Modifier toute sa stratégie en fonction de l’adversaire ou garder sa ligne directrice coûte que coûte ? A priori, les deux formules ont leurs avantages et inconvénients et le choix doit surtout être dicté par la capacité à contrôler le match sans trop sortir de sa zone de confort. De par son style dominant, qui lui permet de confisquer le ballon même si l’adversaire n’a pas envie de le laisser, Barcelone a évidemment un avantage énorme sur 99 % des équipes, lesquelles doivent trouver un moyen de gagner la guerre sans disputer la bataille de la possession… voire des idées. Ce fut le cas lors du match entre City et Barcelone. Pour contrer les Catalans, Manuel Pellegrini a tenté, là où Tata Martino a fait confiance à ses hommes. Si les Citizens auraient très bien pu ne pas perdre, ils n’ont rien fait pour gagner.

L’EXEMPLE LAURENT BLANC

Le cœur du problème concerne évidemment la titularisation d’Aleksandar Kolarov sur le côté gauche, lui le latéral, à la place d’un ailier de métier. Très récemment, Clarence Seedorf a essayé l’option Abate dans un rôle similaire, mais le choix était dicté par une volonté proactive de déstabiliser l’adversaire, le Napoli, en profitant de la vitesse du défenseur italien. La décision de Pellegrini est au contraire une réaction à un éventuel problème, les montées de Dani Alves, et dresse un parallèle étonnant avec celle de Laurent Blanc face à l’Espagne. Pour bloquer Jordi Alba, l’autre latéral barcelonais, il avait choisi de titulariser Mathieu Debuchy dans ce rôle inattendu. Même s’ils sont capables de déborder et d’apporter le soutien offensivement, comme la plupart de leurs collègues à ce poste, Kolarov et Debuchy ont des réflexes de portée de balle et de centres, pas de prise de profondeur et de jeu placé en lien avec les attaquants.

La frilosité du sélectionneur d’alors avait eu les défauts attendus (manque de poids offensif dans le couloir, d’automatismes) sans en avoir les côtés positifs, Alba étant à l’origine du but et la responsabilité de Debuchy directement engagée. Mardi soir, aucune action précise n’a servi de révélateur. Et c’est d’ailleurs presque pire. Car Alves n’a pas réussi la montée décisive, celle qui fait basculer la partie. Il a passé une bonne heure devant, comme il l’aurait fait habituellement, sans que quiconque ne vienne véritablement l’embêter. Si son but arrive après la sortie de Kolarov, celui-ci n’est que le reflet d’un fait déjà connu : on peut maîtriser le Brésilien pendant tout un match, le mettre sur la défensive, mais on ne peut pas le fatiguer suffisamment pour qu’il arrête ses déboulés.

DISSUASION ET NEUTRALISATION

De fatigue, justement, il ne devrait pas trop en avoir. Bien entendu, il a galopé un peu partout, créant le surnombre dans le camp adverse à défaut de tout réussir. Mais jamais Dani Alves n’a dû défendre son côté, ce qui est la tâche première à son poste. À une seule reprise, la crainte qu’il se fasse prendre en profondeur dans le dos s’est matérialisée. C’est arrivé en fin de partie, après le remplacement de Kolarov par Nasri et le passage de David Silva dans son couloir, à une période où Barcelone entrait dans une phase de confiance absolue (marquée par la présence de Piqué aux avant-postes pendant plusieurs minutes). Si l’action n’a pas aboutie, la faute à un centre raté de Clichy, et que sa naissance est aussi due à un manque de concentration du latéral catalan, elle prouve qu’il y avait une faille à exploiter.

Une autre preuve, s’il en fallait une, de cet échec tactique, réside dans la physionomie du duel entre Jordi Alba et Jesus Navas. Habitués à se côtoyer en sélection et à s’affronter en championnat, les deux hommes, qui pourraient presque intégrer le relais 4×100 m espagnol avec un peu d’entraînement, se sont livrés une bataille étonnamment sobre. Le défenseur, dont la carrière a décollé grâce à Unai Emery, qui avait aligné avec bonheur Jérémy Mathieu en tant… qu’ailier gauche face à Barcelone pour embêter Alves, n’a jamais quitté sa zone pour apporter du soutien devant, bloqué par la menace Navas. Une inversion totale des rôles et une victoire attendue de Pellegrini : pour contenir l’ailier, Barcelone a dû brider les envies de montées d’un joueur dont c’est la qualité principale. La démonstration par l’exemple qu’aligner un élément offensif peut avoir des vertus défensives.

MAÎTRISE GÉOMÉTRIQUE

Tata Martino, peu expérimenté en Europe mais fin tacticien, avait anticipé ce scénario. Plutôt que de jouer avec un ailier dans le couloir gauche, il a ainsi choisi un milieu axial. Voire deux… ou même aucun selon les périodes. Tour à tour, Andrés Iniesta et Cesc Fabregas se sont relayés pour occuper ce secteur, sans vraiment en exploiter tout le potentiel. On a ainsi vu à plusieurs reprises un énorme trou sur le côté, le Barça congestionnant l’axe et obligeant Zabaleta à se concentrer sur les différents dézonages adverses plutôt que sur ses envies de monter. En position de force à droite et se sentant supérieur dans l’axe – Sergio Busquets prouvant au passage pourquoi il a été conservé plutôt que Yaya, en témoigne sa récupération qui amène le premier but –, les Espagnols ont volontairement cherché à faire de la partie gauche du terrain une zone de non-action. Avec, malgré tout, la possibilité permanente de profiter d’un déséquilibre pour attaquer.

Le reste du plan de Manchester City avait pourtant de vrais atouts. Bien entendu, titulariser Martin Demichelis et ses jambes de cinquantenaire était risqué si le bloc se fissurait. Pour le reste, la gestion défensive aboutissait à l’objectif voulu : bloquer les positions de tir. Dominateur balle au pied, Barcelone n’avait, jusqu’au but, eu qu’une seule vraie occasion de marquer. Hormis ce tir de Xavi à l’orée de la surface, rien n’avait été concédé (seules les zones 7 et 8 de ce graphique étaient couvertes de manière plus lâche). Tous les duels étaient marqués par des menaces dissuasives équivalentes incitant à ne pas trop se livrer. Tous, sauf celui entre Kolarov et Alves. En confiance à la seule lecture de la feuille de match, le Brésilien et son entraîneur ont eu l’accord tacite de City pour attaquer. Et ils ne s’en sont pas privé.

Christophe Kuchly

13 commentaires

  1. Armand dit :

    Fort juste!

  2. othello_ dit :

    Le système du Tata a également permis aux latéraux d’être plus incisifs dans leurs montée, celles-ci se trouvant mieux couvertes que si un Neymar eût joué. Il peut y avoir débat sur une titularisation de Pedro en lieu et place d’Alexis, même si le Canarien est moins axial.

    Aspect savoureux: la tactique de Pellegrini n’est pas sans rappeler la Guardiolada (ce terme définit un coup tactique de Guardiola) célèbre, au Bernabeu, lorsque Alvés et Maxwell ont joué ailiers, permettant pour bloquer le jeu de couloir du Real de Manuel Pellegrini. Au final, 0-2 pour le Barça, et une Liga en poche.

  3. Georges T. Newman dit :

    Article assez juste sur la tactique de Pellegrini, qui m’a énervé même si elle était proche de la vérité. Un simple Milner à la place de Kolarov aurait changé beaucoup de choses je pense. En revanche, je ne pense pas que City n’ait « rien fait pour gagner ». Privilégier le contre est une option permettant de gagner, et le match aurait pu tourner dans ce sens si on voit le nombre d’occasions. De même, il ne me semble pas que Martino ait fait preuve d’une confiance largement supérieure à Pellegrini: Iniesta n’a quasiment pas joué à ce poste depuis son arrivée, et il est rare qu’il l’aligne avec Xavi, Fabregas et Messi. Le but était à mon avis de garder le ballon au maximum, dans un but peut-être plus défensif qu’offensif. La 1ere mi-temps a bien montré la relative stérilité de la tactique barcelonaise.

    Enfin, je voudrais juste dire qu’il est dommage qu’ici, comme partout ailleurs ou presque, on ne s’intéresse réellement à City que lorsqu’ils souffrent face à de gros calibres, comme pour mesurer la distance à parcourir avant d’être une grande équipe. Sans rentrer dans un débat PL/Liga, City a livré des matchs de haut niveau cette saison et il serait agréable d’en entendre parler. Je sais bien que la PL est peu prisée des amateurs de tactiques comme vous, mais vos articles sont parfois biaisés par méconnaissance ou inintérêt des équipes anglaises.

  4. Julien M dit :

    Merci pour vos réactions très pertinentes !

    Sur le foot anglais, Georges, parmi les derniers articles publiés ici, vous en trouvez deux sur Mata et Özil. Et parmi nous, Raphaël est un gros mangeur de Premier League.

    Il est vrai que nous n’avions pas encore consacré d’article à City cette saison, mais parler de méconnaissance ou désintérêt pour les équipes anglaises me paraît erroné. Nous n’écrivons simplement pas un article sur chaque équipe que nous voyons jouer.

  5. Ouam dit :

    Je vous rejoins sur Milner, qui avait parfaitement éteint Hazard le week-end dernier tout en parvenant à participer à l’animation offensive.

    mais Milner était suspendu hier, non ? Et Nasri pas à 100%, ce qui explique (au-delà de l’option tactique) le choix de titulariser Kolarov…
    c’est là qu’on se rend compte que malgré son effectif gigantesque, City est vite dépourvu en cas d’absence clé : Agüero a manqué hier, Demichelis a joué milieu il y a deux semaines (malgré Rodwell sur le banc), Kolarov sur l’aile hier… c’est tout de même étrange.

  6. Georges T. Newman dit :

    @Julien M: J’ai bien lu les articles sur Mata et Ozil, tout deux intéressants. Et je sais bien que vous ne pouvez écrire sur chaque équipe que vous voyez. Cependant entre le « preview » d’hier et le « debrief » d’aujourd’hui, à chaque fois on envisage les enjeux du match à travers les capacités offensives de Barcelone (City va devoir défendre en gros). Comme si City était l’outsider qui est mis au défi de rivaliser avec Barcelone, ce qui était loin d’être évident avant le match. D’ailleurs City a mis en difficulté assez souvent et parfois sans forcer la défense barcelonaise, alors qu’ils étaient en infériorité numérique.

    Ce n’est pas que je veuille absolument que vous parliez de City, mais plutôt d’envisager leurs match d’un autre angle quand vous choisissez d’en décrypter un. Ici, peut-être qu’un double avis entre un spécialiste de la Liga (C. Kuchly en l’occurrence) et un autre de PL aurait permis d’avoir une vision plus globale du match.

    @Ouam: oui, j’allais le dire, mais la tactique choisie par Pellegrini est autant dictée par les blessures que par l’adversaire.

  7. Ziedovic21 dit :

    Très bon article comme d’habitude.

    En ce qui concerne la tactique adoptée par Pellegrini, je pense qu’elle est en grande partie due au match aller City-Bayern, match où le technicien Chilien a gardé son schéma classique en 4-4-2 mais City s’est fait manger par un Bayern en mode Barcelonais.

    De l’autre coté, en titularisant Cesc + Iniesta, Tata a clairement essayé de garder le monopole du ballon, le plus loin possible des cages de Valdes afin de minimiser les risques de contres attaque sur les pertes de balle. Le match retour en Copa face à la Real Sociedad était une parfaite répétition avant le choc d’hier

  8. Christophe Kuchly dit :

    On se rejoint tous sur Milner, d’ailleurs j’en aurais même encore plus parlé si j’avais eu la place pour développer la présentation (qui aurait été faite différemment si j’avais eu la composition… même si c’était dans les tuyaux).

    J’entends bien les remarques sur City et je ne vais pas chercher à tout prix à les battre en brèche. Si le sentiment est que je les ignore, c’est sans doute que je n’ai pas fait parfaitement le boulot. Néanmoins, je tiens à dire que je suis un grand fan de Pellegrini et que j’ai pas mal regardé City cette saison (notamment contre Chelsea). J’avais d’ailleurs prévu d’écrire sur la défense des positions de tir jusqu’à ce que le but arrive et que Alves continue à se balader dans le couloir. Et je ne pense pas avoir parlé que des capacités offensives de Barcelone puisque la moitié de la preview est consacrée à l’exploitation de la profondeur dans le dos des latéraux.

    Honnêtement le fait de décrire une situation où City réagit ne répond pas à un plaisir ou parti pris, c’est quelque chose que j’aurais écrit face à tout le monde hormis le Bayern. Surtout que dans ce cas précis il s’agit d’une excellente équipe, qui n’a pas autant l’habitude de ne pas voir le ballon que certains de Mourinho par exemple. Pour le reste (Martino qui veut la possession, tactique stérile, être offensif par le contre etc.) je suis d’accord, du coup il n’y a pas de débat.

    Même si ça peut être interprété autrement, mon sentiment est que City aurait dû faire mieux en allant au bout de son idée. Il y a eu 15 minutes intéressantes dont 5-6 à une période où Barcelone avait perdu toute solidité tactique et ce n’était pas tant sur des contres classiques qu’avec de l’agressivité sur le porteur au milieu de terrain (cf le Bayern l’an dernier qui avait ciblé Busquets). C’est la preuve qu’il y avait la place.

  9. Hichem dit :

    Analyse très intéressante comme d’habitude.
    Sinon, il me semble qu’avec Barcelone on a toujours l’impression qu’il y avait la place et au final…
    Enfin, ce qui m’interpelle dans ce Barça reste cette difficulté à trouver l’accélération fatale quand l’équipe est en possession de balle face à un bloc regroupé, avec peu d’appels en profondeur ou décalage. Cette obsession – jusqu’à l’absurde parfois – de la passe dans les pieds pose question. C’est un problème que Martino n’a que partiellement résolu, à mon sens.

  10. Ryan Chase dit :

    Je partage le point de vue de l’analyse dans les grandes lignes mais je souhaite revenir sur le point Kolarov-Alves.

    Personnellement, je ne pense pas que la base de la décision de Pellegrini était de bloquer le brésilien. Au delà des problèmes que l’ailier du Barça peut occasionner, je crois que le chilien a surtout tenté d’aligner une deuxième ligne capable de souffrir défensivement mais également armée pour appuyer sur certains défauts du Barça. Ici en l’occurrence, la défense des centres latéraux. La présence du duo Kolarov/Navas (les deux meilleurs centreurs de l’équipe anglaise) couplé à celle de Negredo en pointe, va dans ce sens.

    Dans les faits, le résultat n’est pas flatteur, Kolarov ne centre pas une foi du match. Mais il libère tout de même Clichy sur certaines situations, qui lui tente 3 centres et trouve une foi preneur. Et coté droit, Navas fait 3 sur 3.
    Negredo en reprend 3 il me semble, dont 2 relativement dangereux sur lesquels il n’a aucun problème pour faire la différence sur la défense du Barça (Forcement, hormis Piqué, tous ont un déficit de taille important pour rivaliser). Clairement, il y avait matière à faire la différence sur ces ballons. Et l’utilisation des centres ne nécessitent pas forcement que tout le bloque soit remonté. Cela permettait de créer une situation dangereuse devant le but adverse rapidement sans trop se découvrir. Bref, l’idée me paraissait bonne.

    Après dans les faits, le Barça s’est montré plus compétitif sans forcement mieux jouer. Ce n’est pas nouveau. L’équipe catalane conditionne beaucoup plus ses adversaires que ne peut le faire City et au final, Pellegrini a opté pour changer la nature de sa proposition juste pour un match. Jusqu’au craquage de Demichelis, je pense que le plan fonctionne plutôt bien. City génère plus avec moins et la sensation de danger apparaît plus du coté de City que du Barça. Mais au final, aligner Demichelis contre Messi se paye et derrière, l’ingénieur tarde à réagir. C’est dommage mais d’un autre coté, ça nous renvoie à un questionnement du modèle Citizen (bombarder l’adversaire via une attaque directe, agressive et en surnombre), très performant en PL mais peu cohérent avec le contexte League des Champions.

  11. Ratm13 dit :

    Bravo pour votre blog et vos analyses !
    Un conseil pour un livre sur les tactiques ? il y en a énormément… merci !

  12. Fourmiz dit :

    Excellent article mais je souhaite juste revenir sur un point :
    -Busquests n’a pas été conservé par rapport à Yaya Toure par rapport à ses qualités de récupérateur, l’ivoirien a occupé ce poste à merveille bien mieux que lui pendant plusieurs saisons. Il a été préféré parce qu’il est catalan, c’est tout.

  13. jAX dit :

    Concernant le choix de Martino d’aligner Cesc et Iniesta (donc 5 jugones et un ailier) ça ne date pas de la Real Sociedad. Pep le faisait déjà avec Keita, Tito a joué pendant très longtemps dans cette formule la saison passée et Tata avait fait ce choix pour le Clasico. Ce n’est pas tellement une crainte de l’adversaire mais la volonté de s’assurer une maîtrise totale de la possession pour s’exposer un minimum défensivement.

    Tata est quelqu’un de très habile, son Barça a montré qu’il était capable d’évoluer en attaques rapides et contres (les buts du Clasico, match aller contre le Rayo…) mais là il avait besoin d’avoir la possession parce que sinon son équipe aurait été trop exposée. C’est un choix prudent, à la fois défensif et offensif.

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