Rechercher la possession du ballon pour elle-même, et non dans une quête d’efficacité au score, est contestable et comporte bien des risques, notamment de stérilité offensive. Dominer n’est pas gagner, s’entend-on souvent répéter.

Et pourtant. Ces dernières années, le classement d’une équipe et son pourcentage de possession sont largement corrélés. Sans aller jusqu’à une correspondance parfaite, la très grande majorité (80 % cette saison) des clubs classés aux cinq premières places des championnats du « top 5 » européen [1] ont une possession moyenne positive (supérieure à 50 %). Ce n’est le cas d’aucun des relégables de ce « Big 5 » avant les matchs de ce wek-end.

LES LEADERS IMPOSENT LEUR JEU

Pour exclure d’emblée une concordance parfaite entre possession et résultat, une première observation: seuls le Paris Saint-Germain (64,3 % de possession moyenne) et le Bayern Munich (71,4 %) mènent à la fois leur championnat en termes de points et de possession. Mais parmi les cinq premiers des championnats du « top 5 », seules quatre équipes (sur vingt-cinq) ont une possession moyenne « négative »: Saint-Étienne (4e de Ligue 1, 48,7 %), Schalke 04 (3e de Bundesliga, 49,4 %), l’Atlético Madrid (1er de Liga, 46,7 %) et le FC Séville (5e de Liga, 46,7 %).

Le club andalou est d’ailleurs le seul de cet échantillon à ne pas figurer parmi les dix premiers de son championnat en termes de possession (16e de Liga). En resserrant encore le critère, dix-sept de ces vingt-cinq équipes (soit 68 %) sont dans les cinq premiers de leur championnat à la fois en termes de points et de possession moyenne.

Ces observations ne sont pas une première, mais la confirmation d’une tendance. À titre de comparaison, la saison passée, seules trois formations ayant terminé parmi les cinq premiers de leur championnat avaient une possession « négative »: l’Atlético Madrid (3e de Liga, 47,6 %), l’Udinese (5e de Série A, 47,9 %) et le Bayer Leverkusen (3e de Bundesliga, 49,4 %). Elles étaient aussi les seules à ne pas figurer parmi les dix premiers de leur championnat en termes de possession.

Un signe que les leaders imposent leur jeu, ou que leurs adversaires leurs abandonnent délibérément le ballon pour les forcer à prendre le match en main? Sûrement un peu des deux. Reste qu’en moyenne, cette saison, une équipe qui figure parmi les cinq premiers de son championnat a une possession de 56 % (55 % l’an passé). Les cinq grands championnats présentent d’ailleurs des moyennes similaires. [2]

INFOGRAPHIE

LES EXCEPTIONS : DOMINATION VOLONTAIREMENT SUBIE

Nous avons mentionné les quatre exceptions parmi les leaders des championnats européens. L’Atlético Madrid, le FC Séville, Schalke 04 et Saint-Étienne prouvent, s’il en était besoin, qu’il est possible de réussir à long terme sans s’assurer systématiquement le contrôle du ballon et du jeu. Chez les Colchoneros, Diego Simeone a construit une équipe à son image: travailleuse, rigoureuse et solide. Faite pour résister et neutraliser la domination de ses adversaires, afin de mieux les surprendre en contre par un jeu direct et rapide vers l’avant.

Le FC Séville dispose également d’atouts pour des attaques éclairs (Gameiro et Bacca notamment) ainsi que d’une remarquable rampe de lancement, le Croate Ivan Rakitic. Si l’on ajoute des défenseurs plutôt lents, donc une ligne défensive basse par contrainte, Unay Emeri privilégie logiquement le contre, en tout cas en Liga. En Europa League, le bilan est plus contrasté, avec une possession moyenne de 59 % mais très variable d’un match à l’autre (42 % à Porto, 43 % à domicile contre Estoril, 71 % à Liberec), certainement sous l’effet de l’évolution du score.

Les joueurs offensifs explosifs de Schalke 04 (Draxler, Meyer, Farfan, Obasi…) brillent également lorsqu’ils peuvent exploiter la profondeur en contre-attaque. Avec une possession de 49,8 % en moyenne en Ligue des Champions cette saison, le club de la Ruhr a eu la même approche en Europe qu’en Bundesliga.

Que l’ASSE figure parmi ces exceptions peut sembler surprenant. Mais les Verts peinent souvent à dompter techniquement un pressing adverse dans l’entrejeu. La présence de Brandao en pointe incite également à allonger (Saint-Étienne est la sixième équipe de Ligue 1 à jouer le plus de longs ballons) plutôt qu’à redoubler patiemment les passes courtes.

LE BAS DE TABLEAU ACCULÉ

À l’inverse, les quinze relégables du « top 5 » ont tous une possession « négative » avant ce week-end. Il n’y a certes qu’en Ligue 1 (Ajaccio, 43,5 %) et en Bundesliga (Eintracht Brunswick, 42,2 %) où le dernier du classement par points coïncide avec celui par possession. Mais en moyenne, un relégable a une possession de 46 % [3].

Cela n’exclut pas l’existence d’anomalies par rapport au postulat de proportionnalité relative entre possession et classement. Ainsi, quatre relégables ont une moyenne de possession de milieu de tableau, voire de première moitié: Sunderland (19e de Premier League mais 12e possession, 46,4 %), le Bétis Séville (20e de Liga mais 10e possession, 48,6 %), Stuttgart (16e de Bundesliga mais 10e possession, 49 %) et surtout Hambourg (17e de Bundesliga mais 7e possession, 49,8 %).

Pour le reste, ce sont en grande majorité les formations qui subissent le plus qui se retrouvent en bas de tableau. En Ligue 1, les trois relégables Valenciennes, Sochaux et Ajaccio ont ainsi respectivement les 15e, 18e et 20e moyennes de possession. Là aussi, cette saison s’inscrit dans la continuité de la précédente. L’an passé, parmi les quatorze relégués [4], seuls le Wigan de Roberto Martinez (54,4 %) et Palerme de justesse (50,1 %) avaient une possession « positive ».

INFOGRAPHIE

LES EXCEPTIONS (OU PRESQUE)

Si aucun relégable ne dépasse la barre de 50 % de possession moyenne, nous avons déjà cité quatre formations dont la possession et le classement ne coïncident pas: Sunderland, le Bétis Séville, Stuttgart et Hambourg.

Les Black Cats, sous la houlette de l’Uruguayen Gustavo Poyet, ont une approche moins directe que bon nombre de formations de Premier League. Ils possèdent de bons manieurs de ballon dans l’entrejeu (Ki, Larsson) et sur les ailes (Johnson). Leur présence dans la zone rouge doit beaucoup à un début de saison catastrophique (sept défaites et un nul en huit matchs) et à leur mauvaise forme à domicile (trois victoires en quinze rencontres).

À l’inverse de son rival du FC Séville, le Bétis évolue dans un style très espagnol: jeu au sol patient, rythme lent. D’où une possession en décalage avec sa position de relégable. Leurs statistiques (nombre de tirs et tirs cadrés par match, tirs concédés par match…) les placent dans la moyenne haute de Liga. Mais les hommes de Gabriel Calderon manquent avant tout d’efficacité dans les deux surfaces (18e attaque, 19e défense de Liga).

Enfin, en Bundesliga, Hambourg et Stuttgart sont des « gros » qui ne sont pas, sur le papier, à leur place. Des équipes bâties pour faire le jeu, pour dominer leurs adversaires. Ils sont d’ailleurs les relégables les plus proches de la barre des 50 % de possession moyenne (49,8 % pour Hambourg, 49 % pour Stuttgart). Mais ils pèchent défensivement: Hambourg est la deuxième pire défense d’Allemagne (59 buts encaissés en 28 matchs), Stuttgart suit juste derrière (57 buts concédés).

SUBIR, UN CHOIX OU UNE CONTRAINTE ?

Si prendre le jeu à son compte est le plus souvent le fruit d’une stratégie délibérée, subir peut en revanche être le fruit de deux leviers: un choix tactique pour privilégier les contre-attaques; une contrainte liée à un effectif insuffisamment talentueux relativement à l’adversaire, techniquement notamment, pour conserver le ballon.

Pour les équipes de bas de tableau, on serait tenté de pencher pour la deuxième option. Mais le Rayo Vallecano (59,1 % de possession, deuxième moyenne de Liga), longtemps relégable et aujourd’hui quatorzième, est la preuve que la philosophie de jeu de l’entraîneur est certainement le premier facteur déterminant. Celle-ci découle certes généralement des joueurs à disposition, mais Paco Jémez, le technicien des Franjirrojos, a fait d’un effectif en partie laborieux une formation capable de faire le jeu sur le terrain du Real Madrid (55 %… mais une défaite 5-0).

TROUBLANTE COÏNCIDENCE

L’objet de cette étude n’est évidemment pas de ressortir la possession du ballon comme seul déterminant du classement d’une équipe. En elle-même, cette statistique ne dit pas grand-chose de la qualité du jeu d’une équipe. Tant d’autres facteurs entrent en jeu, et d’abord pour caractériser l’efficacité de cette possession: temps de possession dans le camp adverse (domination territoriale), temps de possession par tir (productivité), temps de possession par tir dans la surface (déstabilisation), temps de possession par but marqué (rentabilité)…

On l’a dit en prémices, l’extrémisme dans la recherche de la possession pour elle-même revient à se détourner de l’objectif initial du jeu « football »: marquer, idéalement plus que son adversaire. Plus de possession n’est pas systématiquement synonyme de meilleurs résultats. Les contre-exemples, parmi les cinq premiers et les relégables du « top 5 », le prouvent. Swansea et Levante en sont deux autres: seulement douzième de Premier League, le club gallois est pourtant leader en termes de possession (59,3 %), qu’il utilise certes à des fins avant tout défensives; Levante pointe actuellement à une honorable 9e place en Liga, mais a la pire possession d’Europe (36,8 %). Il s’agit avant tout de rentabiliser cette possession du ballon en la convertissant en points.

Reste que si la corrélation entre classement et possession n’est pas parfaite, elle est au moins partielle. Moins poussée qu’avec le budget des clubs, par exemple, mais plus profonde qu’avec d’autres données (nombre de buts marqués ou encaissés, par exemple). Sauf cas singuliers d’approches réactives (d’abord neutraliser le jeu adverse) efficaces, les approches actives (imposer son jeu à l’adversaire) sont actuellement mieux récompensées.

Julien Momont

Toutes les statistiques sont tirées de WhoScored.com et ont été récoltées le jeudi 3 avril 2014.

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[1] Bundesliga, Liga, Ligue 1, Premier League, Série A.
[2] 55 % en Liga, 56 % en Bundesliga, en Ligue 1 et en Premier League, 57 % en Série A.
[3] 45 % en Ligue 1, Premier League et Série A, 47 % en Bundesliga, 48 % en Liga.
[4] Le barragiste allemand Hoffenheim s’est finalement sauvé après son double succès face à Kaiserslautern (5-2 aggr.).

3 commentaires

  1. Florian B (m3d) dit :

    Quand arretera-t’on de nous parler de « top 5 europeen » comme comprenant la France? La France est le 6e pays europeen. Derriere le Portugal. Et peut-etre derriere la Russie l’an prochain…

    L’incapacite ces 10 dernieres saisons de battre les portugais pour les clubs francais le montre bien…

  2. Mike Laskar dit :

    Car la L1 est bien le 5ème championnat européen car dix fois plus compétitif que la Liga Sagres
    Les performances des clubs lusitaniens sont à mettre en partie sur le compte d’ailleurs de la formule du championnat à 16 clubs, pendant que nous jouons à 20 clubs.

    Forcément, et au vu de l’homogénéité de la L1, il devient plus dur pour nos clubs d’être compétitifs sur la scène européenne…

    Bon papier sinon, qui confirme, non pas que possession=victoire, mais possession équivaut souvent à maitrise technique et collective supérieure tout simplement

  3. Julien M dit :

    Les guillemets sur l’expression « top 5 » sont là pour indiquer l’emploi de cette formule à défaut d’en avoir une plus appropriée (et en tout cas moins lourde que de dire « les quatre grands championnats européens plus la France »).

    Nous sommes bien sûr au courant de la situation de la Ligue 1 dans le classement UEFA.

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