La période des invités continue avec Ryan Chase (@Chase_Ryan). Intéressé par le champ tactique et suiveur assidu du Real Madrid, le trilingue discute du football en espagnol, en français ou en anglais sur Twitter. Aujourd’hui, il dépasse les 140 signes et explore le vocabulaire footballistique.

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Que signifie « bien jouer », cette expression si commune, entendue dès qu’il y a du football à proximité ? Au premier abord, la formule paraît simple. Pourtant, son utilisation fait rarement le lien avec une idée claire. Quel que soit l’émetteur (entraîneur, spectateur, joueur, journaliste), retrouver un sens concis derrière le message est compliqué. L’idée est confuse.

Pour y voir plus clair et comprendre l’expression, il faut commencer par définir le « jeu ». Le « jeu » en football est une idée entourée d’un grand paradoxe. C’est l’un des termes les plus utilisés par les acteurs et spectateurs de ce sport mais aussi l’un des seuls qui ne possède pas de sens commun. Certains le voient comme une façon de pratiquer le football, d’autres font le lien avec des situations précises sur le terrain ou le rapprochent du résultat. Malgré le flou qui l’entoure, le jeu est quelque chose d’extrêmement simple et indépendant. Il ne nécessite ni style, ni approche, ni même exécution particulière. Et les prérequis de son existence sont tellement basiques (un entraîneur et un groupe de joueurs) qu’il est en fait inévitable.

PHILOSOPHIE

Qu’est ce que le jeu ? C’est une proposition. Une idée (créer une situation de supériorité sur les ailes afin de pouvoir déborder) couplée à d’autres idées (surcharger la surface de réparation et les zones de rebonds), assemblées dans un plan que l’on souhaite appliquer sur le terrain. Quand apparaît-il ? Lorsqu’une équipe a le contrôle du ballon. S’il est en effet possible de cerner une proposition durant les phases antérieures à la récupération (transition défensive ou défense positionnelle), ce n’est qu’a partir du moment ou le ballon est regagné (transition offensive) qu’il est possible d’identifier un projet de jeu. Celui-ci peut être simple, complexe, riche, étoffé, adapté, incomplet, bancal… Cela n’a pas d’importance. Sa qualité n’a pas d’autorité sur sa présence.

Et il en va de même pour le fond et la forme. S’appuyer sur des combinaisons de passes courtes ne garantit pas une meilleure qualité de jeu que des longs ballons. Pas plus qu’un plan basé sur la possession n’assure un niveau supérieur à un plan qui dépend fortement d’une bonne défense sans ballon. Pourquoi ? Parce qu’une proposition n’a pas de niveau intrinsèque. Elle ne prend son sens que grâce aux acteurs (joueurs et entraîneurs) qui la mettent en pratique. Si le jeu est l’idée ou le groupe d’idées qu’une équipe souhaite mettre en place sur le terrain, bien jouer signifie réussir à les appliquer.

ADAPTATION

Pour y arriver, il est très important de construire cette proposition sur ce que les joueurs sont en mesure de réaliser. Si une formation dispose d’un gardien capable de trouver sa cible en moyenne sept fois sur dix et que l’effectif compte également un avant-centre capable de gagner son duel et de réceptionner ce ballon à une fréquence plus ou moins égale, il est clairement dans l’intérêt de cette équipe d’intégrer, d’une manière ou d’une autre, une relance directe du gardien vers l’attaquant. Évidemment, la difficulté n’est pas d’exploiter un ou deux joueurs mais un groupe plus important tout en maintenant un ensemble cohérent. Et, indépendamment de la qualité du groupe, il arrive forcément un stade où un joueur devient sous exploité.

Même les plus grands aujourd’hui, ces footballeurs qui savent tout faire, ont des atouts plus prononcés que d’autres et nécessitent un plan de jeu regroupant certaines idées et contextes pour offrir le meilleur d’eux-même. Les trois finalistes du Ballon d’Or 2013 ne font pas exception. Frank Ribery dispose d’une frappe de balle remarquable et d’un coup d’œil brillant pour donner la dernière passe, mais c’est avant tout un accélérateur qui devient indéfendable lorsqu’il essaye de déborder. Lionel Messi est lui un passeur sensationnel, qui sait ordonner ses équipes, mais surtout un finisseur au niveau sans précédent, qui offre son meilleur rendement proche du but adverse. Quant à Cristiano Ronaldo, s’il dispose d’un physique incroyable et d’un éventail ultra complet lorsqu’il s’agit de finir une action, sa force principale reste la façon dont il se déplace sur le terrain. Quelque soit le plan que cela nécessite, une équipe est plus proche d’imposer sa proposition si elle est en accord avec les protagonistes. Les joueurs sont la tactique.

CONCLUSION

Le football européen en 2014 contient quelques bons exemples. Le Borussia Dortmund et le PSG sont des équipes qui, dans une certaine mesure, jouent bien. Mais l’expression ne se traduit pas de la même façon pour les deux collectifs. Pour l’équipe de Jurgen Klöpp, il s’agit d’évoluer à un rythme très élevé, se projeter rapidement vers l’avant, attaquer les seconds ballons avec agressivité et finaliser rapidement les actions. Pour celle de Laurent Blanc, cela signifie évoluer à un rythme moins intense afin de contrôler le ballon, se servir de toute la largeur du terrain pour bien étirer le bloc adverse et réunir une grande partie de l’équipe dans le camp adverse avant d’attaquer.

Le fond et la forme sont différents mais, en basant leur jeu sur les qualités et faiblesses de leur effectif, les deux techniciens se rapprochent de leur objectif final : gagner. En effet, ici, construire le jeu en fonction des joueurs est simplement le moyen le plus sûr et efficace d’atteindre la victoire. Et si une telle approche peut avoir des conséquences positives comme l’épanouissement et l’évolution de ceux qui sont sur le terrain ainsi que le divertissement de ceux dans les tribunes, celles-ci ne sont pas pour autant garanties. Pas plus que la victoire.

La seule chose à peu près sûre lorsqu’un technicien décide de créer un plan en fonction de ses joueurs, c’est qu’il augmente les chances de son équipe de bien jouer, de se rapprocher de son potentiel maximum. Le résultat au tableau d’affichage, la victoire, dépend de nombreux facteurs, bien plus difficiles à anticiper et pas toujours maîtrisables. C’est ce qui fait la complexité du football et la difficulté qui se cache derrière l’idée de bien jouer. Si l’objectif semble facile à cerner et à atteindre, il ne fera jamais tout.

Ryan Chase

10 commentaires

  1. Leith Laredj dit :

    idée trés bien developpée ça prouve toute la complexité du football

  2. Johnny B. Good dit :

    Très bonne réflexion sur ce qu’est le « bien jouer ». J’ai apprécié la différenciation entre jouer de manière agréable à voir et bien joueur. C’est une différenciation très pertinente.

    Néanmoins, je voudrais revenir sur cette phrase : « S’il est en effet possible de cerner une proposition durant les phases antérieures à la récupération (transition défensive ou défense positionnelle), ce n’est qu’a partir du moment ou le ballon est regagné (transition offensive) qu’il est possible d’identifier un projet de jeu. »

    Je pense que la comportement de l’équipe quand elle n’a pas la ballon fait partie du projet de jeu au même titre que les phases de possession. Par exemple, le Barcelone de Guardiola était caractérisé avant tout par un pressing hyper agressif, un pressing offensif pourrait-on dire. Il me paraît difficile de comprendre le projet de jeu guardiolesque en phase de possession sans intégrer dans l’analyse le comportement sans ballon. La volonté de possession de la balle passait justement par ce pressing durant les quatre premières secondes.

    La phase sans ballon n’est pas nécessairement une phase passive et est un élément central du projet de jeu. Circonscrire l’identification du jeu aux seules phases de possession est à mon sens une erreur.

    Sachez néanmoins que j’ai beaucoup apprécié votre article mais j’aimerais bien avoir quelques précisions de votre part sur ce point.

  3. Ryan Chase dit :

    @Johnny B. Good

    Fondamentalement, je suis d’accord avec le point mentionné. L’attitude d’une équipe sans le ballon fait parti du plan. D’ailleurs toutes les phases font parti du plan.
    Mais ce que je souhaite souligner avec la phrase que tu mentionnes, c’est que le jeu d’une équipe ne peut être identifier clairement que lorsque les joueurs ont les moyen (le ballon) de l’exprimer.

    Pour reprendre l’exemple du FC Barcelone que tu utilises, je vois les choses de cette manière:

    Durant la période Guardiola, lorsque le Barca perd le ballon, l’équipe applique la règle des 6 secondes. 6 secondes durant lesquelles les joueurs les plus proches essayent de manière agressive, de reprendre le contrôle du ballon. Cette attitude, bien qu’elle soit offensive dans l’esprit, correspond à la transition défensive: Le Barca souhaite vite récupérer le ballon pour éviter d’entrer en phase défensive. Par la suite Pep affirmera que c’est parce son équipe est « horrible » sans le ballon et qu’il ne veut pas voir de phases de défenses positionnelles.

    Maintenant, avec ces éléments, suis-je en mesure d’identifier le projet de jeu ? Pour ma part, je pense qu’il manque des informations.
    Je sais que le Barca souhaite vite regagner le ballon, mais pour autant que je sache, une attitude si agressive après la perte de balle peut amener différentes attitudes. On peut voir l’équipe se servir de la balle pour faire remonter le bloc et s’installer dans le camp adverse (Barça) comme on peut également voir des équipes chercher à se projeter instamment et chercher une finalisation rapide (ex: Borussia Dortmund).

    C’est pour cela que, comme je l’explique dans le texte, malgré les pistes que j’obtiens grâce au comportement de l’équipe sans ballon, ce n’est qu’au moment ou le ballon est regagné que je peux savoir avec exactitude ce qu’une équipe prétend.

    J’espère avoir bien répondu à ta question.

  4. sansai dit :

    Complètement en phase avec Johnny B. Goode, et toujours pas satisfait par le complément d’explication.

    J’identifie moi aussi le projet de jeu d’une équipe à la fois dans sa façon de récupérer le ballon et dans sa façon de l’utiliser.

    L’un et l’autre me semblent interdépendants (impossible de concevoir convenablement sa façon d’attaquer sans concevoir la perte du ballon et la façon dont on va le récupérer, et vice-versa), et l’article laisse presque à entendre que la récupération du ballon est un choix neutre qui dépend uniquement de l’adversaire.

    Il me semble au contraire que la façon dont on récupère le ballon est un marqueur très fort d’un projet de jeu, même si il n’est pas suffisant en soi, tout comme la façon dont une équipe utilise le ballon ne suffit pas à résumer son projet.
    Je ne partage pas l’idée que la façon d’utiliser le ballon est le marqueur principal de l’identité de jeu d’une équipe.

    Il y a des façons différentes de défendre, des choix de hauteur de récupération qui ne sont pas conditionnés seulement par l’adversaire et les joueurs dont on dispose.

    Il y a même là un clivage assez fort entre adeptes des duels et adeptes d’une récupération collective, qu’on peut déceler par exemple dans les propos de Gourcuff : pour lui, une équipe peut très bien « perdre » 3, 4 duels d’affilée qui vont permettre à un quatrième, cinquième partenaire de récupérer le ballon dans de bonnes dispositions.
    La doxa tend plutôt à compter les points des duels gagnés ou perdus et à en déduire quelle équipe domine, approche qui est largement contestée par Gourcuff.
    Il développe longuement la façon dont son équipe doit défendre. Il dit sa préférence pour le marquage de zone parce que « dans le marquage individuel, le joueur est dans une relation à son adversaire, et plus dans une relation à ses partenaires ».

    On observe le même schisme en phase défensive entre ceux qui décomptent les duels gagnés et perdus pour évaluer leur performance et ceux qui estiment qu’un duel perdu peut précisément préparer une récupération collective du ballon en participant à réduire les angles et le temps d’action, et à faciliter l’interception pour les partenaires ; qu’en phase offensive, entre ceux qui estiment que les actions offensives se gagnent avant tout par des « différences » à faire individuellement et des duels victorieux, et ceux qui estiment que c’est surtout par la passe, le mouvement et l’évitement qu’on arrive à ses fins.

    Pour le reste, excellent article dont je partage largement le fond. Et un twittos de plus dans ma liste.

    J’ajouterais que la pertinence d’un projet de jeu devrait aussi pouvoir se mesurer à l’environnement local (public, médias, direction, …).
    Le Deschamps ultra-pragmatique et court-termiste de l’OM et de son environnement extraordinairement compliqué n’est pas forcément celui de Monaco ou de l’équipe de France, par exemple.

  5. Ryan Chase dit :

    Je vois où tu veux en venir. Je n’ai pas développé l’importance des phases sans ballons dans le projet de jeu et cela méritait sans doute un traitement plus approfondi.
    Je te rejoins sur les premiers points que tu mentionnes. Idéalement, une équipe est construire de manière à défendre et récupérer le ballon dans des conditions qui lui permettent d’attaquer comme elle le souhaite. Le tout est lié et je peux préciser que je n’ai pas souhaité vulgariser les phases de transitions ou de défenses positionnelles.
    Néanmoins, j’accorde plus d’importance aux phases avec le ballon au moment d’identifier le jeu d’une équipe car j’estime que la réponse offerte durant ces phases est sans équivoque. Chose que je ne retrouve pas durant les phases sans ballon puis qu’à mon sens, elles laissent toujours plusieurs portes ouvertes.

  6. Johnny B. Good dit :

    @ Ryan Chase

    Tout d’abord, merci d’avoir pris la peine de me répondre. Néanmoins, j’avoue n’être que partiellement convaincu par votre réponse.

    Oui, effectivement, on ne peut pas juger le projet de jeu de l’équipe sans prendre en compte les intentions en phase de possession du ballon. Effectivement, un même projet défensif peut servir des aspirations offensives différentes. Mais on ne peut pas juger le projet de jeu QUE par ce prisme d’analyse.

    On ne doit pas exclure le travail de récupération qui, comme l’a bien dit Sansai, car il y a une interdépendance. Si l’on adapte le projet de jeu aux caractéristiques des joueurs à disposition, il faut également prendre en compte les joueurs défensifs.

    Je reviendrais ainsi sur votre conclusion : « ce n’est qu’au moment ou le ballon est regagné que je peux savoir avec exactitude ce qu’une équipe prétend. »
    ==> Oui, à condition de savoir aussi de quelle manière elle entend le récupérer.

    Restons sur l’exemple du Barcelone de Guardiola. Si l’on analyse la phase de possession,on pourra affirmer que le projet de jeu est d’avoir la possession, faire courir l’adversaire et faire tourner en attendant la faille (liste non exhaustive).
    L’analyse de la phase de récupération est nécessaire car elle permet premièrement de compléter l’analyse des moyens mis en place par l’entraîneur. Afin de conserver la ballon le plus possible, je dois en priver l’adversaire et le récupérer le plus rapidement possible.
    Mais l’analyse de la phase de récupération permet d’ajouter certains axes au projet de jeu comme la volonté d’asphyxier l’adversaire, ne lui laisser aucun répit, éviter le duel aérien, précipiter la relance adverse.

    En conclusion, le football est un sport qui se joue à deux équipes. Le projet de jeu ne doit pas se circonscrire à ce que l’équipe veut proposer mais doit aussi prendre en compte la manière dont l’équipe veut faire jouer son adversaire, comment elle veut le contrer.

    Ainsi, il me paraît impensable d’analyser un projet de jeu sans considérer la récupération comme un élément crucial, bien que je puisse considérer que l’on préfère privilégier l’analyse de la phase de possession

  7. Johnny B. Good dit :

    Je précise, concernant ma dernière réponse, que je n’avais pas remarqué le dernier commentaire de Ryan Chase lorsque je l’ai écrite

  8. Daniel dit :

    Je suis pas convaincu que ce soit si compliqué que ça à définir… le jeu c’est simplement l’alchimie qu’on arrive à créer (ou pas, bonjour la Ligue 1) entre des joueurs. C’est créer une complémentarité qui traduit un projet de jeu : possession de balle (Barça, PSG, Arsenal), contre-attaques (PSG 2012, Real de Mourinho), jeu rapide vers l’avant (Bayern, BVB),…
    Ne pas confondre le jeu et le projet de jeu je pense. Très peu d’entraîneurs ont à la base un projet, et encore moins réussissent à le traduire avec des joueurs, qu’ils soient bons ou moyens.
    Le jeu c’est l’expression, plus ou moins accomplie, du projet de base. C’est d’ailleurs ce qu’il manque à 90% des entraîneurs de L1, un projet de jeu. A moins que mettre des grands blacks en défense et en milieu défensif + des rebeus en attaque en soit un. Remarque, c’est bien le projet de jeu de l’Equipe de France…

  9. Football je t’aime… moi non plus. Le football : l’art ou la guerre ? | Savoir perdre dit :

    […] question a fait l’objet d’un article récent au sein des Dé-Managers sur le site des Cahiers du football. Jean-Claude Trotel lui aussi à son idée sur la question. Et il a des références […]

  10. JPSOCCER dit :

    J’ai lu les réponses de chacun, Merci de livrer vos connaissances et d’ouvrir le débat sur le jeu. Dans une séance on dit souvent « play » pour repartir le jeu. Donc c’est souvent en possession de balle, soit en construction ou création ! Effectivement parler du jeu et trouver le plan de jeu défensif d’une équipe est plus long ! En effet cela dépend de beaucoup de critères comme : le résultat du match, combien de temps reste-t-il au match. Est ce que l’équipe a décidé de défendre haut, médium ou bas ? Est ce qu’il fait très chaud, froid ? Est ce que l’adversaire est plus fort ? Le projet de jeu défensif peut varier d’un match à l’autre, d’une situation à l’autre selon différents paramètres. Suis je dans le champ en disant cela ?

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