Des pages et des pages – de papier comme numériques – ont été noircies sur le Bayern Munich version Guardiola. Ses différences avec le Barça. Son évolution tactique, parfois même analysée mois après mois. L’apport spécifique de l’entraîneur catalan. Le replacement de Philipp Lahm devant la défense. Ce qui distingue et rend le club bavarois si passionnant à suivre cette saison, en dépit de son ultra-domination, c’est son innovation tactique permanente. La recherche avant-gardiste de solutions en anticipation d’éventuelles problématiques futures.

L’imagination de Pep Guardiola, sa réflexion sur le football, sa minutie tactique, trouvent peu d’équivalents dans le monde du ballon rond. De ses influences multiples (Cruyff, Bielsa, Lillo…), il tire cette saison un modèle unique, porté par des innovations singulières. En voici trois.

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1- LES LATÉRAUX À L’INTÉRIEUR DU JEU

Avec la disparition progressive des ailiers traditionnels, le rôle des latéraux s’est accru. Ils sont aujourd’hui une pièce essentielle de l’organisation offensive de bon nombre d’équipes. « Maintenant, ils doivent remplir des rôles physiques comme techniques, nous avait confié Omar Da Fonseca . Ils font de longues courses, des répétitions d’efforts, et on leur demande aussi d’être techniques, parce qu’ils se retrouvent souvent dans le camp adverse. » C’est à eux d’apporter la largeur, d’étirer le bloc adverse, pour permettre aux joueurs devant eux de repiquer dans l’axe.

Au Bayern, Guardiola a renversé le paradigme. En fonction des situations, ce sont bien les ailiers qui apportent la largeur, et les latéraux qui se recentrent pour offrir un point d’appui à l’intérieur. Une innovation déstabilisante, l’ailier adverse étant souvent incertain quant à l’attitude à adopter. En resserrant au centre pour suivre son vis-à-vis, il ouvre une ligne de passe directe depuis l’arrière vers le joueur offensif de couloir. À Hanovre, le 23 février dernier, Bastian Schweinsteiger a ainsi trouvé dix fois Mario Götze. Celui-ci, en décrochant dans l’espace libéré par Alaba, pouvait se retourner et évoluer face au but.

Götze exploite l'espace libéré par Alaba, positionné à l'intérieur. Schweinsteiger exploite la ligne de passe ouverte. Götze aura alors la liberté de se retourner, son défenseur étant resté en défense de zone.

Götze prend l'espace libéré par Alaba, positionné à l'intérieur. Schweinsteiger exploite la ligne de passe ouverte. Götze pourra alors se retourner, son défenseur étant resté en marquage de zone.

Objectif: impliquer plus rapidement les éléments percutants. Sauter l’étape de latéraux souvent sollicités mais pas toujours à même de faire la passe qui casse les lignes adverses – Alaba et Rafinha ne manquent certes pas de qualité technique. Des latéraux alors libres au cœur du jeu, souvent avec de l’espace devant eux pour percuter s’ils sont servis. En revanche, si l’ailier adverse reste en position de défense de zone, le latéral offre lui-même une solution de passe directe vers l’avant dans l’entrejeu. Et y crée du même coup une supériorité numérique systématiquement recherchée par Guardiola.

D’unidimensionnels, les défenseurs latéraux deviennent donc multidimensionnels. Verticalité traditionnelle des courses vers l’avant et des replis, combinée à l’horizontalité, pour occuper des poches d’espaces dans l’axe. Un nouveau palier dans l’évolution du poste.

2- LA LIBERTÉ PLANIFIÉE DE MÜLLER

Dans le système Guardiola, Thomas Müller dispose d’une liberté planifiée. Liberté, car l’international allemand semble, de l’extérieur, décider lui-même de ses dézonages. Aligné côté droit à Hanovre, il s’est ainsi souvent replacé dans l’axe, entre les lignes du 4-4-2 adverse ou aux côtés de Mario Mandzukic. En bon « Raumdeuter« , interprète de l’espace (mais géomètre parfois incompris). Planifiée, car pour maintenir l’équilibre de son équipe, Pep Guardiola a mis en place plusieurs mécanismes de compensation, deux principalement. Il y a d’abord, de manière classique, le latéral qui évolue plus haut pour occuper la largeur.

Mais il y a aussi, dans l’optique de l’approche innovante développée dans le premier point, le milieu axial qui s’excentre et prend le rôle d’ailier. Cela permet de maintenir le schéma « latéral à l’intérieur – ailier à l’extérieur », tellement efficace pour créer des décalages. À Hanovre, on a ainsi souvent vu Thiago compenser les déplacements de Müller en occupant lui-même le poste d’ailier droit. Il a d’ailleurs failli offrir un but à l’Allemand, « renard des couloirs », sur un centre en première période.

Müller étant dans l'axe, le Bayern garde son schéma singulier avec le latéral Rafinha à l'intérieur. C'est le milieu axial Thiago qui occupe l'aile droite pour compenser et maintenir la largeur et l'équilibre offensifs.

Un tel fonctionnement, dont la réussite repose sur l’analyse du jeu en mouvement par les joueurs eux-mêmes et leurs automatismes collectifs, permet de maintenir une créativité au moins équivalente dans le couloir, tout en gagnant un surplus de présence dans la surface et de finition dans l’axe. Il confronte également l’arrière latéral adverse à plusieurs adversaires différents dans un laps de temps généralement assez court, ce qui rend le jeu bavarois encore plus imprévisible.

3- LA MICRO-TACTIQUE

S’il peut faire évoluer le sens du triangle de son entrejeu, Pep Guardiola ne déroge que rarement de son organisation générale en 4-3-3. Ce qui caractérise le technicien catalan, ce sont ses micro-changements tactiques adaptatifs en cours de match, en fonction de ce que lui oppose l’équipe adverse et du scénario. Objectif: « limiter au maximum les variables pouvant transformer une victoire en défaite ».

Que ce soit faire évoluer Javi Martinez un cran plus haut, en soutien de Mandzukic, pour s’extraire du pressing du Borussia Dortmund par un jeu plus direct. Replacer Lahm devant la défense en seconde période à Arsenal. Remplacer Mario Mandzukic par Thomas Müller ou Mario Götze, passer à un faux numéro neuf pour s’assurer la possession et le contrôle de l’entrejeu. Le système reste le même, mais la combinaison et la disposition les uns par rapport aux autres des éléments qui le composent sont altérés, de manière plus ou moins franche.

Le concept de micro-tactique n’est pas nouveau. José Mourinho en est un autre adepte. Mais peu d’entraîneurs le poussent aussi loin que Pep Guardiola, capable, par exemple, de faire évoluer Lahm à quatre postes différents au cours du même match. La profondeur et la complémentarité de l’effectif bavarois lui offrent ces possibilités d’inclinaisons multiples du style de son équipe et de chaque poste. Sur le plan offensif, Robben, Pizarro, Mandzukic, Götze, Ribéry et Müller ont chacun un profil différent. Ce qui permet une multitude de combinaisons différentes, évolutives en cours de match. « Je pense que nous sommes encore plus flexibles, a reconnu Philipp Lahm, sur l’apport de Pep Guardiola. Nous avons encore plus le contrôle, et sommes plus imprévisibles. »

Julien Momont

17 commentaires

  1. Leo dit :

    Merci pour le papier et les explications sur le génie (n’ayons pas peur des mots) tactique de Guardiola.

    Et une remarque sur le rôle des latéraux : l’Argentine de Bilardo, en 86 et même si c’était dans un autre système (3-5-2), jouait déjà avec 2 latéraux (Olarticoechea et Giusti) qui se recentraient beaucoup (laissant l’aile à la pointe Valdano ou aux milieux Enrique et Burruchaga) voire croisaient !

  2. sansai dit :

    Superbe papier. Merci !

  3. Gabi Rafa Marquez dit :

    Merci beaucoup, très bon article!

    Surtout pour le point 1. J’avais bien remarqué qu’Alaba (et Rafinha, mais plus rarement me semble-t-il) se retrouvait souvent dans des positions étranges pour un latéral en phase offensive, mais sans comprendre que c’était voulu, voire prévu.
    Ça demande quand même un sacré physique pour assurer les replacements derrière, surtout quand les ailiers ne sont pas forcément des champions de la compensation défensive (coucou Arjen et Franky).

  4. Merlu dit :

    D’abord un énorme merci pour ce blog.

    Ensuite, peut-on vous contacter par mail, et si oui, à quelle adresse ? J’ai rien trouvé.

    Merci !

  5. Julien M dit :

    Pour le point sur les latéraux, je n’ai bien entendu pas eu accès aux consignes données par Guardiola, mais il est vrai que c’est trop systématique et contre-naturel pour que ce soit improvisé.

    Quant à l’adresse mail des joyeux DM, la voici : lesdemanagers chez gmail point com

  6. Julien M dit :

    J’ajouterais, pour répondre à Gabi, au niveau du replacement des latéraux, que la couverture est déjà en partie assurée par Boateng et Dante assez écartés avec Lahm dans l’axe entre eux.

    Mais ce n’est pas toujours le cas, notamment quand Lahm a évolué sur la même ligne que Schweinsteiger dans l’exemple du match de Mayence, et le Bayern a été assez exposé aux contres, ou en tout cas souvent en situation de deux contre deux derrière.

  7. zazamouk dit :

    Merci pour l’analyse, comme d’habitude très intéressante!
    Pour compenser les montés des latéraux, Pep fait comme avec le barça une défense à trois avec le Mdef qui descend au milieux des centraux.

    Cette position particulière des latéraux on la retrouve parfois au barça avec notamment Alves et Adriano qui se recentrent afin d’apporter leurs frappes de loin…

  8. A. Ajenjo dit :

    On retrouve cet aspect du latéral chez Marcelo au Real Madrid aussi, qui est compensé de manière très complémentaire par Di Maria et son travail incessant.
    très bon article merci beaucoup

  9. jphi dit :

    Les latéraux à l’intérieur du jeu est bien une nouveauté, très bonne analyse. Le Barça joue également souvent comme cela, avec Alves et Alba qui rentre et Pedro, Neymar et Sanchez qui mangent la ligne. Pour le Barca je ne suis pas forcément convaincu par ce système, les attaquant Barcelonais étant meileur quand ils rentrent dans l’axe tandis que les latéraux ont la capacité de déborder. Mais il est vrai que ca donne une alternative à des systèmes connus par tout le monde. Quand au point numéro 2 sur Muller, ce n’est pas vraiment une spécificité du bayern, beaucoup d’ailier ( ou plutot attaquants ou milieu offensifs qui jouent sur le côté) dézonent, il est ensuite normal qu’un milieu central ou le latéral ferment la zone.

  10. Gilles Juan dit :

    Décidément, en plus de la pertinence des analyses, la pédagogie des Dé-managers est toujours excellente

  11. sansai dit :

    « jphi dit :
    Les latéraux à l’intérieur du jeu est bien une nouveauté, très bonne analyse. »

    Je conseille le livre de Loïc Bervas « Christian Gourcuff, un autre regard sur le football », avec sa postface « principes du 4-4-2 FC LORIENT, par Christian Gourcuff ».

    On y retrouve cette position « intérieure » des latéraux sur les attaques placées, avec des milieux excentrés qui prennent la largeur et des latéraux plus proches de leur défense centrale, qui peuvent intervenir dans le cœur du jeu (un de ceux qui a merveilleusement exercé ce rôle à Lorient, c’est Mareque), et la consigne expresse pour les latéraux et excentrés de ne pas se situer sur la même verticale.

    Cadeau :

    http://x3sansai.free.fr/4-4-2%20FCL%20par%20C.Gourcuff.pdf

    Cadeau :

  12. shaza dit :

    hmmm
    L’Om des années 90 avait avec Goethals expérimenté le même système avec Sauzée qui jouait arrière droit par exemple et qui montait en position de milieu déf en phase offensive… mais bon je vous parle d’un temps que les moins de 30ans…

  13. ZeuStef dit :

    Merci Julien pour cette fine analyse.
    J’avais aussi remarqué que les équipes adverses laissaient des boulevards sur les côtés sans comprendre pourquoi et comment… Le point 1 répond tout à fait à mon interrogation. Par ailleurs, il fgaut noter la justesse des passes des uns et des autres. C’est rapide et précis.

    Ce soir, je pronstique un 3-0 du Bayern sur un Manchester en perdition et qui est passé en quart avec beaucoup de chance.

  14. LCM dit :

    Il faudra envoyer cet article à Eric Di Meco qui, en tant que piètre analyste à oeillères qu’il est, n’a rien compris aux montées des latéraux Bavarois

  15. Les Dé-Managers : pour parler tactique, pas pour meubler. » Blog Archive » LES BILANS EUROPÉENS dit :

    […] aussi : – Trois singularités tactiques du Bayern – Thomas Müller, le géomètre […]

  16. Thom dit :

    Cette approche du milieu défensif recentré tient aussi beaucoup à coeur à Cruyff, même s’il envisageait le latéral plus bas (comme l’OM de 90 évoqué par Shaza) pour équilibrer l’équipe.
    Alaba est le symbole de cette évolution, Rafinha le fait aussi mais de manière moins marquée.

  17. PSG – Barcelone : Blanc, le moment de faire taire les critiques ? dit :

    […] pas sur la simple question de possession de balle. L’espagnol est un véritable spécialiste de la micro-tactique, à l’inverse de Laurent Blanc. Souviens-toi la saison dernière. Le PSG reçoit […]

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