Souvent, elle agace. Provoque des huées dans le stade, des soupirs devant l’écran de télévision, et des commentaires acerbes sur le refus de jouer d’une équipe et son incapacité à aller de l’avant. Aveu d’impuissance, symbole ultime du recul, elle est vue par beaucoup comme un pis-aller. La réduire à cela serait pourtant une erreur. Bien utilisée, à court mais surtout à long terme, la passe en retrait au gardien est une arme.

CONSTRUIRE UN ÉDIFICE SOLIDE

Qu’on se mette de suite au clair : il est ici question de la passe en tant que choix plutôt qu’en tant que contrainte. Comme toutes les actions forcées par l’adversaire, la remise désespérée à un dernier rempart chargé de balancer devant au plus vite n’apporte rien, sinon un peu de répit. Dans ces situations sous pression, le gardien est là faute de mieux, et personne ne lui en voudra s’il vise son cousin en tribune plutôt qu’un coéquipier. Non, ce qui vaut le coup d’être étudié, c’est cette volonté de construction par l’arrière, le choix de repartir à zéro pour tenter de bien faire.

Le qualificatif de gardien-libéro fait de suite penser à Fabien Barthez, la relance au pied et l’implication dans le jeu ayant toujours fait partie du bagage de ce grand instinctif. Mais il n’est évidemment pas le seul portier à aimer participer au match autrement que sur sa ligne. Car, si Barthez pouvait être une menace offensive pour l’adversaire, c’était avant tout avec des longues relances parfaitement adaptées au football anglais. Et son placement très haut, menace défensive pour les siens, rendait finalement la balance assez équilibrée entre ce qui pouvait servir et desservir son équipe.

La vraie légitimation de la passe en retrait se fonde sur les discours de Johan Cruijff autour de la possession, s’applique à la Masia, se comprend en regardant jouer Barcelone, et donne toute légitimité à Victor Valdés, ce gardien qui n’aurait, et ne trouvera peut-être pas sa place dans un seul autre grand club d’Europe. Comme lorsqu’il s’agit d’une maison, la construction d’une action doit reposer sur des bases solides pour être durable. Bien entendu, il sera toujours possible de marquer après une succession d’erreurs et de coups du sort. Mais, pour être reproductibles, ce qui est l’objectif à Barcelone, les actions doivent avoir une identité, des schémas et liens tactiques bien définis. C’est là qu’intervient Valdés.

LE FOOTBALL A ONZE

Plutôt que d’évoluer à dix, les Catalans sont à onze, avec un gardien capable d’orienter le jeu à la perfection, malgré quelques ratés devenus célèbres. Mais l’important est ailleurs, sur le long terme. Si Valdés a le ballon, cela veut dire que les quatre défenseurs peuvent proposer des appels, et par extension qu’aucun des dix joueurs n’est embêté par la possession trop tôt dans la construction. Cela revient donc, à condition que le gardien ne soit pas totalement gauche, à évoluer en 5-3-3, donc potentiellement en 4-4-3 ou tout autre système plus offensif. Un avantage précieux pour toute équipe qui fait de la possession un idéal, avec le surnombre dans chaque zone du terrain comme premier atout. Et c’est aussi un superbe moyen de provoquer des changements tactiques chez l’adversaire, en l’incitant à aller au pressing par exemple, pour ensuite mieux le contrer. Une certaine inaction, ou tout du moins non-action, qui pourra potentiellement en générer beaucoup plus.

Bien entendu, glorifier la passe en retrait au gardien revient souvent à glorifier Barcelone, rare formation à envisager ce geste de manière positive, pour reprendre à la base une action qui partait mal. Mais toutes les équipes pourraient s’en inspirer, à des degrés divers, et impliquer davantage le dernier rempart dans la construction du jeu. Evidemment, à moins de mettre en place un projet sur le long terme, il est compliqué d’en faire une marque de fabrique. Compliqué d’éduquer les défenseurs à jouer en retrait, le gardien à orienter le jeu avec des relances courtes, et le public à apprécier. Là aussi, tout est question de philosophie. Ce qui est certain, c’est que la création d’un triangle entre un gardien avancé et les deux défenseurs centraux permet de compléter un apprentissage tactique individuel, et de reproduire à l’envers la relation avec le six dans un système à un seul récupérateur. Un 4-3-3 peut ainsi s’envisager comme une suite de triangles inversés dans l’axe : un gardien – deux défenseurs centraux, deux défenseurs centraux – un récupérateur, un récupérateur – deux animateurs, deux animateurs – un attaquant de pointe.

RESTER MAÎTRE DE SON DESTIN

S’il y avait une expression pour définir la passe en retrait, ce serait reculer pour mieux sauter… à condition évidemment de vouloir sauter. L’idéal de toute équipe de football étant d’aller marquer, et donc de préférer la verticalité à l’horizontalité, celle-ci est finalement la manifestation d’un ultime refus, et le premier pas forcé d’une logique consistant à aller de l’avant. Le problème n’est pourtant pas le repli, mais l’absence de volonté de se redéployer dans la foulée. Et la passe en retrait au gardien, loin d’être inutile tactiquement, ne doit sa perception négative qu’à la mauvaise utilisation qui en est faite. Car si cela se voit moins qu’une relance en touche ou dans les pieds d’un attaquant, les conséquences au niveau de la fluidité de la construction et de l’apport offensif des défenseurs est énorme. Pour une relance courte ratée, amenant une occasion de but manifeste, combien de possessions rendues et de chances données à l’adversaire ? (Good ball retention starts from the goalkeeper) Sans nécessairement tomber dans le dogme, une habitude qui a plusieurs fois amené Barcelone dans le mur ou tout proche, le football gagnerait sans doute à voir plus d’équipes jouer, au sens de la production de jeu, à onze.

Christophe Kuchly

7 commentaires

  1. Flo dit :

    Enfin une compréhension correct et positive de la passe en retrait! Good job!

  2. Lamourinho dit :

    J’ai vu France-Allemagne féminines hier et les passes en retrait à la gardienne, c’est pas ce qui manquait des 2 côtés, ca a même permis à Necib de marquer un but 🙂

  3. Man U dit :

    Entièrement d’accord avec « Rester maitre de son destin » qui traduit bien l’utilité de la passe en retrait

  4. Charlot dit :

    Passe en retrait au gardien ou passe en retrait tout court, si l’on envisage une stratégie basée sur la possession de balle, c’est l’outil de base. Confier le ballon à celui qui est face au jeu paraît d’une évidence criante et pourtant aussi peu évoquée que pratiquée.

  5. Didier Rousté dit :

    On peut envisager les sifflets du public comme un moyen de pression sur le gardien adverse. L’équipe qui fait une passe en retrait se donne de l’air, mais si le public la siffle, il presse (psychologiquement) le gardien de relancer et le pousse à la faute…

    Bon, les sifflets sont aussi entendus sur le gardien évoluant à domicile et ça montre une absence totale de culture tactique des supporters.

  6. ultra dit :

    @rousté, on va pas au stade pour faire étalage de notre culture tactique… Continue t’engrosser devant ta télé

  7. Paolo dit :

    Intéressant à observer s’agissant de « la passe en retrait en tant que choix », il y a le Torino de Giampiero Ventura.

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