(La première partie est ici)

Mardi 12 octobre : la vraie bataille juridique peut commencer

High Court de Londres. RBS v Hicks & Gillett. Ça s’annonce chaud.

Manifestation d’une bonne centaine de Reds devant le tribunal, « Martin [Broughton], we love you« , scandent les supporters. Jamais un patron de British Airways n’a été aussi adulé. Michael O’Leary, le boss de Ryanair, fait une crise de jalousie, se venge sur ses passagers et décide d’instaurer une taxe supplémentaire ; désormais, ses clients paieront un supplément « mètres cubes d’air respiré en cabine » (et en salle d’embarquement).

H & G sont absents. Broughton et Liverpool sont défendus par la fine fleur des Super Avocats, Lord Grabiner. Tout comme en PL, tout est très hiérarchisé chez les avocats anglais ; il y a le Big Four, le Mou Thirteen et le Bottom Three. Ces derniers touchent 200 £ / heure. Les Super Avocats évoluent dans une toute autre galaxie. The Independent révèle que Grabiner palpe 3 000 £ / h.

L’affaire est programmée pour durer deux heures. Elle s’étendra sur plus de six heures (il y a six autres affaires à examiner ce jour-là en salle d’audience 16).

Rien que le sketch des avocats de H & G dure trois heures (atermoiements, timewasting, simulation, tentatives de faire reporter l’audition et enfin, reléguée vers la fin, mini-plaidoirie). Le public et les journalistes s’endorment.

Le bon juge Floyd

ce bon juge Floyd

L’arbitre, le juge Floyd, s’impatiente. Il siffle la fin du match à 16 h 30. Faudra aller aux prolongations le lendemain. La date butoir de remboursement de prêt est le 15 octobre et il tient absolument à conclure l’affaire dans les vingt-quatre heures (les vingt-quatre heures démentes ?).

Mercredi 13 octobre

10 h. Les prolongations commencent devant la chambre 18, plus petite que la 16. La salle est archi-comble, beaucoup de supps se retrouvent debout, hyper serrés. Certains sont priés de sortir. Ils répliquent : « On peut faire appel ?« . Mais l’huissier ne goûte guère leur humour et les fait sortir.

A midi, le verdict tombe. And the winner is (à part les avocats)… RBS & Martin Broughton. Le juge Floyd en a eu assez de toutes ces salades texanes, et a débouté H & G. Première victoire pour les Reds.

La centaine de supporters présent exulte, et malgré la sécurité renforcée, quelques-uns parviennent à pénétrer dans la salle des points perdus du Palais de Justice, et entonnent : « You’ll Never Walk Alone » (you’ll never walk a loan ?).

A 13 h 15, les bookmakers annoncent les cotes du futur proprio. NESV est donné grand favori : 1/10, Meriton 6/1 et Mill Financial 14/1.

H & G contre-attaquent : « See you at the Court of Appeal, guys« .

Le duo infernal pourrait réclamer des dommages et intérêts en Cour d’Appel anglaise… mais seulement si cette dernière accepte les arguments de H & G que le verdict rendu en première instance par la Haute Cour est « wrong » (c’est-à-dire qu’il sort du barème des jugements « raisonnables » qui auraient pu être rendus dans cette affaire).

Broughton annonce une réunion du board le soir même, à 20 h, dans des bureaux londoniens de Slaughter & May (cabinet juridique avec des tables géantes). H & G y seront représentés par leurs avocats. La vente immédiate du club à NESV devrait y être décidée.

Des USA, John Henry (NESV) exulte par Twitter : « Well done Martin, Christian and Ian. Well done RBS. Well done supporters!« . Enfin un Henry heureux et victorieux cette année.

Gros coup de pub pour les « Liverpool Three ». Déjà presque aussi adulés que les Beatles en Angleterre.

Les huit heures de l’affaire au tribunal ont coûté jusqu’à 500 000 de livres (selon Lord Grabiner, l’avocat du board de LFC – celui à 3 000 £ / h).

Le revenant Chris de Burgh (supporter des Reds) se fend d’un commentaire interminable dont je vous livre la profonde substance : « C’est génial » (réapparition du barde britannico-celte aussi incongrue que malvenue et absolument sans rapport bien sûr avec la sortie de son prochain album la semaine prochaine, en exclusivité Asda et Poundland).

Sky News montre les scènes de liesse à la sortie du tribunal. Celles du Guardian ne sont pas mal non plus.

20 h 30. Petit évènement : John Henry, le boss de NESV (qui était encore aux USA quelques heures avant), débarque au meeting de ce soir (a-t-il été déposé sur Londres par un avion de chasse US ?). On pense alors que la vente du club à NESV n’est plus qu’une formalité.

22 h. Énorme coup de théâtre. On apprend que H & G viennent de porter plainte auprès d’un obscur tribunal texan (le Texas State District Court) contre les 3 membres du directoire de Liverpool et ont obtenu du tribunal une « ordonnance restrictive« , bloquant temporairement la vente de Liverpool  FC à NESV.

C’est un peu comme si le Tribunal d’Instance de Gueugnon décidait subitement de pourrir la High Court de Londres sur une affaire anglaise. Un hold-up de dernière minute des vils coyotes qui ne surprend pas tant que ça finalement.

Le texte de l’accusation est survitaminé et a dû être rédigé par le fils Hicks (grand diplomate bien connu), pendant un shoot de stéroïdes. H & G accusent le directoire du club d’avoir commis une « formidable escroquerie » et parlent de « conspiration« .

Ils dénoncent le fait que d’autres acheteurs potentiels n’auraient pas été considérés (dont FBR Capital Markets qui aurait proposé 400 millions de livres le 4 octobre), et que le club est en passe d’être vendu pour « des centaines de millions de dollars en dessous de sa valeur marchande« .

Ils exigent une audition le 25 octobre, et réclament la bagatelle d’1 milliard de £ en dommages et intérêts (1,6 milliard de dollars).

Les avocats du club vont maintenant tenter de faire lever cette ordonnance restrictive le plus vite possible mais les embrouilleurs H & G ont atteint leur objectif machiavélique, parvenir une nouvelle fois à paralyser la vente du club.

Personne parmi les journalistes ou experts présents ne peut dire précisément quelle légitimité ce tribunal a sur le sol anglais. Mais on sent le gros coup de bluff quand même.

Cependant, il convient d’y aller prudemment. RBS est une multinationale possédant des intérêts financiers considérables aux USA (sans parler de NESV, société américaine) et tous estiment qu’il serait risqué d’ignorer les nouveaux développements de ce soir, aussi farfelus qu’ils paraissent. Aucun des acteurs de cette saga n’a intérêt à se retrouver « in contempt of a US Court » (obstruction au cours de la justice/outrage à magistrat).

Le refus d’obéir à la justice se paie cher aux USA (avec leurs amendes surréalistes) et beaucoup ont fait de la prison pour moins que ça. Et personne n’a envie de se retrouver dans une cellule de prison US, avec les Crips et les Bloods pour voisins.

Les avocats du directoire déclarent qu’ils pourraient contre-attaquer en portant plainte contre H & G pour diffamation (accusations d’escroquerie).

Les discussions entre les avocats et le directoire se prolongent jusqu’à 3 heures du matin (on cherche la meilleure stratégie à adopter pour faire annuler cette ordonnance restrictive).

Jeudi 14 octobre

La journée commence par des réitérations en pagaille des nombreux acteurs du feuilleton, qui s’est vite transformé en Dallas du foot européen. Ça roule des mécaniques et bombe le torse.

Le directoire de Liverpool répète à l’envi sa farouche volonté de faire lever l’ordonnance restrictive imposée par H & G la veille (par ce fameux tribunal texan).

 La RBS réaffirme son désir de récupérer ses billes (280M) avant la date butoir (le lendemain 16 h).

NESV réitère sa détermination à acquérir Liverpool. John Henry annule tous ses engagements aux USA et reste sur Londres.

Peter Lim, le zillionaire singapourien du groupe Meriton, répète qu’il se battra jusqu’au bout pour faire valoir ses droits.

H & G réaffirment leur volonté d’atomiser le directoire de LFC et d’obtenir leur milliard de dommages et intérêts. Ils se basent sur la (grotesque) évaluation du club par Forbes en avril 2010 (822M de $, sans les dettes !), pour clamer haut et fort que le club a été honteusement sous-évalué et que des offres supérieures à celle de NESV ont été ignorées. Ils crient à la conspiration, à la machination, au complot, à l’escroquerie caractérisée et que sais-je encore.

Hicks Junior, le poète (« blow me fuckface« ), semble en plein dans son élément. S’il n’y avait que lui, ce foutoir durerait jusqu’à Noël. Un vrai poissonnier de criée (je m’excuse auprès de ces derniers – après les bouchers-charcutiers, les faucheurs, les sarcleurs et les bûcherons, encore une noble corporation qui morfle injustement cette semaine).

Les mystérieux dirigeants du hedge fund américain Mill Financial (et incrustés de la dernière heure) affirment haut et fort qu’ils sont en pole-position, et que les actions de Gillett (88M de £) sont désormais en leur possession. Et donc que les proprios du club, eh bien, techniquement, c’est eux.

Le Liverpool Echo révèle en outre qu’une « grosse organisation » se trouverait derrière Mill Financial (propriété de SpringField Financial – derrière le club des Washington Redskins American Football). Le nom de Kenny Huang revient sur le devant de la scène. Personne n’y croit cependant. Dommage, il nous avait fait bien rire.

On apprend que le désormais fameux Judge Jordan (celui qui a lancé une injonction contre le directoire de Liverpool depuis son tribunal texan) est indirectement lié à Tom Hicks… En 2008, il avait reçu 10 000 $ de K&L Gates LLP pour sa campagne d’élection à la Texas Supreme Court. L’un des patrons de K&L, Vester Hughes, est un intime du cercle Hicks.

14 h 00. L’affaire reprend à la High Court. H & G ont choisi de n’envoyer aucun avocat (peut-être, tels Saddam Hussein ou Radovan Karadzic, ne reconnaissent-ils pas la légitimité de ce tribunal londonien ?).

Le directoire va tenter d’annuler l’ordonnance restrictive venue du Texas, sur la base de « l’illégitimité » de l’intervention judiciaire du tribunal texan au Royaume-Uni par rapport à la législation commerciale britannique.

14 h 30. Nouveau coup de théâtre : Peter Lim jette l’éponge. Il déclare que son combat est perdu d’avance, que tout ça est pipé depuis le départ, et se dit persuadé que le directoire a déjà fait son choix de vendre à NESV, en ghettoïsant toutes les autres parties intéressées. Mais il s’empresse d’ajouter que s’il n’y a rien de nouveau d’ici demain 16 h, qu’on le recontacte. On pourra le joindre au Golden Mike Karaoke bar de Singapour downtown.

15 h 00. On apprend que H & G sont à Dallas. Leurs avocats accusent le directoire de LFC d’avoir bafoué la légitimité du tribunal américain hier et assimilent cela à un « outrage à magistrat« … « The LFC board were in contempt of a US court yesterday » déclarent-ils. Ils ne manquent pas de culot eux !

15 h 15. Des nouvelles de la salle d’audience de la High Court.

Le truculent avocat du directoire de LFC, Lord Grabiner, ténor du barreau et l’un des mieux payés au monde (3 000 £ / h), décrit les actions de H & G comme suit : « C’est une parodie grotesque, affligeante, injuste et infondée. Il est ridicule que H & G aient recours à la 160th Civil District Court du Texas, un tribunal évidemment mondialement connu [ton sarcastique], simplement parce qu’ils ne sont pas satisfaits du verdict rendu par la Haute Court de justice de Londres. H & G sont incorrigibles et sont vraisembablement en train de ricaner dans leur coin en ce moment.« 

Le Dallas Morning News, bien optimiste, rapporte l’affaire en écrivant : « Tom Hicks a réussi hier à faire stopper la vente de LFC et a peut-être gagné un précieux avantage : celui de rejouer le match à domicile. Le juge Jim Jordan, qui a rendu hier une décision en faveur de l’homme d’affaires texan, déclare que cette affaire doit maintenant être jugée par un tribunal texan. »

Cette bizarre saga tourne de plus en plus au bras de fer entre deux tribunaux, façon Gladiator sur parquet (mon tribunal est plus musclé que le tien).

17 h 20. Le verdict du bon juge Floyd tombe : l’ordonne restrictive lancée au Texas contre le directoire de LFC est infondée. Son annulation, demandée par le directoire, est donc prononcée.

Floyd déclare, en substance : « Cette affaire n’a pas à être traitée au Texas.« 

Le juge Floyd prévient aussi H & G qu’ils seraient considérés comme « refusant d’obéir à un ordre du tribunal » s’ils ne faisaient pas cas de cette décision.

Le juge Floyd doit être également très soulagé. La High Court de Londres a « accueilli » une quantité impressionnante de clubs et dirigeants du football depuis un an. Entre autres : Cardiff City, Portsmouth, Harry Redknapp, Milan Mandaric, Sheffield Wednesday, Crystal Palace, Notts County, Stockport County, Boston United, Chester City, Southend United, King’s Lynn FC, Ilkeston Town et Burscough FC.

Cette décision est-elle LA décision finale et définitive ? (qu’on en finisse avec cette affaire). Rien n’est moins sûr.

Etant donné qu’on parle ici d’un cas extrêmement complexe où plusieurs types de droit se télescopent (droit anglais v américain, international, commercial, civil, etc.), évidemment, les interprétations divergent, et les experts légaux ne sont pas tous d’accord sur les recours possibles, ainsi que le degré de responsabilité des uns et des autres. Une chose est sûre cependant : la nasse se referme sur les diaboliques H & G.

La question que tout le monde se pose : H & G vont-ils enfin abandonner ou ont-ils encore un tour dans leur sac à malice ?

La date butoir pour le remboursement du prêt est toujours fixée au lendemain, 16 h 00. Une audition sur cette affaire doit commencer à Dallas à midi, heure texane.

Un blogger anglais résume comiquement la situation :

« Alors hier, les Anglais ont gagné dans un tribunal anglais. Ensuite, les Américains ont gagné dans un tribunal américain et ont fait bloquer la décision du juge anglais. Aujourd’hui, les Anglais ont de nouveau gagné au tribunal anglais, qui a bloqué l’action de blocage initiée contre la première décision du juge anglais. Et en ce moment, les Américains sont au tribunal américain pour bloquer le blocage du blocage de la décision du juge anglais, décidée après la première tentative de ces mêmes Américains. Bon, ça va se finir quand tout ça ?« 

Le directoire a envoyé des avocats sur place à Dallas pour contre-contre-attaquer.

19 h 00 : NESV déclare qu’ils sont les nouveaux proprios du club et que l’achat de vente pourrait être signé dans la soirée (après la décision rendue à Dallas).

20 h 00. On apprend que Gillett est à Londres, en compagnie de ses avocats (mais ils se déplacent comment ces Ricains, en fusée ?).

20 h 15. Le fameux tribunal texan vient de suspendre l’audience, qui reprendra demain à 7 h 00, heure locale. Treize heures en Angleterre, soit seulement trois heures avant la fin de la date butoir. De sérieuses complications sont apparues à Dallas sur la question centrale de cette affaire : mais qui est le propriétaire de ce club, bon sang ?

Il y a à peine quelques jours, on était encore loin de penser que l’avenir de LFC se trouvait peut-être entre les mains d’un obscur tribunal texan.

20 h 30. Broughton déclare qu’il espère pouvoir présenter aux supporters John Henry, le nouveau proprio, dimanche après-midi lors du derby contre Everton.

22 h 00. Les reporters de Sky et autres campent (en vain) devant les bureaux de Slaughter & May à Londres où Broughton et son gang sont réunis avec John Henry et son crew pour préparer l’épique bataille du lendemain.

Kevin Quigagne

2 commentaires

  1. Shinta-pko dit :

    Waouw.
    C’est une sacrée saison de ‘Law and Order: High Court of London’ que nous avons là.
    J’adore c’est passionnant, même si j’imagine que les Reds n’en peuvent plus de reporter leur party.
    Courage!

  2. Jacques Cashquart dit :

    « Peter Lim jette l’éponge. (…) On pourra le joindre au Golden Mike Karaoke bar de Singapour downtown. »

    J’imagine bien la scène, Peter noyant son chagrin avec des chansons de Lily Allen durant toute la nuit !

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