En 1797, dans Essai historique, politique et moral sur les révolutions anciennes et modernes, considérées dans leurs rapports avec la Révolution française, Chateaubriand la définissait comme le « passage d’un état des choses à un autre », tandis que le latin « transire » signifie, plus poétiquement, « passer de l’autre côté ». Adaptée au football, la « transition » relève d’un fait plus concret, plus visuel. L’observer, c’est se rendre compte de son essentialité et de son importance grandissante comme conséquence de la toute-puissance du pressing. Auparavant instant de liberté (voir un joueur remonter librement le ballon est fascinant lorsqu’on regarde un match d’il y a quelques décennies), la transition est devenue un temps de combat.

COUPER LE FOOT EN DEUX

Développer l’idée de transition sur un terrain de football nous oblige à couper le football, en tant que jeu, en séquences. Il n’y a, après tout, que deux phases pour une équipe, propres à ces nombreux sports collectifs où il n’existe qu’un espace adverse (panier, but) où placer un objet donné (palet, balle). Le phase avec ballon ou phase en possession, et la phase sans ballon ou phase sans possession, parfois étant appelées, à tort (même ici), « phase offensive » et « phase défensive ». Lorsqu’un avant-centre lance le premier pressing de son équipe, il attaque autant qu’il défend. De même, lorsqu’un milieu défensif se concentre sur son placement pendant que des coéquipiers plus avancés combinent, il défend autant qu’il attaque.

Au football, soit on est en possession du ballon, soit on ne l’est pas. La transition entre alors en ligne de compte comme le moment intermédiaire entre deux zones (temporelles) de confort, chacune respective à la phase avec ballon et la phase sans ballon. La transition existe ainsi dans les deux sens. Lorsque l’équipe A perd le ballon, elle opère une transition dans un sens, pendant que l’équipe B, qui vient de le récupérer, opère une transition dans l’autre sens. Deux types donc : la transition vers une phase sans ballon et la transition vers une phase avec ballon, avec pour but de les effectuer aussi rapidement que possible, pour éviter d’être dépassé par l’adversaire dans le premier cas et pour le dépasser dans le second. On définira alors la transition comme « le passage d’un état des choses parfait pour ne pas encaisser de but à un état des choses parfait pour marquer un but, et inversement. »

RESPECTER LES TRANSITIONS

Pour prendre un exemple extrême, Pep Guardiola jugeait son Barça trop faible lors de la phase sans ballon et des transitions vers cette phase. Étirer les phases avec ballon était un moyen de limiter les phases sans ballon (pertinent dans un sport joué au temps). Ne tenter des passes dangereuses qu’une fois proche des cages adverses, grâce à un placement haut, était aussi une façon de repousser les transitions vers une phase sans ballon loin de Victor Valdés. Un système adopté pour convenir aux faiblesses de sa philosophie : les joueurs qui lui convenaient possédaient les mêmes lacunes. Un trio défensif Puyol – Piqué – Busquets risquera toujours d’être battu en vitesse. Dans le même but, le pressing ultra-rapide empêchait l’adversaire de réussir sa transition et le condamnait à balancer loin en espérant une prouesse de ses attaquants. Au fond, le Barça oubliait la transition traditionnelle vers une phase sans ballon, le replacement, y préférant une agression immédiate du porteur.

Guardiola, auquel on peut joindre Arsène Wenger, Laurent Blanc ou Rudi Garcia aujourd’hui comme partisans philosophiques de la phase avec ballon, fait partie de cette première catégorie dans ce quasi-manichéisme qui caractérise le football aujourd’hui. Les équipes privilégiant la phase en possession ont tendance à être appréciées, parce que l’idée de beau jeu résonne, les autres sont souvent méprisées. Mourinho était régulièrement critiqué lors de son passage au Real pour son choix de contre-attaquer le Barça malgré l’effectif à sa disposition (oubliant au passage la qualité tout à fait esthétique de nombreuses transitions conclues par Cristiano Ronaldo), là où on aurait pu voir une forme d’humilité et de réalisme à abandonner la possession après la manita, surtout venant d’un coach dont l’arrogance et l’ego sont souvent dénoncés.

APPROFONDIR LA CONTRE-ATTAQUE

Comme nuance à ce monde binaire est apparu Jürgen Klopp, accompagné de son Borussia Dortmund vice-champion d’Europe. L’entraîneur allemand parie lui sur la transition vers la phase avec ballon, grâce à un pressing haut et intense (gegenpressing), pas sur la phase avec ballon elle-même. C’est durant cette transition que Dortmund double ses adversaires, durant ces quelques secondes où on cherche le répit que l’Olympique de Marseille a perdu le fil plusieurs fois lors de son déplacement au Westfalenstadion. Dans une interview donnée au Guardian, Klopp s’épanche sur son amour pour le club jaune et noir, et démontre son génie dans une comparaison entre foot et musique : « [Arsène Wenger] aime avoir la balle, jouer au football, faire des passes… c’est comme un orchestre. Mais le morceau est silencieux, hein? [il mime un joueur de violon] Moi j’aime le heavy metal. » Klopp compare, joliment, deux styles de football sans les hiérarchiser objectivement. Il livre sa préférence sans la décréter supérieure, laissant un débat finalement inintéressant aux journalistes et éditorialistes du foot.

Crédits : Jürgen Jung.

Le Borussia Dortmund est sans doute le meilleur contre-attaquant actuellement, grâce au comportement de ses joueurs sans ballon lors de la transition, tous engagés dans un mouvement hyper-vertical. Par son recrutement, d’ailleurs, le club continue son chemin vers un football de flèches. Mkhitaryan, moins meneur que Götze mais plus vite porté vers l’avant, et Aubameyang ont complété un secteur offensif qui déborde de techniciens sprinteurs. À la récupération du ballon, c’est une ligne horizontale de marsupiaux qui déboulent derrière Lewandowski, lancés par Sahin ou Gündogan, jusqu’à ce que le gardien adverse voit sa surface plus fournie en Borussens qu’en coéquipiers, résultat d’une transition vers une phase avec ballon plus rapide que n’importe qui, et surtout plus rapide que celles vers une phase sans ballon des adversaires. Le passage d’une zone de confort à l’autre – particulièrement du confort sans ballon au confort avec – est la spécialité de Dortmund, la spécificité sur laquelle repose son succès. Comme l’écrit le très bon @counterpressing sur Twitter : « pas de place pour la paresse contre Dortmund lors des transitions défensives (ndlr : les transitions vers une phase sans ballon). »

SANS TRANSITION

De la sorte, l’opposition, mardi dernier, entre Dortmund et Arsenal, Klopp et Wenger, s’annonçait intrigante. Au match aller, Arsenal avait terminé avec une possession dépassant les 57%, faisant autant de passes en première période qu’en seconde, et au final 150 de plus que Dortmund. Les Londoniens furent battus 2-1, malgré 9 tirs contre 8. La qualité des tirs, en réalité, penchait du côté de Dortmund, avec 3 cadrés contre 1 pour les joueurs de Wenger. Au match retour, la première mi-temps se déroula dans la continuité, et Arsenal souffrait, comme à l’aller. 249 passes en première période, 156 pour Dortmund. Aucun tir pour les Gunners. La statistique s’inversa en seconde période. Arsenal se mit à faire moins de passes, à se placer plus bas, quasiment à laisser le ballon à Dortmund comme on lance un défi. Le but marqué par Ramsey à la 61ème força Dortmund à accepter ce challenge. Arsenal se replia, satisfait par un état des choses qui s’accordait parfaitement à leur plan. Mené, Dortmund « se retrouva » avec le ballon face à un bloc dont seul Giroud et Özil se détachaient.

Plongé dans d’interminables phases avec ballon, Dortmund ne pouvait plus compter sur sa transition vers une phase avec ballon. Arsenal le rendait directement, loin, n’opérant plus de transitions, évitant autant que possible les phases avec ballon, celles auxquelles Dortmund met fin avant de devancer l’adversaire. Arsenal concéda quelques situations, mais pas celles favorisées par le Borussia. En demandant à Klopp et ses joueurs de faire la différence lors de la phase en possession, sur ce qu’on appelle « attaque placée », Wenger a supprimé leur zone de confort chérie. Si le but de son équipe fut quelque peu heureux, Wenger a su faire perdurer son avantage pendant une demi-heure en mettant de côté, à bon escient, ses principes (une des qualités nécessaires à un tacticien en cours de match).

L’affrontement entre Klopp et Wenger offre un bel exemple de duel tactique concentré sur la transition. Selon les entraîneurs, et les oppositions, elle prendra une place plus ou moins majeure, parfois dans un sens particulier. Mais depuis qu’Arrigo Sacchi a rendu le pressing incontournable, ce moment intermédiaire, cette « entre-phase » ne peut plus être négligée, et appelle à être étudiée. Afin d’évaluer la performance des équipes lors de leurs transitions, mesurer le temps moyen entre la récupération/perte de balle et le tir tenté/concédé pourrait être envisagé. Les coachs sauront alors quels passages d’un état des choses à un autre leurs formations doivent perfectionner.

Raphaël Cosmidis

12 commentaires

  1. blogdemoi dit :

    […] (“D’une phase à l’autre, le football et ses transitions“, Raphaël Cosmidis, Les dé-managers) […]

  2. jAX dit :

    Excellent article que ce soit dans la définition, les exemples ou la proposition finale.

    Finalement il faudrait être capable de maîtriser le plus de transitions pour répondre à tous les défis tactiques. Pour reprendre l’exemple du Barça, la difficulté qu’avait l’équipe a opéré en contre (ou attaque rapide) et donc à allonger le temps de transition par de longues phases de possession était un gros problème. Avec Martino les transitions sont beaucoup plus rapides et le succès face au Betis en témoigne (acculés et presque privés de ballon, les catalans ont marqué 2 buts en 2 minutes sur deux situations où il n’y a pas plus de 3 passes). Le bloc restait bas.

    Etre capable réduire ou allonger les phases de transition (d’un état sans ballon à avec ballon) est un forcément avantage.
    « À l’inverse », les transitions défensives apparaissent comme vraiment problématique (notamment pour les équipes qui pressent), passer du pressing au repli sur ses 30 mètres est souvent difficile à gérer.

  3. zeze dit :

    La morale(pas très morale?) :
    match entre 5 défenseurs contre 5 attaquants : les défenseurs gagnent !! (vérifié à 95% dans les entraînements)
    C’est donc la transition qui diffère mais n’est-ce pas aussi une question d’âge et de maturité tactique ?

  4. Lisieux dans les bleus dit :

    L’important serait-donc, quel que soit le style de jeu choisi, de réduire au maximum le délai de transition ?
    Pour revenir à l’équipe de France, j’ai souvent reproché à cette équipe de ne pas savoir justement aller plus vite dès la récupération du ballon. Le réservoir de joueur français ne permet pas de jouer la possession type barça (la faute à la « formation à la française » ?), et les attaques « placées » ont souvent été désespérantes par leur prévisibilité, le manque de vitesse, de mouvement…
    D’où à mon sens les difficultés à se sortir de matchs où l’adversaire abandonne volontairement la possession à l’EdF en exploitant sa faiblesse justement lors de sa transition vers la phase défensive. Et en plus, un certain flou sur l’après transition : pressing haut ? replacement bas rapide ?
    L’EdF pourrait paraitre ainsi mieux armée contre les équipes qui font le jeu, sans pour autant mettre suffisamment « d’agressivité » pour assurer la transition vers l’avant façon Dortmund… Et ce, quelque soit le sélectionneur (raydo, blanc ou DD)…
    Pour le Brésil du coup, ne faudrait-il pas, compte tenu de la qualité de nos joueurs, adopter un style Klopp en améliorant sensiblement notre transition vers les phases offensives ?

  5. C. Moa dit :

    J’ai oublié de vous signaler que j’ai pensé à vous pendant France – Ukraine, lorsque Wenger a dit « Ils sont très bons dans les phases de transition défensive ».

    Vous croyez qu’il lit (ou écrit) les Dé-managers ? 🙂

  6. Sampaoli, à l’attaque comme à la guerre « Passe En Retrait dit :

    […] si un joueur adverse parvient à s’extraire du marquage lors d’une immédiate phase de transition défense-attaque de Quito. Typiquement, si la U parvient à obliger les Équatoriens à jouer […]

  7. Gerry Linnertz dit :

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  8. Mauricio Olofson dit :

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  10. Ronel Dixit dit :

    Mon argumentaire par rapport au vôtre selon lequel la phase-avec-ballon ne doit pas être appelée « phase offensive » et la phase-sans-ballon ne doit pas être appelée « phase défensive »:

    Bien que tous les joueurs peuvent attaquer et défendre dans la phase-avec-ballon, il n’est possible pour mon équipe de réaliser l’objectif ultime de l’offensivité (soit tout ce qui est attaquer) par un de mes joueurs que dans sa phase-avec-ballon, soit marquer. Ainsi, la phase-avec-ballon d’une équipe a plus de relation avec l’offensivité que sa phase-sans-ballon en a avec cette dernière et peut donc tout à fait être appelée « (sa) phase offensive ».

    Bien que tous les joueurs peuvent défendre et attaquer dans la phase-sans-ballon, il n’est possible pour mon équipe de réaliser l’objectif ultime de la défensivité (soit tout ce qui est défendre) par un de mes joueurs que dans sa phase-sans-ballon, soit récupérer le ballon à l’adversaire. Ainsi, la phase-sans-ballon d’une équipe a plus de relation avec la défensivité que sa phase-avec-ballon en a avec cette dernière et peut donc être tout à fait appelée « (sa) phase défensive ».

  11. Ronel Dixit dit :

    Mon argumentaire par rapport au vôtre selon lequel la phase-avec-ballon ne doit pas être appelée “phase offensive” et la phase-sans-ballon ne doit pas être appelée “phase défensive”:

    Bien que tous les joueurs peuvent attaquer et défendre dans la phase-avec-ballon, il n’est possible pour mon équipe de réaliser l’objectif ultime de l’offensivité (soit tout ce qui est attaquer) que dans sa phase-avec-ballon, soit marquer. Ainsi, la phase-avec-ballon d’une équipe a plus de relation avec l’offensivité que sa phase-sans-ballon en a avec cette dernière et peut donc tout à fait être appelée “(sa) phase offensive”.

    Bien que tous les joueurs peuvent défendre et attaquer dans la phase-sans-ballon, il n’est possible pour mon équipe de réaliser l’objectif ultime de la défensivité (soit tout ce qui est défendre) que dans sa phase-sans-ballon, soit récupérer le ballon à l’adversaire. Ainsi, la phase-sans-ballon d’une équipe a plus de relation avec la défensivité que sa phase-avec-ballon en a avec cette dernière et peut donc tout à fait être appelée “(sa) phase défensive”.

  12. Ronel Dixit dit :

    Mon argumentaire par rapport au vôtre selon lequel la phase-avec-ballon ne doit pas être appelée “phase offensive” et la phase-sans-ballon ne doit pas être appelée “phase défensive” :

    Bien que tous les joueurs peuvent attaquer et défendre dans la phase-avec-ballon, il n’est possible pour mon équipe de réaliser l’objectif de l’offensivité (soit tout ce qui est attaquer) que dans sa phase-avec-ballon, soit marquer. Ainsi, la phase-avec-ballon d’une équipe a plus de relation avec l’offensivité que sa phase-sans-ballon en a avec cette dernière et peut donc tout à fait être appelée “(sa) phase offensive”.

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