Les quatre formations présentes en finale européenne cette saison présentent un point commun finalement assez banal : elles évoluent avec un seul attaquant de pointe. Mais, là où Cardozo et Torres attendent le plus souvent les ballons dans la surface, ce qui n’est pas forcément une mauvaise idée quand vous avez Gaitan ou Mata pour vous les amener, Lewandowski et Mandzukic courent beaucoup, au détriment parfois de leur efficacité. Une faculté pourtant très utile pour l’équilibre de leur équipe, que ces buteurs costauds mais modernes, ouvriers du collectif, tirent vers le haut.

COURBE DE FATIGUE

Multiplier les efforts fait perdre de la lucidité. C’est un fait, qui ne mérite pas de nuances, et peut facilement se constater au quotidien. Faites un 10 km à fond et comparez l’état de votre vision dans le sprint final par rapport aux premiers mètres. Convaincus ? Parfait. Avec ses efforts intenses mais non continus, le football permet certes de regagner de la fraîcheur en plein match, plus ou moins selon les postes, mais toute l’énergie dépensée ne sera pas récupérée. Et la lucidité, conservée si un joueur se contente d’un rythme de footing, baissera nettement après un sprint violent. Il faut alors gérer au mieux, faire le travail qui servira au collectif sans pour autant griller toutes ses chances d’apporter une plus-value individuelle.

C’est d’autant plus vrai s’agissant d’un joueur offensif, dont on attend une différence. Dans le football moderne, l’explosivité vient des ailiers et les numéros 9, certes protéiformes (pivots, faux 9, renards des surfaces, attaquants complets), restent ceux qui doivent marquer. Ou, s’ils ne le font pas, au moins doivent-ils le faire croire à la défense. Pendant que celle-ci sera focalisée sur eux, d’autres joueurs profiteront des espaces. On ne demande pas aux buteurs d’être des faiseurs de différence mais bien de profiter des brèches faites par les autres. Il leur faut donc placement, sens de l’anticipation et de finition, des qualités d’instinct pas vraiment compatibles avec un effort violent. Et pourtant.

UN SUPPÔT ET OLIC

A l’époque, la déclaration de Jean-Michel Aulas avait fait grand bruit.

« Bravo, il a été supérieur, il court plus vite et plus longtemps que tout le monde. Il a dû avoir tout ce qu’il faut pour être le joueur merveilleux qui hier nous a éliminés presqu’à lui tout seul. »

Ivica Olic, sorte de Mandzukic avant l’heure, avait étonné l’Europe et Lyon un soir d’avril 2010 en marquant trois buts lors de la demi-finale retour de Ligue des Champions. La frustration du président lyonnais n’était alors pas tant d’avoir pris trois buts que d’avoir dû affronter un joueur mort de faim, capable de courir toute la rencontre sans perdre sa capacité à conclure. D’habitude, sous-entendait-il, c’est soit l’un, soit l’autre.

Car c’est bien là la clé du problème : avoir un attaquant travailleur est une chose, mais si sa seule utilité est de courir vite et longtemps, autant acheter Kenenisa Bekele. Non, Ivica Olic, et sans tomber dans les digressions et suppositions autour du sulfureux médecin du Bayern, avait réalisé le match parfait. Courir pour empêcher Lyon de progresser et parfois proposer des solutions dans la profondeur, retrouver un rôle plus statique et subtil au moment de marquer. Ne pas être numéro 9 durant la majorité du match et endosser à nouveau ce rôle quand l’équipe n’a pas besoin de vous dans le jeu. Passer de 11 à 10+1, celui qui fera la différence.

INTELLIGENCE TACTIQUE

Une erreur trop souvent faite par le grand public est de considérer que seule la capacité à courir, à exercer un intense pressing pourrait-on dire, caractérise l’attaquant travailleur. Le réduire à un simple Brandao, combatif mais limité. Déjà, c’est oublier un peu vite qu’on ne presse pas tout seul, sauf à aimer se fatiguer dans le vide. En réalité, et les deux exemples germaniques qui nous intéressent ne sont évidemment pas les seuls, le travail se fait surtout vers l’arrière, pour couper les lignes de passes de l’adversaire et apporter du soutien à ses milieux, quand dans le même temps les ailiers aideront les latéraux.

Etre travailleur, c’est savoir quand travailler, combler les trous derrière soi. Par logique, au plus l’adversaire aura de difficultés à passer le milieu de terrain, au plus on aura de chances d’être en position favorable. En se retirant ainsi des chances d’être lucide, et donc de marquer, on en donne à ses partenaires. A condition évidemment de faire les bons efforts de repli, ceux dont l’équipe à besoin.

MANDZUKIC EST NET

Le premier des deux attaquants est l’un des plus beaux représentants de cette caste de joueurs inépuisables et sans revendications sur le terrain. Le talent offensif de Mario Mandzukic lui permet d’être crédible au niveau européen, mais c’est sa capacité à faire briller le collectif qui lui offre une place de titulaire aux dépens de Mario Gomez, pourtant apte à faire ce travail à contre-nature (comme il l’a prouvé à l’aller contre Barcelone). Lors du retour, Mandzukic s’est positionné entre Bartra et Song, a bloqué la relance catalane en formant une ligne avec Müller et a profité de sa taille pour gagner, depuis son camp, les duels aériens sur les phases arrêtées. Sans parler de ses incroyables courses de repli devenues habituelles et d’une vraie volonté défensive : tacles, interceptions, pressing…

Troisième buteur en Bundesliga, un championnat où sa participation défensive est forcément moins nécessaire vu la maîtrise de son équipe, il ne marque presque pas en Ligue des Champions. Son point fort, le jeu aérien, lui permet de peser sur les phases arrêtées, sans pour autant qu’il y affirme une véritable domination. Ses deux buts, eux, viennent de cafouillages. Impossible pourtant de s’en priver au coup d’envoi tant que Ribéry, Robben et Müller seront aussi efficaces offensivement. Et si jamais il faut absolument marquer, l’entrée d’un Gomez frais pourrait facilement faire l’affaire.

LEWANDOWSKI DE FOND

Le cas de Robert Lewandowski est légèrement différent. Là où Mandzukic se replie surtout défensivement, le Polonais participe au jeu, ne fait pas autant de courses, mais se positionne entre les lignes pour bloquer la relance adverse. D’où une fatigue moindre qui, combinée à ses talents de buteur, lui permet d’empiler les buts. Pas beaucoup plus que son prédécesseur Lucas Barrios, qu’il a délogé l’an dernier, mais avec un apport au collectif tout autre.

Comme Mandzukic avec Müller, Lewandowski gène la relance adverse aux côtés de Götze. Cela a été particulièrement visible au match aller contre Madrid, où Xabi Alonso n’a jamais pu contrôler le tempo de la partie. Imposant physiquement, capable de défendre sans trop s’user et de se projeter rapidement vers l’avant, il évolue en second rideau et fait l’essentiel de ses courses vers l’avant, une faculté essentielle pour une équipe de Dortmund qui a une très faible possession de balle en Ligue des Champions.

Travailleur valeureux mais parfois laborieux d’un côté, plus méthodique de l’autre, les deux hommes n’ont pas le même poids. L’un sert à faire briller le collectif, l’autre doit en faire partie et le sublimer. Mais, dans quinze jours à Wembley, les deux pourraient rappeler que dans buteur travailleur, il y a aussi buteur.

Christophe Kuchly

13 commentaires

  1. Stéphane dit :

    Pas vraiment d’accord pour Torres dans l’introduction mais bon article.

  2. Imay Diamant dit :

    Bonjour, merci pour cet excellent article.
    J’ai l’impression que ce profil n’a l’impact voulu que si les ailiers sont des créateurs, et si ces mêmes ailiers et le meneur participent activement au repli défensif et a la projection vers l’avant. En quelque sorte que le bloc attaque soit très solidaire.

    Penses-tu que c’est une condition nécessaire ? Un tel profil aurait-il sa place dans d’autres championnats ?

  3. George T. Newman dit :

    Encore un très bon article. Notamment sur Mandzukic, joueur discret dont on parle peu, et qui mérite pourtant amplement d’être là où il est aujourd’hui: l’attaquant d’une des meilleures équipes du circuit.

  4. Christophe Kuchly dit :

    Imay : Il faut vraiment que ça bouge, sans quoi tu te retrouves sans personne en attaque. Du rythme, des ailiers qui peuvent prendre la profondeur, un meneur polyvalent… En L1 ça me semble impossible par exemple, ou alors un peu faute de mieux (Brandao en pointe et PEA sur l’aile). Tandis que là c’est une vraie réflexion, un truc qui met des excellents buteurs sur le banc.

    C’est une stratégie plutôt adaptée à des championnats au jeu rapide (Angleterre, Allemagne donc), avec des équipes qui aiment jouer au sol, ce qui élimine des équipes anglaises de la réflexion. Globalement, c’est quand même plus facile quand tu joues avec Reus ou Müller, des joueurs qui peuvent être meneurs reculés, avancés, ailiers ou attaquants. C’est tout simple mais utile à garder en tête : pour jouer avec la tactique et les systèmes de jeu, il faut des joueurs polyvalents.

  5. Loulou dit :

    Très bon article. T’as mis l’accent sur les futurs protagonistes de la finale, je comprends bien, mais qu’est-ce que tu penses de Cavani? N’est-il pas le meilleur exemple de buteur travailleur?

  6. Charlot dit :

    Finalement, toutes ces innovations tactiques sont permises par des joueurs toujours plus polyvalents et physiques.
    Bref, comme dit l’autre: « Il a dû avoir tout ce qu’il faut pour être le joueur merveilleux […] ».

  7. Lami dit :

    La notion d' »apport au collectif » est clairement très en vogue, elle signifie que le jeu est un tout et que tout le monde doit y participer… toutefois je considère que marquer un but, c’est l’essence du football, et cette tendance fait peu à peu disparaître (pas seulement par manque de lucidité, mais bien par dévalorisation de ces compétences) la capacité des buteurs à analyser, à sentir par instinct, et à cadrer efficacement quelle que soit leur position et quelle que soit la trajectoire de la balle… Bref j’aime quand un buteur se fait oublier, qu’il est le seul à sentir que la balle va retomber là, et à la frapper immédiatement même si elle lui arrive dans le dos, à droite, à gauche, etc. etc. !! C’était beau aussi !!

  8. Lami dit :

    Bah au fait désolé mon post est un peu hors sujet dans un blog qui traite des questions tactiques plus que des compétences individuelles…

  9. George T. Newman dit :

    En parlant du Championnat anglais qui sied plutôt bien à ce genre de tactiques, peut-on appliquer le concept de buteur-travailleur aux attaquants des clubs de Manchester: Van Persie et Tevez ? Ils sont tous les deux très mobiles sur la largeur du terrain et sont à l’origine de nombreuses occasions à chacun de leurs matchs, tout en sachant conclure. Rôle que ne remplit plus vraiment Rooney à United, et pas tout à fait Agüero qui participe moins au jeu quand il est associé à Tevez, pour faire valoir sa finition.

  10. Christophe Kuchly dit :

    George : Je dois avouer que je ne suis pas le plus grand spécialiste du championnat anglais. Pour RVP, je n’ai pas envie de trop m’avancer, mais c’est sûr que Tevez est un gros travailleur. La différence, c’est qu’il est rarement seul en pointe, donc il n’a pas forcément besoin qu’on compense ses courses vers l’arrière. Tevez me semble d’ailleurs être un peu particulier : ses courses sont surtout le fruit d’une hargne de tous les instants mais pas toujours intelligentes tactiquement. Un peu trop chien fou quoi.

    Loulou : Tu le sais encore mieux que moi, toi qui est très attentif aux perfs du Napoli. En plus je suis un grand fan de Cavani. Sans lui et son activité, Hamsik ne marquerait sans doute pas autant de buts (et inversement).

    Lami : Tu as raison et n’est pas forcément hors sujet, la mort du 9 à l’ancienne est un sujet qui nous passionne. Mon avis est le suivant : le football d’antan permettait de mettre en valeur un buteur, même moyen. Puis il a fallu être très bon pour survivre -Trézéguet et Inzaghi-, et petit à petit les renards des surfaces se sont raréfiés. Et maintenant c’est quasiment impossible de n’être qu’un tueur qui ne participe pas au jeu, il faut donc combiner ça avec d’autres qualités.

  11. C. Moa dit :

    Merci pour cette article encore une fois très intéressant.

    Ma pierre à l’édifice sur le cas MU : Van persie – Rooney font une sorte de T sur le terrain. L’un travaille sur toute la largeur, l’autre redescent très bas chercher les ballons. Si on devait faire l’analogie avec le sujet du jour, Rooney serait plutôt le buteur travailleur (dans l’esprit collectif, cf. article précédent!), et Van Persie plus un « tueur ».

  12. C. Moa dit :

    Une faute horrible dès le 3ème mot : mes excuses aux familles.

  13. Les Dé-Managers : pour parler tactique, pas pour meubler. » Blog Archive » DIVISER POUR MIEUX SCORER : FAUT-IL REPENSER LA RENTABILITÉ DES BUTEURS ? dit :

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