En revenant de Madrid, Ricardo Kaka n’a sans doute pas reconnu les visages qui peuplent le vestiaire de l’AC Milan. Depuis son départ, les historiques d’Ancelotti ont tous disparu, à la retraite ou indésirables. Pourtant, l’arbre de Noël demeure. Contre l’Ajax mercredi soir, Max Allegri disposa son équipe en 4-3-2-1, jusqu’à ce que l’expulsion de Montolivo modifie ses plans.

À l’époque du grand Kaka, celui qui transformait Evra et Heinze en auto-tamponneuses, Ancelotti pouvait se permettre les paris les plus fous. De son arbre hivernal chéri, il déviait parfois, souvent vers un 4-3-1-2 qui faisait du Brésilien le responsable majeur, le décisionnaire, le héros ou le coupable. Kaka exhibait son déhanché entre les lignes, comme lors de la finale de la Ligue des Champions 2005. La première mi-temps fut sans doute la plus belle démonstration d’un système si risqué, aléatoire car il repose sur la performance du 10, celui que La Volpe juge trop imprévisible, quand Juan Roman Riquelme, à l’inverse, pense que le public se ruine pour admirer le ballet qu’exécute cet homme-là.

LE SYSTÈME DE LA PEUR

Le travail d’un coach consiste à déchirer ce papier qu’on agite à longueur de journée : « ils sont meilleurs sur le papier », « sur le papier, il n’y a pas photo », « il y a une différence sur le papier, mais sait-on jamais », et ainsi de suite. L’entraîneur de la meilleure somme de joueurs tente d’effacer ce « sait-on jamais », l’influence de l’incertitude. L’entraîneur de l’outsider espère lui gommer l’écart. C’est le but primaire de la tactique. Avant de « bien jouer » (concept encore à définir, s’il peut l’être), il s’agit de créer sa propre réalité. Oui, le Portugal était supérieur à la Grèce. La République Tchèque aussi. Mais leur réalité est devenue celle de l’adversaire : les Grecs n’ont peut-être pas mieux joué, mais ils ont mieux joué le coup.

Plus l’intelligence tactique se développe, plus elle tend vers la rationalité, la sécurité, l’absence de risques (sans qu’elle provoque forcément un excès de timidité offensive, l’absence de risques est une spécialité de Guardiola par exemple). Les conséquences économiques d’un échec poussent également dans cette direction. L’expérimentation est souvent réservée aux riches. L’hétérogénéité des compétitions nationales systématise les choix des techniciens les plus modestes. Objectif nul. On peut alors comprendre la réticence de la plupart des entraîneurs à adopter le 4-3-1-2 tant il mise sur la prestation de son 1. Les chiffres expriment sa solitude. Le 10 du 4-3-1-2 est un dictateur qu’on espère omnipotent. Dans le cas contraire, son régime est renversé, sans aucun sentimentalisme.

Gribouiller un 4-3-1-2 sur une feuille de papier suffit pour constater les failles inhérentes de ce système anachronique. Les couloirs semblent être désertés. En dehors des latéraux, aucun joueur n’a une position naturellement excentrée. Dans une optique sans ballon, le 4-3-1-2 est plutôt moderne. Il facilite le pressing haut avec trois joueurs qui peuvent saboter la première relance de l’adversaire, comme le Chili a pu le faire en amical contre l’Espagne il y a de cela quelques mois (les hommes de Sampaoli jouèrent dans une disposition différente mais avec ce fameux 1-2 devant, parfait pour isoler chaque relanceur ibérique). Si ce premier pressing devait échouer, un deuxième trio prend le relais, et peut effectuer des prises à deux ou à trois avec l’aide des latéraux. C’est avec le ballon que ce module demande à ses composants une conscience de l’espace extralucide. En gros, le 4-3-1-2 n’est pas fait pour les joueurs moyens, ce qui explique sa rareté, même au plus haut niveau. Seuls les tout meilleurs collectifs peuvent l’appliquer avec succès.

QU’UN SEUL NUMÉRO 10 DANS MA TEAM

Monaco vit ces dernières semaines au rythme de James Rodriguez. Le Colombien enchaîne les performances de maître. La blessure de Ferreira Carrasco a incité Ranieri à abandonner son 4-3-3 suite à l’inconfort de James sur un côté. Toulalan, Obbadi et Moutinho constituent toujours le triangle de bâtisseurs. Le 10 monégasque s’incorpore entre ces trois-là et deux attaquants de pointe, Rivière et Martial depuis l’indisponibilité de Falcao.

À Monaco, la création de la largeur est principalement l’oeuvre du duo d’attaquants. Avec Falcao, c’est Rivière qui en était chargé, ne mettant pas en valeur ses points forts. Depuis que l’avant-centre colombien a disparu, paradoxalement, Monaco a retrouvé sa splendeur du début de saison. Rivière se place dans l’axe, pendant que Martial entraîne latéraux et défenseurs centraux sur les côtés, avant de servir James dans ces fameux half-spaces. Le meneur a ainsi plusieurs solutions : la frappe, la recherche de Rivière, le renversement vers le latéral qui accoure de l’autre côté. Dans ce sens, le 4-3-1-2 joue énormément sur la densité des espaces : en surcharger un pour en ouvrir un autre, avec l’avantage de n’en annoncer aucun par ce qui est écrit sur ce maudit papier. Au départ dans l’axe, Martial occupe l’espace sur le côté, une tendance contraire à tous ces ailiers qui aiment repiquer vers le centre du terrain, ces déclinaisons de numéro 10 qu’on place sur les côtés pour plus de créativité et de contrôle.

Depuis l’intronisation du 4-3-1-2, James brille. Sa vitesse balle au pied, son accélération sur les premiers mètres, le caractère insaisissable de ses dribbles permettent aux transitions de Monaco de s’opérer. Que ce soit sur attaque placée ou en contre, la clairvoyance du joueur de 22 ans conduit le jeu rouge et blanc. Sa capacité à valider la prise d’espace de ses coéquipiers est remarquable, et s’accompagne d’une pertinence dans les décisions qui brise des murs pourtant solides.

LE PARI DE CLAUDIO

Si les mouvements de Monaco participent grandement à la réussite de sa nouvelle organisation, James Rodriguez et ses cinq passes décisives cette saison transcendent la formation de Ranieri. Avec 2,7 key passes par match, le numéro 10 de la Principauté est le joueur le plus inventif de l’équipe, devant Moutinho (2,3), et largement au-dessus des anciens titulaires, Ferreira Carrasco (1,3) et Ocampos (0,6). Dans ce classement européen (cinq grands championnats, chiffres WhoScored) des meilleurs « passeurs-clé », l’ancien joueur de Porto se place 13ème. Francesco Totti est premier avec 3,5 key passes par match et une avance considérable sur ses poursuivants (Ribéry est deuxième avec 3,1 tandis que Valbuena est 5ème avec un joli 2,9).

Le « crack » peut encore progresser face au but, et toucher plus souvent les filets adverses. Ses statistiques très prometteuses dans un championnat réputé fermé et difficile d’adaptation sont cependant porteuses d’un espoir immense. Surtout, elle justifie la mise en place d’un module qu’on pensait daté mais qui nous manquait. Tant que James offrira autant d’opportunités à ses attaquants, Monaco continuera à ressusciter le 4-3-1-2.

Raphaël Cosmidis

15 commentaires

  1. Lami dit :

    Analyse très intéressante que celle de ce système qui fait porter une bonne partie de la responsabilité du succès sur un seul joueur. Les stars d’aujourd’hui (Ronaldo Messi, etc.) n’ont pas une telle responsabilité (ce qui ne veut pas dire qu’elles n’ont pas d’influence), ce qui explique peut-être qu’elles n’aient pas encore atteint la dimension d’illustres aînés comme Zidane, Platini, Maradona, Pelé qui, partout où ils sont passés, ont porté leurs équipes. On peut penser, dans une certaine mesure, que ce système qui fait la part belle au meneur demande moins d’automatismes offensifs à l’équipe, ce qui expliquerait peut-être pourquoi les grands 10 à l’ancienne avaient autant de poids sur le jeu de leurs clubs que sur celui de leurs sélections nationales.

  2. julián basañez dit :

    Surtout ce systeme permt une plus grande maitrise lors des phases avec ballons, il faudrait verifier mais je suis sur que depuis nantes on a un plus grande possession du ballon. En phase sans ballons, le trio toulalan, abidal carvalho est infranchissable, toutlalan travaille a combler les failles dans toute la largeur du terrain. On a meme vu parfois carvalho montter balle au pied pour apporter le surnombre lors de phase avec ballons, lorsque l’adversaire est recroquevillé sur ses trentes dernieres metres. Cette formation n’offre selon moi que des avantages a ce monaco. Il faudra voir par la suite quand ferreira-carrasco reviendra comment on s’adaptera, je ne pense pas que Ranieri rechange de systeme, ocampos est rentré plusieurs fois a la place de Martial, cependant je ne vois pas ferreira-carrasco faire de meme… Des idées ?

  3. Rhoth dit :

    Pas vraiment, c’est plutôt le contraire.
    En meme temps, ce serait logique de l’avoir moins et jouer un peu plus le contre avec ce systeme(d’ailleurs ce que faisait le PSG en sapin…).

  4. Jipé dit :

    Très intéressant cet article, sur un système de moins en moins en vu, car c’est un pari très risqué. On loue James sur ses dernières prestations, mais je me souviens de la 1ère mi-temps à Nantes où il avait été exécrable ; l’équipe n’arrivait alors à rien. En 2ème ça allait beaucoup mieux, il se projetait plus facilement vers l’avant, balle au pied, et au final on gagne.
    Falcao est tout à fait intégrable à ce système, il prendrait la place de Rivière. Martial pourrait rester titulaire vu ses très bonnes prestations ; dans le rôle du « tueur », Falcao offre beaucoup plus de garanties que Rivière.
    Quant à Ferreira-Carrasco, il pourrait toujours entrer en fin de match, le système basculant alors vers un 4-3-3 avec le même milieu Mouti-Obbadi-Toul, YFC à gauche et James à droite. La vitesse du belge « achèverait » la défense adverse. Pareil pour Ocampos qui peut également jouer dans l’axe, même s’il est trop brouillon pour le moment pour vraiment exister.

    Quoiqu’il en soit, Ranieri a su corriger deux problèmes majeurs en passant en 4-3-1-2 : le trop grand nombre d’occasions (surtout, de coups de pieds arrêtés, notre faiblesse) concédées, et la faiblesse du jeu offensif qui reposait uniquement sur les ailes, avec 4 jeunes joueurs encore brouillons (YFC-Ocampos-Kurzawa-Fabinho) qui peinaient à faire la différence.
    Après les limites du 4-3-1-2 vont rapidement apparaître : déjà, contre Ajaccio où on a énormément de mal à créer une faille contre un bloc très bas. Ensuite, il suffit que James ne soit pas dans son match pour que tout s’écroule, ou presque. Comme le dit l’auteur, c’est un pari risqué.

  5. gaze24 dit :

    Pas forcément besoin d’un 10 très fort pour évoluer en 4-3-1-2 : Lille par exemple qui met Rodelin (??!!??) à ce poste. Et ça leur réussit plutôt bien; il faut toutefois remarquer que pour eux le plus important est la qualité de l’organisation défensive qui encaisse très peu de but. Et les récupérateurs (Mavuba-Balmont-Gueye) sont le point fort de leur effectif (forts dans la récupération + qualité de passe + projection vers l’avant).

  6. Simon M dit :

    c’est assez excitant de constater qu’avec Ribery et Valbuena dans le 11 de départ de l’EdF on aurait les 2eme et 5eme passeurs clés en Europe… avec du Pogba et du Cabaye en plus, qui ne sont pas des handicapés de la passe, ça a plutôt fière allure (il nous manque plus qu’un patator, Giroud, que j’adore, faisant l’affaire mais n’étant qd même pas fuoriclasse)

  7. Raphael Cosmidis dit :

    Merci pour ces commentaires qui élargissent le sujet. Toujours intéressant.

    @julian ramener Carrasco et/ou Ocampos dans l’équipe implique forcément d’enlever un attaquant si le but est de garder James dans l’axe. Soit dans un 4-3-2(Carrasco/Ocampos – Rodriguez)-1 qui enlèverait des responsabilités à James, soit dans un 4-2-3-1 qui force Ranieri à briser son triangle au milieu.

    Éventuellement, Ranieri peut utiliser un 4-2-2-2 très axial s’il veut conserver James (exemple le Man City de Mancini avec Silva et Nasri derrière un duo de 9), deux attaquants de pointe et aligner soit Carrasco soit Ocampos. Mais encore une fois, le triangle central disparaît.

    @Jipé tout à fait d’accord sur la complémentarité des attaquants. Falcao pourrait prendre la place de Rivière sans que le système soit perturbé. J’ai pas trop compris le mystère Falcao, mais s’il reste cette saison, à terme je ferais plutôt campagne pour Martial – Falcao devant que pour Rivière – Falcao.

    @gaze24 ok mais quel rôle joue Rodelin dans le 4-3-1-2 ? Est-ce qu’il est vraiment dans l’axe, entre les lignes, dans cette fameuse zone 14, ou est-ce qu’il joue en réalité le rôle d’un 3ème attaquant ? Je demande parce que j’ai peu vu Lille cette saison.

  8. Vicente dit :

    La comparaison entre le discours de La Volpe et celui de Riquelme, illustre bien la différence entre deux belles conceptions du football. Jouer pour la beauté de la création ou jouer pour la parfaite maîtrise de la partition.
    Savoir s’il est possible de lier les deux est une question qui me trotte souvent dans la tête.

    Mais je ne suis pas trop d’accord pour dire que ce système là repose plus sur le numéro 10 qu’un autre (le 4-2-3-1 par exemple).
    Le 4-3-1-2 est effectivement un système où certains espaces du terrain paraissent inoccupées. Il est en effet question d' »en surcharger un pour en ouvrir un autre ». En l’occurence on surcharge l’axe et on libère les côtés qui peuvent être investis par les 2 latéraux, les milieux excentrés et les 2 attaquants. En ce sens il impose a presque tous les joueurs de sortir de leur rôle de base, de se déplacer entre les lignes et donc de ne pas faire uniquement « ce qui est écrit sur ce maudit papier ». Tout le monde est impliqué dans la construction offensive car s’il n’y a pas de mouvements, le jeu risque de se figer.
    Le 4-3-1-2 permet selon moi, plus qu’un autre système, de répartir entre tous les joueurs, la responsabilité qui incombe généralement au numéro 10.

  9. Reale dit :

    Le « 4-4-2 losange » avec lequel joue l’OL depuis quelques mois peut-il être considéré comme un 4-3-1-2 ?

    Le match de ce soir contre Marseille laisse supposer que oui, l’équipe ayant affiché un visage avec Gourcuff et sans. Sa bonne prestation peut expliquer pourquoi Lyon a si bien tourné jusqu’à sa sortie (il me semble).

    Et Vincente, selon moi le jour où le Barça jouera en 4-3-1-2 (avec donc Messi qui descendra d’un cran sur le tableau noir et les deux ailiers recentrés), « la beauté de la création » et « la parfaite maîtrise de la partition » seront liés. Deux conceptions différentes du football, mais pas incompatibles.

  10. Beuss dit :

    Article super intéressant… As usual.

    Il parait évident que les talents du 10 facondent toute l’animation offensive dans ce système.
    Néanmoins, je pense que ce qui en fait la réussite est plutôt le 3 derrière le 1.
    James a plus de libertés et de facilités car le trio Moutinho-Toulalan-Obbadi lui nettoie les ballons.
    Toul’ s’occupe de la couverture du terrain et de réequilibrer les lignes selon les montées de ses latéraux. Moutinho et Obbadi sont les premières rampes de lancements par leurs capacités à éliminer sur une passe ou un contrôle, mais aussi à récupérer dans les pieds.
    Monaco peut récupérer le ballon plus haut de la sorte et du coup il y a plus de place pour James.

  11. Gaston Leroux dit :

    « Quand Fantomas apparait, tout les apaches se mettent à son service » Bien sur c’est de l’imaginaire. Néanmoins, la notion de jouer ensemble peut se passer de dix mais dans ce cas, cela recquiert un collectif. A mon sens, le 4312 est vachement cool mais pose plusieurs soucis. Le premier, c’est que quand le bloc est très bas, si les « 3 » n’arrivent pas à peser offensivement (en l’occurence en l1, Mountinho, Mavuba et Verratti sont dans un milieu à 3 mais sont capables de key-passes) alors l’équipe devient vite stérile. C’est là aussi que Falcao peut faire la différence, en marquant sur des demis occasions. L’importance des latéraux (et ceux de Monaco sont une excellente surprise pour ma part) est aussi plus forte dans ce systeme que dans un autre, pour étirer le bloc et créer des occasions.

  12. ***FM 14 TACTICAL THREAD***********************JASSAR******* - Page 535 dit :

    […] Message Reserve 1 Minute Ago #5348 The Monaco irl tactics: Les D?-Managers : pour parler tactique, pas pour meubler. » Blog Archive » 4-3-1-2, ?QUILIBRE INST… Reply With Quote + Reply to […]

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