Champion d’Italie à la tête de l’AC Milan en 2011, Massimiliano Allegri a ensuite vécu une période moins heureuse, entre le départ d’Andrea Pirlo pour la Juventus et ceux de Thiago Silva et de Zlatan Ibrahimovic pour le PSG un an plus tard. Limogé par les dirigeants milanais en janvier dernier, « Max » a depuis rebondi chez les Bianconeri. Et retrouvé Pirlo. Dans une longue interview accordée à La Repubblica, l’ancien coach de Cagliari insiste sur la place de la poésie dans le football et nuance l’influence de la tactique. Une lecture importante.

Massimiliano Allegri, passez-vous vos soirées en pensant à la Juve ?

Même lorsque ce n’est pas mon intention. Parfois je suis sur le canapé en train de regarder un film et me vient tout à coup une idée. A ce moment-là, je coupe le film, je mets le DVD du dernier match et je suis l’idée, puis parfois je reviens au film. C’est le meilleur moment pour avoir une inspiration, être coupé du monde, seul avec soi-même. La réalité, c’est que même s’il essaye, le cerveau ne s’arrête jamais.

Pourtant vous ne passez pas pour être un entraîneur particulièrement maniaque, est-ce vous pensez que les gens ont une impression erronée de vous ?

En fait, je ne le suis pas. Je suis un créatif. Je ne peux pas rester 24 heures d’affilée à chercher une solution, je dois attendre que me vienne l’inspiration, et la plupart du temps elle me vient quand je n’y pense pas : par exemple, cela m’arrive certaines nuits de changer la formation que j’avais décidé d’aligner. La réalité, c’est que l’on vit de sensations.

Et non d’analyse ?

C’est une connerie de dire que le match se comprend mieux depuis les tribunes. Là-haut, vous êtes dehors, alors qu’au contraire vous devez être sur le terrain, à essayer de percevoir, de saisir un moment. Le football, ce n’est pas seulement de la tactique et des schémas.

Le football n’est pas une science ?

On veut le faire passer pour une science, alors que cela n’a absolument rien de scientifique. C’est un spectacle, et ce sont les artistes qui font le spectacle. Vouloir dépoétiser le football et étouffer la créativité est l’erreur la plus grande que nous soyons en train de faire. Si on enlève la part de poésie du football, alors autant y jouer sur l’ordinateur.

Et comment y jouez-vous alors ?

On peut parler pendant des heures de schémas et d’organisations, mais les matchs, ce sont les joueurs qui les gagnent. Si tu as Messi, tu pars quasiment de 2-0, avec Ronaldo, idem.

Alors à quoi sert votre travail ?

A donner une organisation, une identité, des indications. A concevoir la phase défensive, surtout lorsqu’on est en train d’attaquer. Je ne sous-évalue pas l’importance de l’entraîneur, mais sa tâche principale est de mettre à l’aise ses joueurs. Le football se pratique sur un terrain de 106 mètres sur 68, se court avec les pieds, se joue avec les pieds, la balle prend souvent des directions étranges, et vous prétendez quand même que dans ces conditions les solutions viennent de situations schématiques ? Si les schémas permettaient de gagner, pourquoi le Real Madrid aurait dépensé 100 millions d’euros pour Bale, qui, très simplement, dribble, tire et attaque la cage adverse ?

Retravaillez-vous les schémas déjà connus de l’équipe ?

Tous. Mais il faut aussi savoir s’en défaire, y arriver autrement. Tevez sait que si deux milieux latéraux attendent qu’il fasse une passe mais que l’espace pour la réaliser n’existe pas, alors il doit avoir l’inspiration pour se retourner et frapper au but. Le schéma est seulement un cadre.

Ou une cage ?

Il est utile quand tu n’as pas de grands champions, comme lors de ma 3ème année au Milan. Mais si tu as des gars comme Ibra, Seedorf, Pirlo, Nesta, Tevez, Thiago Silva, Bonucci, c’est à eux que tu dois te fier. A eux et à leur créativité. En Italie, si tu vas voir un match, et que t’écris sur un bout de papier le système et les positions, si tu t’endors et que tu te réveilles 1 heure après, alors tu vas retrouver les joueurs exactement au même endroit. En Europe, au contraire tu as du mal à savoir comment les autres jouent, il n’y a pas de rigidité. Mais eux apprennent dès l’enfance à occuper le terrain en entier, contrairement à nous.

Qu’est-ce que vous changeriez, dès les écoles de foot ?

La méthodologie. Il faudrait étudier l’Anderlecht, pour voir comment ils font avec une équipe de gamins de 20 ans. Je suis un ignorant, j’entends parler d’intensité et de pressing, qui seraient le secret pour réussir en Europe, mais explique-moi comment c’est possible de mettre de l’intensité si nous affrontons les meilleures équipes d’Europe qui ont tout le temps le ballon dans les pieds ? C’est sur ceci que nous devons nous améliorer, pas sur l’intensité.

Nous ne savons plus jouer au ballon ?

J’ai eu la chance d’avoir comme entraîneur un maestro comme Galeone, qui peut-être n’a pas obtenu de grands résultats mais qui m’a enseigné le plaisir du football. J’ai peur que nous fassions des poulets d’élevage. En Italie, les sélections de jeunes convoquent les joueurs les plus fonctionnels, ceux qui s’intègrent le mieux au système de jeu ; en Allemagne, on sélectionne d’abord les meilleurs et on voit ensuite comment les faire jouer ensemble. La différence est là, le foot a changé, comme le basket.

Que vient faire ici le basket ?

Auparavant, la défense 1-3-1 de Peterson pouvait changer le match parce que personne ne la connaissait. Maintenant, on t’étudie dans les moindres détails, on sait anticiper ce que tu vas faire, et même un sport aussi schématique que le basket s’est transformé : le plus fort a toujours le plus souvent la balle, peut la libérer par un bloc avant d’envoyer un shoot. Sacchi a transformé le foot, mais à cette époque, c’était plus facile d’apporter des nouveautés. Avant que tout soit filmé et analysé, on mettait 3 ans à comprendre comment neutraliser le 4-3-3 de Zeman. Aujourd’hui on ne peut plus surprendre, c’est pour cela qu’il faut s’en remettre au talent.

C’est aussi pour cela que ce sont toujours les mêmes qui gagnent ?

Aujourd’hui, les petites équipes misent tout sur un corner, parce qu’elles savent que c’est l’unique occasion qu’elles peuvent avoir, si l’équipe la plus forte se laisse un peu aller et se distrait un moment. Mais l’équipe la plus forte aura quelqu’un qui tire mieux le corner ou qui saute plus haut pour le reprendre de la tête.

On ne peut vraiment plus surprendre ?

On peut le faire avec une idée, en changeant à l’improviste un joueur de position. Ou comme le Barça de Guardiola, qui nous a enseignés comment défendre en attaquant, en plaçant toute l’équipe dans le camp adverse. Nous, contre la Sampdoria, nous n’avons réussi à le faire que pendant une demi-heure.

Est-ce que ces discours servent à définir la fameuse mentalité européenne qui soi-disant nous manquerait ?

En Italie on a tendance à dire qu’on fait tout mal en ce moment, mais les résultats des dernières années montrent le contraire. Mais à l’étranger, oui, tout est plus dynamique. Nous nous focalisons trop sur l’adversaire, nos matchs sont monothématiques. Mais je crois que nous sommes en train de revenir en arrière, ou plutôt d’aller vers l’avant, en réévaluant la créativité et le rôle du fantasista. Avec Sacchi notre football a changé de méthodologie, mais désormais nous devons trouver une voie médiane : ni trop d’anarchie, ni trop de schématisation.

Pourquoi à l’étranger semblent-ils courir plus que nous ?

Parce qu’ils ont des espaces. Chez nous, cela arrive seulement entre deux équipes de niveau similaire : Juve-Roma, au-delà des épisodes, a été un beau match, disputé, riche de gestes techniques. Dans les autres matchs, il y a toujours une équipe qui attaque alors que l’autre défend, et en ce qui concerne la défense, nous sommes des maestri.

Quel collègue estimez-vous particulièrement ?

J’aime beaucoup comment Vincenzo Montella fait jouer la Fiorentina.

Comment votre singularité a-t-elle été accueillie à la Juve ?

J’ai trouvé une équipe habituée au travail, bien organisée, avec une grande culture du sacrifice, mais j’ai voulu ajouter mes concepts propres aux connaissances qu’ils avaient emmagasinées. La Juve avait un jeu très mécanique, et cela a été sa force, parce qu’à ce moment l’équipe avait besoin de certitudes. Mais pour faire un pas en avant, on a besoin de quelque chose en plus.

Responsabiliser plus les joueurs ? (i.e. : sur le terrain, en leur donnant plus de liberté)

Cela ne veut pas dire que chacun peut faire ce qu’il veut. Mais plutôt savoir quand cela vaut le coup.

Ils ne le savent pas encore ?

De manière alternative. Ils doivent encore gagner en maturité, surtout dans la conscience de soi. J’ai un groupe de grands joueurs, avec en son sein quelques champions, mais qui ne sont pas encore conscients de leur force. On est encore loin du 100%.

Vous arrivez à les tenir à l’écoute ?

J’ai un groupe de joueurs qui se sont remis en question et qui veulent encore gagner. Et je leur ai dit que je serais très en colère s’ils ne progressaient pas, parce qu’ils ont des aptitudes techniques et physiques vraiment notables. Et je dis ça aussi en pensant à la Champions League.

Votre jugement sur le tirage ?

Il y avait pire, et c’est quelqu’un qui est tombé plusieurs fois sur Barcelone qui vous le dit. Le Borussia est à notre portée, même s’il est difficile d’évaluer leur vraie valeur et surtout de savoir où ils en seront en février. Mais nous pouvons faire de grandes choses en Champions League.

Vous sentez-vous autoritaire ?

Si avoir de l’autorité, c’est hurler, alors je n’en ai pas. Pour moi, celui qui hurle ne transmet rien, alors qu’il y a des personnes qui parlent peu et qui transmettent de la sécurité, même de la peur. Mais le monde du leadership reste encore à découvrir pour nous les entraîneurs. Une parole prononcée d’une certaine façon peut changer les choses. Peut-être que c’est sur ce terrain qu’on peut encore surprendre.

Propos traduits par Matthieu Martinelli.

10 commentaires

  1. Daniel dit :

    Passionnant.

  2. Armand dit :

    merci!

  3. Denis dit :

    genial comme article 🙂

  4. Galla dit :

    Auto-satisfaction, aucun principe de jeu marquant, peu de créativité, pas ou peu de prise en compte de la notion de pressing… la Juventus n’ira pas loin en Champions League avec M. Allegri.

  5. ross dit :

    Galla dit :
    Auto-satisfaction, aucun principe de jeu marquant, peu de créativité, pas ou peu de prise en compte de la notion de pressing… la Juventus n’ira pas loin en Champions League avec M. Allegri.

    20 décembre 2014, 0:47

    Bien joué.

  6. Ben dit :

    Galla visionnaire. Excellente interview. Il y a clairement de l’intelligence dans cette Juve. Hate d’assister au vrai duel MSN/BBC (Bonucci, Barzagli, Chielini)

  7. Cynthia Voeller dit :

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