2.

C’est par la plus grande des ironies que notre chauffeur de taxi (tous les grands reporters – et peut-être même les plus réputés des anthropologues – tiennent l’essentiel de leurs informations en milieu exotique de chauffeurs de taxi) vécut aux Iles Canaries l’un des plus grands exploits de l’histoire récente du Norwich City Football Club: une glorieuse victoire en championnat face au Manchester United d’un Wayne Rooney tout juste sorti de l’adolescence. « Ma femme – qui est abonnée – et moi étions dans un pub bondé de supporters de Man U, autant dire que nous n’en menions pas large ». Et avec emphase : « le patron du pub nous a d’ailleurs bien dit qu’on avait de sacrées tripes d’avoir enfilé nos maillots jaunes et verts ! ». Eh. Le coup d’éclat n’empêcha pas, cette année-là, la relégation du club sur le bilan amer de 77 buts encaissés.

Le fait est que les exploits susceptibles de gonfler l’orgueil canari ne sont pas légion. Deux maigres coupes nationales en 109 ans d’existence. Mais une ferveur populaire exemplaire, sur laquelle nous reviendrons. Et surtout, un derby venimeux, qui consolide peut-être mieux que n’importe quel palmarès l’identité supporteriale. Le deuxième plus féroce d’Angleterre, dit-on (après, le saviez-vous, celui qui oppose West Bromwich Albion aux Wolverhampton Wanderers). Il est ainsi temps d’avertir le lecteur d’une spécificité linguistique de Norwich. Si le désir vous prend de visiter le centre-ville aux charmes discutables et pour peu que les circonstances exigent de vous que vous fassiez part publiquement de ce projet, faites bien en sorte d’annoncer que vous vous rendez in the city, mais surtout pas in town. ‘Town’ réveille les haines primordiales les plus barbares ; ‘town’ évoque la damnation et le Malin. ‘Town’ pour Ipswich Town, rival honni du Suffolk pour l’hégémonie footballistique de l’East Anglia. L’ironie de ceux qui ont baptisé ce derby ‘Old Farm’, en référence à l’Old Firm du Celtic et des Rangers n’entame pas l’ardeur de ses protagonistes. Un préposé à  l’affichage de Carrow Rd, le stade de Norwich, a parait-il, un jour signalé aux supporters canaris l’évolution du score du voisin ainsi : ‘Manchester United 1 – Scum 0′. Il arrive que la rivalité des deux clubs prenne une tournure moins heureuse. « Pourtant, poursuit le chauffeur de taxi, ma femme et moi passons de nombreux week-ends à Ipswich et il faut bien reconnaitre qu’il s’agit d’une ville très agréable… mais que voulez-vous… on les déteste ».

2 commentaires

  1. Xav dit :

    Dans le genre derby feroce, West Ham – Milwall est pas pique des hanetons non plus…
    Et y’en aura deux cette annee!!!

    COYI

  2. mangeur dit :

    Merci ami Norwichien pour cette chouette chronique sur ton nouveau club de cœur, « a club difficult to dislike » comme l’écrit l’un de mes bouquins de foot anglais sur tes Canaries.

    Finalement, sympa que tu aies atterri dans l’East Anglia, région désormais célèbre depuis que Jade Goody, l’une des plus célèbres décérébrées de Big Brother (le Loft anglais) et devenue uber-pipole par la suite s’écria à haute voix en 2002 dans le jacuzzi de la maison de l’ennui :

    « l’East Angular, c’est où ça ? je pensais que c’était à l’étranger. »

    (notez que East Anglia a été malencontreusement rebaptisée au carré dans la bouche de la fameuse Jade]

    [Jade asks Spencer if he punts boats on the River Thames.

    Spencer: « No, I work in Cambridge. »
    Jade: « I know I’m from Bermondsey and I know that’s London, but where is Cambridge? »
    Spencer: « It’s in East Anglia. »
    Jade: « Where’s East Angular [sic] though? I thought that was abroad. »]

    Bon, enfin, je vais pas l’accabler, la pauvre est morte depuis.

    Ah Norwich, je sais pas grand-chose sur ce club, mais il m’inspire confiance. L’effet Delia Smith sûrement, un phénomène. Quand elle nous montrait aux Anglais la meilleure façon de faire cuire un œuf y’a 15 ans à la TV, gastronomiquement parlant, c’était plus fort qu’avec la Queen du gastro porn, Nigella Lawson et ses lolos de mère-nourricière des Pouilles.

    Au moins, quand on regarde Delia à la téloche, on suit bien la recette, on est pas distrait par cette profusion mammaire qui déborde sur la farine et fait perdre le fil du truc. Vu que bon, ce qu’on demande à une émission de cuisine, c’est surtout d’informer dans la sobriété (elle nous manque la Delia à la TV).

    Bon, je reviendrai plus tard avec de vraies infos sur ce noble club, sorte de Nantes anglais.

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