Ni buts ni soumises » Aphrodite’s Child

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Aphrodite’s Child

La France a remporté le tournoi de Chypre1 à l’issue de deux matchs particulièrement aboutis contre l’Angleterre et le Canada. Tout le monde se projette déjà sur le JO sauf Bruno Bini qui rappelle qu’il y a avant des matchs éliminatoires contre l’Écosse et le Pays de Galles.

Traditionnellement, la fin du mois de février (et le début de celui de mars) est consacrée aux sélections nationales dans le football féminin. Il s’agit sans doute d’une marque de la puissance traditionnel des nations nordiques, habituées à mettre le cap au sud pour préparer la reprise en début d’année, souvent dans la péninsule Ibérique.

Si la Manga en Espagne accueille un tournoi de sélections de jeunes, la région de l’Algarve au Portugal reçoit depuis 1994 un tournoi qui est considéré comme une mini Coupe du monde regroupant toutes les meilleures équipes du monde. Les États-Unis et la Norvège mènent le palmarès, accompagnées de la Suède, de la Chine et de l’Allemagne.

Le système est assez original : la compétition comprend trois poules de 4, mais seules les deux premières jouent pour la victoire finale. La troisième est une sorte de deuxième division qui permet à l’équipe locale de participer. Les vainqueurs des deux premières poules s’affrontent en finale, les seconds en match pour la troisième place.

Février confirme juillet

Cette année, la troisième journée a offert deux « demi-finales » entre des équipes qui ont remporté leurs deux premiers matchs, avec la Suède et l’Allemagne d’un côté, victorieuses de la Chine et de l’Islande, et avec les États-Unis et le Japon de l’autre, victorieuses de la Norvège et du Danemark.

Le Japon a confirmé sa victoire en Coupe du monde en battant de nouveau les Etats-Unis qui ne joueront donc pas leur 10e finale de suite en Algarve ; tandis que l’Allemagne semble bien décider à faire payer à toutes les adversaires qui se présentent l’échec en Coupe du monde et l’absence aux JO. La Suède a donc encaissé un sévère 4-0.

Trois des quatre demi-finalistes de la dernière Coupe du monde étaient donc de la partie, il ne manquait que la France.

De 2003 à 2007, la France a bien participé à cette compétition en finissant toujours deuxième de sa poule, disputant donc la petite finale. Bruno Bini a même obtenu là sa première victoire de prestige, 1-0 contre l’Allemagne.

Mais après cette édition 2007 où la présence de la France avait été organisée avant sa nomination, la France n’a plus participé au tournoi de l’Algarve, ne rencontrant plus les meilleures équipes que dans les phases finales de compétition (pour autant de défaites contre l’Allemagne, les États-Unis ou la Suède).

Après une année de battement, les Bleues ont participé en 2009 puis depuis 2011 au tournoi de Chypre dont le plateau est nettement moins relevé, et où elles n’avaient pas obtenus vraiment de meilleurs résultats jusqu’à cette année.

Cyprus Delights

Ce tournoi de Chypre est la réponse des fédérations anglaise, écossaise et néerlandaise à celui de l’Algarve où elles n’étaient pas invitées (ou pas dans les deux premières poules). Elles ont donc décidé d’organiser leur propre compétition sur le même format dans une île méditerranéenne garantissant une météo clémente pour un stage de reprise (sauf cette année où le tournoi a débuté sous la neige). L’Angleterre a remporté l’édition 2009 contre le Canada qui avait remporté les trois autres éditions.

L’impact de la Coupe du monde se fait vraiment sentir lors de cette édition pour l’équipe de France : le fait d’avoir battu cet été les deux anciennes vainqueurs (4-0 contre le Canada en phase de poules et 1-1 puis tirs aux buts en quarts de finales contre l’Angleterre) a sans doute modifié l’image que les Bleues ont d’elles mêmes, et le regard que les autres leur portent. Et forte de cette confiance nouvelle, les Françaises ont semblé décidées à aller chercher un premier titre, fut-il officieux.

Pour cela, il fallait d’abord battre la Suisse de Lara Dickenmann, écartée 3-0 sans trop de problème. Puis vaincre une équipe finlandaise accrocheuse malgré un renouvellement de génération. Les Bleues ont eu nettement plus de difficulté encore qu’on pourrait considérer qu’elles ont géré : après un but d’Eugénie Le Sommer à la demi-heure de jeu, elles ont encaissé un but en contre en deuxième mi-temps mais n’ont pas tardé à reprendre l’avantage grâce à une tête de Wendie Renard.

La Coupe du monde dans l’autre sens

Il ne leur restait plus qu’à confirmer contre l’Angleterre pour se qualifier pour la finale : un nul suffisait grâce à une meilleure différence de buts. Mais les Bleues ont livré une démonstration. Comme lors du quart de finale de la Coupe du monde, elles ont nettement fait tout le jeu, mais au contraire de ce précédent, elles n’ont pas laissé le réalisme à leurs adversaires. Louisa Necib a ouvert le score dès la 11e minute, laissant les Anglaises courir après le score autant qu’après le ballon.

Puis après avoir géré un temps faible en fin de première mi-temps, elles ont accéléré à la reprise pour doubler le score par Marie-Laure Delie, et fini par conclure sur un but de Gaëtane Thiney.

Thibault Simonnet pour footofeminin.fr

Photo : Thibault Simonnet pour footofeminin.fr

L’Angleterre n’est pas l’épouvantail qu’on a parfois cherché à nous vendre, mais il ne s’agit pas d’un faire valoir comme les adversaires des éliminatoires de l’Euro et cette victoire 3-0 est particulièrement probante.

Refaisant le parcours de la Coupe du monde à l’envers, les Bleues affrontaient ensuite le Canada, battu 4-0 cet été lors d’un match certainement autant fondateur que celui contre l’Angleterre. Face à une équipe canadienne plus solide que les Anglaises, l’équipe de France a posé sa domination en milieu de terrain avant de marquer sur une récupération de balle dans les pieds de la défense puis sur un pénalty de Louisa Necib.

Nettement dominatrice tout au long du tournoi, la France remportait ainsi son premier titre, dans un tournoi certes amical.

Comme dirait Camille Abily, « ça fait plaisir et c’est de bon augure pour la suite », c’est à dire pour les qualifications de l’Euro et surtout pour les JO qui sont bien entendu dans toutes les têtes. Le sélectionneur a fort à faire pour rappeler à ses joueurs et à l’environnement de l’équipe de France qu’il y a deux matchs de qualifications à jouer avant Londres, contre l’Écosse et le Pays de Galles. Cependant, on voit mal ces Bleues perdre des points lors de ces deux matchs.

Un nouveau style pour les JO

On peut tirer des enseignements de ce tournoi et on ne va pas se gêner pour le faire : 20 joueuses ont été appelées, il est permis de penser que c’est dans cette liste qu’il faudra chercher les 18 qui iront à Londres. Autant dire que Sabrina Viguier, Caroline Pizzala, Sandrine Brétigny voire Laure Lepailleur et Bérangère Sapowicz (toutes deux écartées des listes sur des blessures) ne devraient pas enchaîner la Coupe du monde et les JO.

Dans la mesure où Bruno Bini n’a procédé qu’à un seul changement entre chaque match de poule (contrairement par exemple à Hope Powell la coach anglaise qui a changé 8 joueuses entre les matchs contre la Suisse et la France) et aucun pour la finale, on pourrait penser qu’une équipe type se dégage. Symptomatiquement, les changements n’ont concerné que la défense centrale, poursuivant un taux de rotation élevé déjà constaté lors de la Coupe du monde.

Le milieu recomposé

Cependant deux éléments laissent planer une certaine incertitude. D’abord parce que le changement entre les deux derniers matchs a été le remplacement de Laura Georges par Marie-Laure Delie, ce qui a entraîné le replacement de près de la moitié de l’équipe. Ensuite parce que les Bleues ont pour l’instant joué sans leur capitaine Sandrine Soubeyrand, blessée mais qui semble rester titulaires dans l’esprit du sélectionneur.

Les mauvaises langues diront qu’il ne faut pas chercher plus loin les bonnes prestations des Bleues. Sans aller aussi loin, on pourra au moins constater que l’absence simultanée de Sandrine Soubeyrand et d’Amandine Henry permet à Bruno Bini de résoudre en partie l’épineux problème de faire jouer ensemble Élise Bussaglia, Camille Abily, Louisa Necib et Gaëtane Thiney, sans avoir besoin de les placer dans des positions trop éloignées de leur meilleur place (on ne dira pas « de leur poste en club » puisque les deux Lyonnaises posent le même problème à Patrice Lair).

Camile Abily et Élise Bussaglia associées à la récupération et à la relance, Louisa Necib en meneuse de jeu, les joueuses anglaises et canadiennes doivent encore se demander comment faire pour contrer ce milieu. Et encore Gaëtane Thiney a semblé dans une petite forme (ce qui ne l’a pas empêché d’être régulièrement décisive avec deux buts et une passe décisive).

Quoi que prometteuse, cette organisation n’était peut-être que de circonstance : contre la Finlande, c’est Corine Franco qui accompagnait Élise Bussaglia, Camille Abily étant déportée sur la droite où elle remplaçait Eugénie Le Sommer promue avant-centre à la place de Marie-Laure Delie laissée au repos.

La meilleure joueuses française 2009 et actuelle meilleure buteuse et meilleure passeuse du championnat semble d’ailleurs définitivement installée comme titulaire chez les Bleues. Et c’est finalement dans ce secteur de jeu que les choses semblent le mieux établiés : Marie-Laure Delie en pointe, Eugénie Le Sommer d’un côté et Gaëtane Thiney de l’autre. Élodie Thomis dont la ressemblance avec Théo Walcott devient chaque jour plus frappante trouve un rôle de contre attaquante en fin de match, et les autres attaquantes éventuelles n’ont que des miettes. La seule présente à Chypre est Marina Makanza qui en tant que dernière arrivée pourrait être la première éliminée de la liste.

En défense, un seul poste est verrouillé : celui de gauche occupé par Sonia Bompastor, sans doute la meilleure spécialiste dans le monde (même si elle se préfère au milieu). Les trois autres places ne sont pas encore attribuées et sont disputées à quatre, puisque Kelly Gadea et Laure Boulleau ne semblent pas encore avoir bousculé la hiérarchie. Wendie Renard a profité de sa polyvalence pour jouer tous les matchs. Ses prestations semblent devoir en faire une titulaire indiscutable dans l’axe ou à droite où l’équipe de France ne possède pas de vraie spécialiste, la place étant maudite et propice aux blessures de longue durée1.

Toutefois la place est actuellement occupée par Corine Franco, qui joue également à ce poste à Lyon même si ce n’est pas sa préférence, et qui fait partie des joueuses de confiance de Bruno Bini.

C’est donc le deuxième poste dans l’axe qui semble le plus ouvert même si Ophélie Meilleroux a une longueur d’avance sur Laura Georges

Enfin, le retour de Sarah Bouhaddi semble clore la question de la gardienne titulaire, mais la question de la remplaçante est double : qui est la doublure ? et faut-il emmener deux ou trois gardiennes aux JO ?

Les deux présentes, Céline Deville et Laetitia Philippe pourraient jouer les doublures, mais il ne faut pas oublier Bérangère Sapowicz écartée pour l’instant sur blessure dont on ne sait pas si la confiance que lui vouait Bruno Bini a été écornée par la Coupe du monde.

Sur le plan du jeu, cette compétition (et le match précédent contre les Pays-Bas) semble marquer une inflexion dans le jeu de l’équipe de France : certes les Bleues conservent la majorité de la possession de balle, mais elles jouent beaucoup moins haut et se projettent beaucoup plus vite en attaque quasiment en contre. C’est peut-être cela qui leur permet d’être beaucoup plus efficace tant devant où le ratio but/occasion s’est élevé que derrière où elles n’ont encaissé qu’un seul but et n’ont pas beaucoup été mises en danger.

Toutefois, le fait de disposer de joueuses comme Marie-Laure Delie ou Eugénie Le Sommer devant, et de Sarah Bouhaddi derrière permet aussi d’améliorer nettement l’efficacité, surtout quand cette dernière est protégée par un duo de récupératrice Camille Abily-Élise Bussaglia aussi dominateur et une Wendie Renard aussi impressionnante.

La France ne devient pas pour autant « favorite des Jeux » comme le propose un peu hâtivement l’Équipe, mais elle pourra défendre ses chances.

  1. Qui est comme chacun sait l’île d’Aphrodite.
  2. Anne-Laure Casseleux, Sandrine Dusang, Amandine Henry, Corine Franco, Laure Lepailleur qui se sont succédé à ce poste ont toutes connu des blessures longues, voire plusieurs.


5 commentaires pour “Aphrodite’s Child”

  1. Ah, j’ai enfin compris comment fonctionnait le tournoi….c’était pas faute d’avoir essayé de trouver des renseignement sur le net…
    Et si les bleues ne sont pas favorites pour les JO, ce serait tout de même une grosse déception que de repartir sans médailles (d’autant que l’Allemagne n’y sera pas)

  2. Excellent article!

    Je n’ai vu que la finale du tournoi de Chypre (c’est un peu difficile de suivre l’EdFF depuis les USA; même les « streams » de leur matches sont rares), mais je les ai trouvées bien plus « réalistes », moins possession+technique comme à la Coupe du Monde (voir le match contre les USA).

    2 questions:
    – Qu’est-ce qui se passe entre Amandine Henry et Bruno Bini?
    – Pourquoi le Brésil n’était pas au tournoi de l’Algarve? Est-ce dû au manque de soutien de la fédération brésilienne, déjà évoqué pendant la CdM?
    – Faudrait-il que les Bleues jouent en 3-4-3, puisque les latérales ne montent pas beaucoup de toutes façons, avec 3 défenseuses « centrales », qui glisseraient latéralement? On n’a pas de grande spécialiste à droite, Bompastor préfère jouer au milieu, et ça fait une place pour Soubeyrand quand elle reviendra. Simpliste, sûrement, mais est-ce envisageable?

    Merci encore pour l’article

  3. Ça fait au moins trois questions ça, non ?
    Alors sur la première, il y aurait comme qui dirait une incompatibilité entre joueuses et Bruno Bini aurait fait son choix. On dit la même chose de l’absence de Laetitia Tonazzi. Mais en vrai, moi j’en sais rien.

    Ensuite, là non plus je ne sais pas très bien la raison, sans doute financière, mais le Brésil ne sort à peu près pas du continent américain (et surtout d’Amérique latine bien sûr). En gros en dehors des Coupes du monde et JO (et de leurs éventuels matchs de préparation), je pense qu’on ne les a pas vu ailleurs sauf deux matchs amicaux en 2009 contre l’Allemagne et la Suède et une tournée en Chine et Corée pour préparer les JO 2008. Bref l’Algarve sans le Brésil, c’est habituel.

    Enfin sur le 3-4-3, je ne suis pas convaincu. Surtout que dire que les latérales ne montent pas beaucoup, ce n’est pas vrai : Sonia Bompastor joue quasiment ailière et Corine Franco a toutes les capacités pour monter. Et en ce qui me concerne, je n’ai jamais été convaincu par ces défenses à 3 qui deviennent vite des défenses à 5. De toute façon, je ne pense pas que Bruno Bini envisage cette solution.

  4. Merci pour les réponses. Il faut que j’apprenne à compter.

    Pour le 3-4-3, effectivement Sonia Bompastor monte beaucoup. Il faut que je les regarde plus souvent.

  5. D’abord merci pour consacrer des articles au foot féminin dont la qualité et le plaisir qu’il procure aux (télé)spectateurs ne cessent de grandir. Ensuite car vos articles sont excellents. Vous analysez très bien les matches, les problématiques, en allant à l’essentiel, sans blabla et sans vous la raconter. Bravo !
    un mot pour compléter votre compte-rendu de l’Algarve Cup. Le Japon (équipe vraiment splendide !) a fait une véritable démonstration de maîtrise technique et tactique face aux USA. Les Américaines (coach, Wambach, Morgan) leur ont d’ailleurs rendu un gros hommage dès le coup de sifflet final. La finale a tout simplement été énorme entre Allemagne et Japon (4-3 à l’arrivée avec un score de 2-1 à deux minutes de la fin !!). Et les Japonaises jouaient sans Homare Sawa ni la petite (1,55 m) merveille Mina Iwabuchi, la « Messi nippone ».
    Pour les Bleues, je souscris à toutes vos analyses et c’est un pur régal de les voir jouer. A Chypre, Abily-Bussaglia ont été énormes et Louisa Nécib éclatante.