La Coupe du monde 2010 nous avait habitués à des scénarios unidimensionnels. Seules quatre de ses soixante-quatre rencontres avaient été remportées par l’équipe initialement menée au score. Avant les affrontements de ce lundi soir, le Mondial brésilien nous a déjà offert cinq retournements de situation en onze matchs.

Tous prennent racine dans un terreau commun : une force mentale qui pousse à ne pas s’affoler et à ne rien lâcher. Il n’est pas toujours indispensable de procéder à d’amples modifications pour renverser une rencontre. Ce n’est parfois qu’une question de temps. L’homogénéité globale des sélections qualifiées est certes un facilitateur, accroissant l’imprévisibilité des rencontres. Mais depuis le début de la compétition, plusieurs facteurs ont précipité l’inversion, parfois soudaine, de la dynamique d’un match.

1. LE COACHING

Mehmedi à la mi-temps, Seferovic à un quart d’heure du terme : les deux entrants suisses ont offert la victoire à la Nati (2-1), dans une rencontre mal embarquée face à l’Équateur. Le coaching, à l’image de celui réussi d’Ottmar Hitzfeld, est le principal levier d’action d’une équipe menée pour effectuer les ajustements essentiels, si nécessaire.

En première période, Valentin Stocker a souffert face à l’impact physique équatorien. Entré à la pause, Admir Mehmedi, six centimètres et dix kilos de plus que le prometteur Bâlois, a mieux résisté et même su s’imposer sur un corner, alors que les Suisses avaient pâti de leur manque de taille en première période sur plusieurs centres. L’introduction d’Haris Seferovic dans le match a eu certes moins d’impact sur le jeu, et son but doit d’abord beaucoup au sacrifice et à l’abnégation de Valon Behrami. Mais l’attaquant de la Real Sociedad a su se trouver au bon endroit, au bon moment, à l’inverse de Josip Drmic, très discret (aucun tir).

Autre exemple d’un coaching déclencheur d’un retournement de situation, mais de manière plus subtile cette fois : celui de Sabri Lamouchi lors de Côte d’Ivoire – Japon. Après leur ouverture du score, les Nippons ont adopté une attitude conservatrice, défendant bas avec deux lignes de quatre compactes. Une situation propice à de nombreux centres ivoiriens, qui réclamait donc une présence supplémentaire dans la surface.

62e minute : Didier Drogba remplace Serey Die, les Éléphants passent en 4-4-2. L’ancien attaquant de l’OM n’est pas directement impliqué sur l’égalisation, deux minutes plus tard : il est au deuxième poteau, marqué par Atsuto Uchida, tandis que Wilfried Bony, le buteur, se glisse entre Yoshida et Morishige. Mais sur le deuxième, dans la foulée, Drogba, dans l’axe, aspire les deux défenseurs centraux japonais. Gervinho se glisse dans l’espace devant lui et inscrit le but décisif. À la source, le laxisme défensif de Kagawa, aspiré vers l’axe alors qu’Aurier est libre dans son couloir, est déterminant. Mais en ajoutant une menace aérienne, Sabri Lamouchi a perturbé la défense niponne et donné toutes les chances à ses joueurs d’exploiter une situation tactique donnée.

2. UN PLAN PARFAITEMENT ORCHESTRÉ

De tous ces renversements de situation, les deux qui parurent, sur l’instant, les plus imprévisibles, sont ceux qui ont profité aux Pays-Bas et au Costa Rica. Pourtant, ce sont ceux qui résultent le plus d’un plan parfaitement orchestré, qui a simplement requis un certain temps pour dévoiler l’entière mesure de sa pertinence et de son efficacité.

Car avec le recul, il y avait une forme d’inéluctabilité dans les retours néerlandais et costaricien. Les deux premiers buts des Pays-Bas, venus de longs ballons de Daley Blind depuis la gauche, sont le fruit d’un travail préalable dans la semaine, permis notamment en match par le relâchement progressif de l’étau espagnol dans l’entrejeu. On notera d’ailleurs que, là aussi, le coaching de Louis van Gaal a été déterminant (entrée de Wijnaldum, un milieu offensif, à la place du récupérateur De Guzman, pour mieux conserver le ballon), cette fois pour préserver et même accentuer cet avantage. Certains objecteront que le match a basculé avec le face à face manqué par David Silva face à Jasper Cillessen, mais au jeu des “et si”, celui remporté par Iker Casillas devant Wesley Sneijder en début de rencontre équilibre la balance.

De son côté, le Costa Rica a attendu son heure. Pénalisés par un penalty bêtement concédé sur coup de pied arrêté, les Ticos ne se sont pas jetés à l’abordage, maintenant leur bloc défensif bas et compact, n’attaquant d’abord qu’à trois (Ruiz, Bolanos et surtout Campbell, intenable malgré le manque de soutien). Dans un 4-4-2 (trop) à plat, l’Uruguay a manqué d’idées, de percussion et de mouvement, butant sans cesse sur l’organisation et la rigueur costariciennes. En seconde période, les latéraux Gamboa et Diaz ont poussé un peu plus leurs montées, suffisant pour offrir des munitions décisives à leurs attaquants et des coups-francs bien placés, comme celui qui a mené au deuxième but de Duarte.

Louis van Gaal et Jorge Luis Pinto n’ont pas renoncé à leurs convictions et à leur approche réactive, malgré l’ouverture du score adverse. Le temps a fait son effet et leur a donné raison. Les vertus de la patience.

3. LES ÉLÉMENTS EXTÉRIEURS

Mais il est certains facteurs exogènes qui échappent aux contrôles des acteurs et sont tout aussi déterminants. Les conditions météorologiques, par exemple, comme la moiteur amazonienne qui a coupé les jambes anglaises en fin de rencontre contre l’Italie, privant les Three Lions des moyens physiques d’espérer un come-back. Les décisions arbitrales, même si l’on n’a pas l’habitude de les évoquer en ces pages, en sont également. Lors du match d’ouverture Brésil – Croatie (3-1), le penalty généreusement accordé à Fred a contribué à faire basculer une rencontre encore incertaine.

Mais si ces éléments extérieurs ne doivent pas être omis dans l’analyse, il ne faut pas non plus leur accorder d’importance excessive. L’Angleterre a d’abord payé son incapacité à contrôler, sur son côté gauche, les montées de Darmian et les débordements de Candreva, auteur du centre décisif pour Balotelli. La Croatie a elle, avant tout, souffert des lacunes de Jelavic en pointe, incapable de tenir le ballon haut, l’absence de Mandzukic (suspendu) se faisant cruellement sentir. Cela a maintenu les hommes de Niko Kovac sous pression et à la merci d’un fait de jeu défavorable. Un retournement de situation ne se produit jamais totalement par hasard.

Julien Momont

4 commentaires

  1. victeam dit :

    L’Italie n’a pas renversé la situation il me semble.

  2. Atalanta Bergkamp dit :

    « Car avec le recul, il y avait une forme d’inéluctabilité dans les retours néerlandais, costaricien et italien. Les deux premiers buts des Pays-Bas, venus de longs ballons de Daley Blind depuis la gauche, sont le fruit d’un travail préalable dans la semaine, permis notamment en match par le relâchement progressif de l’étau espagnol dans l’entrejeu. On notera d’ailleurs que, là aussi, le coaching de Louis van Gaal a été déterminant (entrée de Wijnaldum, un milieu offensif, à la place du récupérateur De Guzman, pour mieux conserver le ballon), cette fois pour préserver et même accentuer cet avantage. Certains objecteront que le match a basculé avec le face à face manqué par David Silva face à Jasper Cillessen, mais au jeu des “et si”, celui remporté par Iker Casillas devant Wesley Sneijder en début de rencontre équilibre la balance. »
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    Ce passage est révélateur d’un défaut qui apparaît parfois dans certaines analyses de ce blog : vouloir TOUT expliquer par la tactique et minimiser les autres facteurs jusqu’à parfois les occulter.

    Parler de retour inéluctable des Pays-Bas est pour le moins osé : si Silva fait 2-0, strictement rien ne dit que les Hollandais auraient relevé la tête et l’auraient emporté. Ils auraient pu, on en saura jamais rien, ce qui est sûr est que leur situation aurait été beaucoup plus compliquée. Quant à l’argument « oui mais Sneijder en début de rencontre … », il est sans objet : au moment où Silva rate son occasion, c’est 1-0 pour l’Espagne et s’il l’avait marquée, c’était 2-0, et force aurait été de constater à la mi-temps que la tactique de Van Gaal n’avait pas fonctionné. Si Sneijder avait marqué en début de match, ça aurait été une rencontre différente, et bien malin qui peut savoir quelles en auraient été les conclusions. Expliquer que le raté de Sneijder annule l’influence sur le match du raté de Silva est absurde.

    Ce qui est en revanche certain, c’est que le raté de Silva a permis l’égalisation qui arrive dans la minute qui suit, que les Pays-Bas, malmenés pendant une mi-temps, ont eu leur moral regonflé à bloc et sont remontés des vestiaires le couteau entre les dents tandis que les Espagnols ont plongé moralement et physiquement. Bref, un basculement de la partie. Je ne dis pas que la tactique n’a eu aucune influence dans le cours des événements (l’égalisation et le 2e but viennent d’une phase répétée à l’entrainement, et les choix tactiques contribuent évidemment à chaque instant au déroulement de la partie), mais minimiser comme vous le faites l’impact de l’occasion ratée par Silva dénote un manque d’appréciation globale de la rencontre et de l’ensemble de ses paramètres.

  3. Julien M dit :

    Pour le coup, l’analyse du match reste sommaire, on a plus développé certains points ici :

    http://www.cahiersdufootball.net/article-the-pleasure-of-being-robben-5336

    Il n’est pas question d’annuler l’influence d’un face à face par l’autre. Simplement, le plan néerlandais de jeu direct et de contres à la récupération avait déjà pu être constaté sur l’occasion de Sneijder, qui aurait déjà pu valider leur approche. Après, bien entendu, si Silva met son occasion, le match est différent, mais là non plus, rien ne dit que la défense espagnole n’aurait pas été prise dans son dos comme elle l’a été à 1-0 puis à 1-1, qui ne sont pas des moments où l’on peut la soupçonner de relâchement (alors qu’à 2-0, qui sait…). Bref, ce sont des suppositions, reste que le résultat final donne raison à Van Gaal, d’autant que l’Espagne n’a pas eu d’autre grosse occasion.

    Et si tu inclus l’entièreté de l’article dans ton analyse, tu verras qu’on n’explique pas « tout » par la tactique, bien au contraire (cf. l’introduction et le point 3). Simplement, on se concentre plus ici sur ces aspects, ce qui me paraît logique.

  4. loukoum dit :

    Tout à fait d’accord avec Julien M, rappelons le face à face avec Sneijder, le Hj imaginaire sifflé sur Robben alors qu’il part seul au but et la faute qui l’est tout aussi sans laquelle Robben et Sneijder ont un 2 contre 1.
    Les occasions espagnoles étaient plutôt dues à des défaillances humaines de la part de défenseur qui, rappelons le, n’ont que 22 ans et jouaient leur premier match de coupe du monde.

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