est simple, son application s’avèrera autrement plus compliquée.

Un autre élément souvent occulté va favoriser l’éclosion d’une codification unifiée : la révolution industrielle. L’industrialisation effrénée du pays – qui entraîne des bouleversements si soudains et profonds que Friedrich Engels comparera la révolution industrielle britannique à la révolution française – s’accompagne d’un changement radical des mentalités. A mesure que la société se civilise, les classes dirigeantes, puis le peuple, tolèrent de moins en moins la brutalité de ce sport qui ressemble alors bien plus à une violente forme de rugby qu’au football. Les nombreuses pétitions qui exigeaient la disparition de la soule deux décennies auparavant – « trop moyenne-âgeuse » se scandalisait-on – sont remplacées par des voix s’élevant contre ce football sauvage pratiqué dans les public schools et universités.

1848 : les Cambridge Rules, ancêtres des lois du jeu

Le besoin d’uniformisation des règles se fait pressant et c’est de Cambridge que vont venir les prémices du salut. La célèbre cité universitaire est alors pionnière en matière sportive et une forme de football très viril est prisée des étudiants du cru depuis des centaines d’années. La légende locale veut que le notoire Oliver Cromwell, sorte de Napoléon anglais (toujours aussi haï en Ecosse et surtout en Irlande 400 ans après), ait été un brillant footballeur pendant son embryon d’études à Cambridge au début du XVIIè siècle. L’un des poumons verts de Cambridge est Parker’s Piece, une vaste étendue de dix hectares où se pratiquent toutes sortes d’activités depuis des siècles, parmi lesquelles le football occupe une place de choix (Parker’s Piece revendique régulièrement la paternité du football « moderne et organisé »).

La statue de

La statue de W. Webb Ellis (inventeur contesté du rugby) devant Rugby School

Ce sont les dénommés Henry de Winton et John Charles Thring qui donnent les premiers l’impulsion pour une codification du football (JC Thring refera parler de lui, voir plus bas). En octobre 1848, au terme d’une réunion houleuse de huit heures à Trinity College, les Cambridge Rules [4] sont établies par quatorze étudiants de l’université issus de cinq lycées huppés (Eton, Harrow, Rugby, Shrewsbury et Winchester), chacun défendant le bien-fondé des règles de son alma mater.

Deux clans et philosophies de jeu s’opposent alors clairement : les anciens d’Eton College, partisans d’un football essentiellement pratiqué au pied (souvent appelé le dribbling game [5], développé vers 1845 et parfois joué à 11 v 11), et ceux de Rugby School, prestigieuse public school du centre du pays, défenseurs d’une version bien plus musclée du sport, un football rugbystique où l’utilisation des mains est généralisée (appelée le handling game, type de football que Rugby School codifia en août 1845, mais en interne seulement – ces 37 règles furent d’ailleurs publiées dans un livret intitulé « The Laws of Football played at Rugby School »).

Dans le compromis quelque peu boîteux qui émerge, c’est la vision policée des ex Etonians qui s’est imposée. Ces règles introduisent notamment une sorte de touche, les passes en avant (alors interdites), le coup de pied de but et un principe qui pose un jalon fondamental dans l’évolution formative du football :  l’interdiction de courir ballon en main.

1848-1862 : l’anarchie entraîne l’immobilisme

Las, en l’absence d’une instance nationale, une grande confusion règne et les Cambridge Rules tombent vite en désuétude, chaque établissement préférant conserver ses traditions, forcément meilleures que celles du voisin. Parfois, comme à Rugby School, les règles varient même d’une classe ou d’un groupe d’âge à l’autre…

Certaines pratiques en vigueur sont déroutantes et l’inexistence d’un semblant de norme est problématique, même le ballon peut considérablement varier d’un endroit à l’autre (question taille, poids ou même forme). A  Winchester School, les deux poteaux de buts doivent obligatoirement être… des joueurs. A Charterhouse School, les cloîtres servent de terrain et les piliers de buts. A Eton, Nottingham et autour de Sheffield, on peut scorer un « rouge » (le terme vient du hockey sur gazon, alors à la mode), un croisement complexe entre essai de rugby, corner et but (tout en sachant que le but peut s’étendre sur toute la largeur du terrain !).

avant, les beaux piliers servaient de buts

Les cloîtres de Charterhouse School : avant, les beaux piliers servaient de buts

Force est de constater que la période 1848-1862, après avoir beaucoup promis, a engendré l’immobilisme, voire la régression (les débats animés ayant ravivé quelques vieilles rancoeurs et fait naître de nouvelles). Un facteur explique cette inertie : les rapports entre écoles sont sous-tendus par de profonds préjugés et antagonismes. Eton prend Rugby de haut et considère leur rugueux football comme « vulgaire », tandis que Rugby juge celui d’Eton « efféminé ». Un snobisme de caste envenime les relations entre établissements. Les plus historiques et prestigieux, tels Eton ou Westminster, voient d’un mauvais oeil l’ascension d’écoles récemment créées qui, conjecturent-ils, cherchent simplement se faire un nom. Certains membres de la vieille garde refusent même d’affronter ces « arrivistes », ne considérant pas cet adversaire comme « de vrais gentlemen ». Ces rivalités hautaines et stériles vont stopper la progression du football, au moment où l’élaboration des Cambridge Rules aurait dû le faire décoller.

1862 : les prémices du schisme football-rugby

La standardisation des règles s’annonce d’autant plus difficile que, reflet de la révolution industrielle, de robustes régionalismes apparaissent, surtout dans le nord du pays, à la fois berceau de cette révolution et de l’essor du football (logique, puisque son développement est lié à la révolution industrielle).

En octobre 1858, les Sheffield Rules sont créées (ci-dessus – officiellement nommées Rules, Regulations & Laws of the Sheffield Foot-Ball Club). Inspirées des Cambridge Rules, elles seront progressivement modifiées et utilisées dans un vaste rayon autour de Sheffield jusqu’en 1877, coexistant avec les règles établies par la FA en 1863. En mars 1867, Sheffield crééra même sa propre fédération, la Sheffield Football Association, mais rentrera dans le rang dix ans plus tard (le seul exemplaire existant des Sheffield Rules, et qui appartenait à Sheffield FC, le plus vieux club au monde toujours en activité, a été vendu 881 250 £ aux enchères par Sotheby’s en 2011 –  voir clip. Un tournoi, disputé selon les Sheffield Rules, s’est récemment déroulé à Sheffield).

Sheffield FC

Sheffield FC, à sa création en 1857

En 1862, une version réactualisée des Cambridge Rules est élaborée par… John Charles Thring, le principal co-initiateur des Cambridge Rules 1848 et désormais enseignant à Uppingham School, une école progressiste qui a épousé avec enthousiasme les idéaux victoriens d’effort physique salutaire pour le corps et l’esprit. L’activité sportive, devenue synonyme d’ordre et de discipline, est alors en vogue mais doit désormais s’exercer dans un cadre structurant (c’est l’ère de la « masculinité victorienne »).

Ces nouvelles Uppingham Rules, appelées également « The Simplest Game » et similaires aux Cambridge Rules, réitèrent plusieurs points essentiels de 1848 en restreignant leur portée : l’interdiction de faire des crocs-en-jambe, de mettre des coups et d’utiliser ses mains hormis pour arrêter le ballon et le poser devant soi (avant de continuer l’action). Les footballeurs de Rugby et d’ailleurs qui militent pour un football rentre-dedans accusent le coup.

La situation semble donc se débloquer et c’est cette période favorable que choisit un certain Ebenezer Cobb Morley pour entrer en jeu. Mais pour convaincre les footeux pro-rugby que leur version du sport est moche et archaïque, ce bon Ebenezer va devoir entrer tête la première dans la mélée…

A suivre.

Kevin Quigagne.

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[1] Enfin si, mais plus dans son jus. Le superbe Freemasons’ Tavern, ancien QG art déco des francs-maçons anglais, fut transformé et rebaptisé Connaught Rooms en 1905, en l’honneur du Duke de Connaught, l’un des fils de la Reine Victoria. Ce lieu mythique situé tout près de Covent Garden est aujourd’hui le Grand Connaught Rooms, un centre réputé de réunions/galas/soirées/événementiel (qui compte parmi ses clients réguliers nombre d’acteurs du foot et sport anglais, dont la FA, la Football Supporters’ Federation, la Football Writers’ Assciation, la Sports Journalists’ Association, etc.). Samedi 26, la FA célèbrera le 150è anniversaire au Grand Connaught.

[2] Les frères Alcock (Charles et John), fils d’un riche armateur de Sunderland, jouèrent également un rôle clé dans le développement du football. Charles Alcock est notamment le fondateur des fameux Wanderers FC, sud de Londres – cinq fois vainqueur de la FA Cup – et surtout le créateur de la Football Association Challenge Cup (FA Cup), dont la première édition se déroula en 1871-72. Une version bien différente d’aujourd’hui : seuls 15 clubs y participèrent, tous londoniens ou région – sauf Queen’s Park FC, Glasgow – et 15 matchs furent disputés seulement. Wanderers FC remporta la première finale, devant 2 000 spectateurs et fut dissous en 1887 puis refondé en 2009. Ils évoluent en D12 et, avec 5 FA Cups dans leur trophy cabinet, possèdent probablement le plus beau palmarès au monde pour un club de quartier !

Par ailleurs, la FA a retrouvé quelques descendants des huit pères fondateurs et une cérémonie a eu lieu hier (21 octobre) en leur honneur à Wembley.

[3] Club créé par un étudiant, John Hope, et qui peut légitimement revendiquer le titre de premier club « structuré » au monde, même s’il n’exista que 17 ans. Ce club avait établi ses propres règles et compta jusqu’à 80 licenciés. Sheffield FC (actuellement en D8), est le plus vieux club non scolaire au monde, fondé en 1857 par des cricketters qui s’ennuyaient l’hiver venu (le cricket ne se pratique que d’avril à septembre en Angleterre – thank God serait-on tenté d’ajouter).

[4] Il ne reste malheureusement aucune trace écrite des Cambridge Rules, seule subsiste une version révisée datant approximativement de 1856. Elle est conservée à la bibliothèque de Shrewsbury School, lycée des deux instigateurs des Cambridge Rules, Henry de Winton et John Charles Thring.

[5] Dribbling = conduite de balle, dans ce sens (ce terme signifie aussi « technique de dribble » bien entendu). Ni tactique ni positionnement n’existait vers 1850-1860 (même jusqu’au début des années 1880 en Angleterre, au contraire de l’Ecosse, bien plus avancée dans ce domaine), le modus operandi consistant le plus souvent à balancer le « ballon » devant [une vessie de boeuf ou cochon] et courir en masse derrière. Quand un joueur parvenait à contrôler le ballon et filer vers le but, ses coéquipiers l’entouraient pour le protéger des brutalités.

Eton College et Harrow, où le dribbling game a été développé, souhaitaient voir émerger un football moins primitif et violent, avec peu de jeu à la main et basé sur la conduite de balle, mais pas encore sur la passe (passer en avant était interdit et passer latéralement ou en arrière était rare). Sans trop entrer dans les détails, la passe n’arrivera véritablement en Angleterre qu’au début des années 1880 grâce aux Ecossais (même si quelques clubs anglais, tel Sheffield FC, avaient réfléchi au problème avant QPFC – voir le wiki sur le Combination Game) et en particulier grâce au club avant-gardiste de Queen’s Park FC (Glasgow), tenant d’un amateurisme pur et dur – au point que certains de ses joueurs refusèrent des sélections nationales (tel l’Anglais JB McAlpine dans les années 1920). Une dizaine d’années avant tout le monde, QPFC utilisa des dispositifs de jeu révolutionnaires pour l’époque (fin des années 1870), notamment le 2-3-5 alors que les clubs (anglais surtout), si d’aventure ils utilisaient un semblant de schéma tactique, jouaient en 2-2-6. Le 2-3-5 se généralisera à partir des années 1890. Quand les clubs anglais recrutèrent en masse des joueurs écossais, à partir de 1880, ces derniers introduisirent le jeu de passe en Angleterre.

Alors,

a) pourquoi les Anglais firent-ils venir des Ecossais ? et

b) Pourquoi les Anglais n’avaient-ils pas développé le passing game ?

a) Parce que les Ecossais, qui maîtrisaient le jeu de passe, étaient meilleurs que les Anglais et les clubs anglais les payaient généreusement, même avant la professionnalisation en 1885. Le football ne fut professionnalisé qu’en 1893 en Ecosse et dès l’essor du sport en Angleterre à partir des années 1880, beaucoup d’Ecossais irent jouer chez le voisin anglais, surtout dans le Nord. Le surnom du club de Queen’s Park FC, The Spiders, est tiré du jeu de passe « en toile d’araignée », cette toile qu’ils tissaient pour étouffer leurs adversaires (une autre version plausible et largement répandue sur l’origine de leur surnom existe – ici par exemple – mais il semblerait qu’elle ne soit pas avérée. Il convient toutefois d’être prudent avec ces versions, l’histoire du football vers 1870 se transmettant principalement de manière orale, surtout pour les questions de moindre importance comme le surnom).

b) Car la vieille garde, tenante d’un amateurisme pur et dur, considérait la passe comme un acte « lâche » et « contre l’esprit du jeu ». La professionnalisation et le fort apport de joueurs écossais feraient vite disparaître ces idées victoriennes faussement nobles.

13 commentaires

  1. Silkman dit :

    Ah voilà encore une série d’articles qui promet !

    Tiens j’avais entendu dire que les Anglais s’étaient convertis au passing game après que les Écossais leur eurent mis une raclée lors d’une rencontre entre les deux nations. Les Anglais (dans mon souvenir de cette anecdote en tout cas) furent éberlués de voir des joueurs se passer la balle et durent vérifier dans les règles que rien ne l’interdisait. La seule trace d’une grosses défaite encore assez tôt d’après wikipedia est en 1878 (7-2 à Glasgow), et je crois que j’ai dû magnifier ou inventer des détails. Mais cher Kevin, as-tu trace d’une telle légende dans tes rayons de livres poussiéreux ou ta mémoire d’hagiographe du foot anglais ?

  2. Christ en Gourcuff dit :

    C’est toujours le même problème : les deux mots qui concluent un article sont frustrants : « A suivre ».
    Vivement la suite donc!

  3. Blinis dit :

    Toujours génial, cet article me met en plus la larme à l’œil… instant émotion, 150 ans après le foot n’a jamais été aussi vivant : critiqué, adoré, il rythme les cœurs de la planète entière.

    Merci !

  4. Kevin Quigagne dit :

    @ Silkman.

    Je te répondrai (dans quelques heures) mais désolé, ça sera un mini pavé !

    Impossible de répondre à ta question pertinente sans expliquer. Juste une petite chose : l’équipe d’Ecosse dans les années 1870… c’était l’équipe de Queen’s Park FC ! (quasi intégralement, surtout au début). Et donc, comme je l’écris dans mon article (renvoi # 5), c’est QPFC (club très avant-gardiste) qui transmit le jeu de passe aux Anglais.

    Mais il y eut de la résistance pour assimiler ce jeu de passe car, comme je l’écris dans mon renvoi # 5b*, les clubs anglais en vue étaient tous dirigés par des « Toffs » (aristos/bourgeoisie) et eux ne voulaient pas entendre parler de ce jeu de passe, au début tout au moins. Et l’équipe d’Angleterre dans les années 1870 (Old Etonians, Wanderers, etc.) était composée à quasi 100 % de joueurs issus de ces clubs.

    Les Anglais firent cependant quelques bons résultats contre les Ecossais dans les premiers matchs, dont une victoire 4-2 en 1873, un 2-2 en 1875 puis un 5-4 en 1879, voir http://www.englandstats.com/opp.php?oppid=-1

    [*« la vieille garde, tenante d’un amateurisme pur et dur, considérait la passe comme un acte « lâche » et « contre l’esprit du jeu »]

  5. Kevin Quigagne dit :

    @ Christ @ Blinis.

    Merci beaucoup.

    Dans le climat actuel pourri*, un évènement comme le 150è anniversaire de la création du football moderne devrait occuper le terrain davantage que des déclas sans grande importance qui ne touchent qu’une poignée de mecs qui ne peuvent pas se sentir.

    [en Angleterre aussi, cf Hodgson & le Space Monkey, quel truc à la con et totalement monté aussi cette affaire, surtout qu’on sait/devine à peu près d’où ça vient et ça n’a rien à voir avec un quelconque racisme mais plutôt avec un joueur qui n’apprécierait pas de se retrouver écarté, enfin cela ne nous regarde pas…)

  6. Kevin Quigagne dit :

    @ Silkman.

    Donc comme je disais plus tôt, pas facile de répondre à ta question sans mettre un pavé, désolé…

    Les Anglais se sont convertis au jeu de passe de façon progressive, sur une dizaine d’années en gros, à partir des années 1872-1875 disons.

    Effectivement, ce fut grâce à l’équipe d’Écosse, qui en fait était… l’équipe de Queen’s Park FC (QPFC), dont je parle dans les renvois. Je crois que les 3 ou 4 premiers Angleterre-Ecosse, les 11 Ecossais étaient tous des Spiders ! (surnom de QPFC). Normal, les Spiders (au départ un club élitiste, pour les gentlemen, tenant d’un amateurisme pur et dur), ils étaient avant-gardistes et il y avait peu de clubs donc, c’étaient parmi les meilleurs en Grande-Bretagne et les Anglais les admiraient.

    Dans mon article, je recommande la lecture du wiki sur le « Combination Game », car justement, il parle du jeu de passe, développé donc par QPFC, ici :

    http://bit.ly/qfb6on

    Pour comprendre pourquoi QPFC fut si important, voir ce fascinant clip, de 50 secondes à 1 minute 50 :

    http://www.youtube.com/watch?v=FSTBOE3YiiE

    La passe ne fut pas interdite par un quelconque réglement (sauf, la passe en avant, seulement autorisée en 1866, on verra ça prochain volet) mais le jeu de passe ne faisait tout simplement pas partie du jeu en Angleterre, jusqu’à la fin des années 70, bref jusqu’à l’influence des Ecossais sur le jeu anglais.

    Dans les faits, les clubs anglais influents de l’époque refusaient de se passer le ballon car ils trouvaient ça « lâche » et « contre l’esprit du jeu » (voir renvoi # 5b).

    Vers 1860, la passe avait commencé timidement à être utilisée (là encore, hyper localement, embryon de jeu de passe surtout pratiqué par Sheffield FC au début des années 1860 – c’est dans l’article – et Cambridge University l’utilisait déjà vers 1850, mais limité à leur uni) et l’introduction d’un vrai hors-jeu en 1866 (prochain volet) et cela força les clubs à réfléchir au jeu de passe mais cela prit du temps.

    Les clubs anglais les + connus et influents dans les années 1860 et 1870 n’utilisaient pas la passe pour les raisons sus-citées. Ces clubs étaient très élitistes pour la plupart (on les intégrait par co-optation/invitation ou par réseau), fondés et dirigés par des « Toffs » (aristos / bourgeoisie / classes supérieures).

    Ces clubs Toffs étaient ceux qui créèrent la Football Association (sauf 2, prochain volet) et ceux qui remportèrent les 13 premières éditions de la FA Cup, donc les clubs (tous disparus) de Wanderers, Old Etonians, Royal Engineers, etc., voir http://en.wikipedia.org/wiki/List_of_FA_Cup_finals. Ces clubs étaient donc tous réservés à l’élite.

    Y’avait bien sûr pas mal de clubs prolos dans les années 1860-70, certains toujours en activité (citons Stoke, Notts County, Nottingham Forest, Chesterfield, Sheffield Wednesday, Reading, etc.) mais c’était des clubs mineurs, s’il leur arrivait de jouer contre des clubs de Toffs, ils se prenaient des taules. Plusieurs raisons à leur statut de sans-grade :

    a) les mecs bossaient (dur), 6 jours par semaine, donc pas le temps ni de s’entraîner ni de prendre ce nouveau loisir bien au sérieux, jusqu’à la fin des années 1870’s en tout cas. Il fallut l’obtention du samedi après-midi de repos pour que ça change, acquis qui varia selon les régions (et les types d’activité professionnelle, ce fut + facile pour les ouvriers du textile du Lancashire – car organisés – que les dockers de Liverpool par exemple – main d’oeuvre fragmentée et intérimaire, pas de syndicat – certains ne l’obtinrent ce samedi aprèm de repos que vers 1890, j’en parle ici :

    http://bit.ly/QANXBh

    b) des années 1860 à 1880 et au-delà, y’avait pas de championnat, juste des matchs amicaux et des petites coupes locales.
    Seuls les clubs comme Queen’s Park FC de Glasgow ou les Old Etonians avaient les moyens de se déplacer, et donc de s’affronter entre eux et donc de progresser.

    Le train connut un développement phénoménal de 1840 à 1870 (il couvrit vite l’intégralité du pays) et aida alors fortement le foot à se développer – et les choses sérieuses commencèrent dès lors, Football League en 1888 et championnats annexes (régionaux) comme la Football Alliance ou la Northern Football Alliance.

    c) le foot était encore très désorganisé dans les années 1870, aussi bien sur le terrain (où les fameuses Lois du jeu de 1863 n’étaient guère respectées, c’était plus que musclé) qu’en dehors.

    Par exemple, l’organisation des matchs (pas de championnat) était un épouvantable casse-tête, le plus souvent les mecs devaient se mettre d’accord sur les dates de match par lettre ou via la presse, on imagine le bordel, car les effectifs étaient ric-rac et si empêchement de dernière minute (fréquent), seulement une équipe ou la moitié de l’équipe se pointait.

    Y’avait aussi de gros problèmes de terrain (je passe sur les problèmes de ballon et d’équipement !), pas mal d’équipes n’en avaient pas et il n’était pas rare que les mecs se piquent les terrains entre eux ! (car si un terrain mettons n’etait pas utilisé pendant 1 mois, aux yeux de certains, il devenait vacant et risquait de se faire squatter).

    Pas mal d’équipes avaient dans leur nom des termes comme « Nomads », « Wanderers », « Rovers », « Strollers », « Ramblers », même « Gipsies » (donc idée de vadrouille permanente) ou « Gitanos », car on aimait faire exotique, en l’absence de championnat et de publicité, il fallait se faire remarquer pour se trouver des adversaires et pas mal de noms de club sortaient de l’ordinaire. C’etait pour eux une façon de dire : « Et les gars, on existe hein, venez jouer contre nous »

    Tous ces noms (Rovers, Wanderers, etc.) c’était donc car n’ayant pas de base fixe, ils devaient voyager de ville en ville pour tenter d’affronter d’autres clubs. Pour le coup, comme dirait Patrice, c’étaient des clochards les mecs, des vagabonds (y’avait même un club qui s’appelaient The Vagabonds).

    Les terrains étaient chers en milieu urbain (révolution industrielle oblige) et peu en possédaient ou en avaient l’utilisation. Des clubs comme QPR eurent (officiellement) 19 terrains avant de se fixer à Loftus Road en 1917, mais probablement plus au tout début.

    Ces clubs prolos ne progressaient pas des masses non plus car souvent, ils se frottaient aux mêmes équipes… Dans l’impossibilité de se déplacer et vu le petit nombre de clubs, (à peine une centaine de clubs officiels au début des années 1870 dans toute l’Angleterre) les mecs se rencontraient sans cesse, c’était guère varié, donc ils stagnaient. Souvent, ils devaient fusionner pour survivre.

    Bref, cet état d’instabilité maximale favorisa grandement les clubs établis et aisés comme the Old Etonians par exemple.

    Faut donc voir que jusqu’au milieu des années 1880, le football anglais était totalement aux mains des aristos/classes dirigeantes, tenants d’un amateurisme pur et dur (valeurs victoriennes, valeurs bien pratiques d’ailleurs car ça leur permettait de garder le contrôle de ce sport dans cette grande décennie de transition, 1870-1880).

    Le tournant officiel (passage de témoin entre football aristo et prolo, pour simplifier) arriva en 1883, quand Blackburn Olympic battit les Old Etonians 2-1 en finale de FA Cup. Enorme valeur symbolique. A partir de là, le football passa aux mains des classes ouvrières et les clubs Toffs disparurent.

    Le succès du football à la fin des années 1870 (public, plusieurs milliers de spectateurs) commença à générer de l’argent (surtout dans le Lancashire), et donc compétitions et paiements aux joueurs, alors illégaux. Et donc, on commença à faire venir les Ecossais, qui eux, avaient assimilé le jeu de passe et se débrouillaient bien. Ce sont eux qui disséminèrent le jeu de passe en Angleterre. Et avec le jeu de passe, de vrais dispositifs se mirent en place, comme une vraie défense par exemple.

    Avant l’arrivée du jeu de passe, le football était très perso : un joueur tentait d’aller le plus loin possible avec le ballon aux pieds, jusqu’à ce qu’un adversaire le bloque (violemment souvent, même après l’établissement des Lois du jeu), l’adversaire faisait de même, il poussait son ballon le plus loin possible et courait derrière, et ainsi de suite. Le foot n’était alors pas du tout un sport collectif.

    Je reparlerai de QPFC quand je sortirai un gros dossier sur le football noir britannique, vous verrez pourquoi. Premiers volets à partir de décembre j’espère.

    Pour finir :

    http://en.wikipedia.org/wiki/Passing_(association_football)

  7. Silkman dit :

    Wow, ça c’est de la réponse de qualité. Un immense merci pour tous ces détails.

  8. ALGDCM dit :

    Merci Kevin, je me disais bien que Ben Arfa ne jouait pas à la bonne époque.

  9. Kireg dit :

    Quel article !
    Bien écrit, très documenté et surtout, super intéressant.
    J’imagine mal la quantité de travail et l’implication que cela doit représenter.
    Merci.

  10. Kevin Quigagne dit :

    @ ALG.

    Ah oui ça, HBA aurait kiffé. Enfin, je vais pas trop le charrier, il pourrait nous faire mal dimanche (Sunderland-Newcastle).

    Le « dribbling game » dont je parle dans l’article tel qu’il fut développé par Eton College, c’était ça, un jeu de croqueurs, par opposition au « passing game » qui donc mit du temps à se développer en Angleterre, et le fut grâce aux Écossais, surtout QPFC comme je l’ai expliqué dans mon post précédent.

    Pour les clubs influents des années 1860-70, les Old Etonians, Wanderers, etc. et leurs joueurs nourris aux nobles idéaux victoriens, le dribbling game était chevaleresque et brave ; pour eux, le passing game, c’était pour les faibles, les mauviettes, passer le ballon, c’était lâche. Ça nous paraît bizarre mais c’est compréhensible au fond car les mecs avaient pratiqué un football hyper rugueux et individualiste pendant des décennies, ils ne connaissaient que ça.

    @ Kireg.

    Merci. Oui, c’est très prenant. Je ne compte plus les menaces de rupture de ma partenaire pour avoir feint un mal de tête en vacances alors qu’en fait je me matais en douce un Best of Doncaster Rovers ou le DVD de la FA Cup final 1953 Blackpool v Bolton. Bon, ma douce est compréhensive (pour l’instant), sans ça, rien de tout cela ne serait possible !

  11. JePigePo dit :

    Kevin tu écris sans nul doute les seuls artcles où j’en apprends autant dans tes textes….que dans les réponses développées, fournies..

    Un seul mot : MAGIQUE

  12. Kevin Quigagne dit :

    Merci JePi.

    Pas trop de travail ni de soucis cette semaine, les vacances demain, donc réponses fournies !

  13. roperta dit :

    Un peu de culture dans un monde de buts :
    pour tous ceux qui veulent comprendre pourquoi le football est devenu en 150 ans le premier spectacle mondial je vous conseille « football : les raisons d’une passion », un livre … passionnant

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