Un entraîneur a-t-il une obligation de spectacle ?
Thierry Laurey a déchaîné les critiques en revendiquant le match fermé du Racing à Marseille. Mais quel piège nous tend la conception du football comme "spectacle"?
"On n'est pas là pour faire les beaux, pour plaire aux téléspectateurs." La déclaration de Thierry Laurey après le nul obtenu par Strasbourg au Vélodrome a, comme c'était prévisible, suscité une prévisible vague de réprobation.
Le propos a été séparé de son contexte: celui d'une équipe qui jouait son maintien face à plus forte qu'elle, qui n'a pas proposé qu'un jeu restrictif cette saison et dont l'entraîneur a livré d'autres éléments explicatifs au cours de cette conférence de presse.
Le principal problème idéologique posé par Thierry Laurey, c'est son pull sur les épaules.
Les deux pôles de la planète football
Un tel aveu semble constituer une provocation, voire une faute au moment où le football français est en crise, peine à valoriser ses droits et subit des critiques sur son niveau sportif et la qualité du spectacle proposé. Mais la controverse entre les partisans du beau jeu (assimilé au spectacle) et ceux d'un jeu plus restrictif est en réalité aussi vieille que le football.
On retrouve d'ailleurs l'exclamation de Laurey dans bien d'autres versions, dont celle de Pablo Correa ("Si tu veux du spectacle, va au cirque!"), elle-même adaptée de Carlos Bilardo ("Si vous voulez du spectacle, le cinéma et le théâtre sont là pour ça"). Le football, c'est Bilardo contre Menotti, Jacques Thibert contre François Thébaud, Mourinho contre Bielsa, etc.
Ce ne devrait pas être une controverse, en réalité: on peut préférer le panache et l'audace, mais il est inutile de trancher, le football a besoin des deux écoles – en fait, deux pôles entre lesquels les différentes manières de penser le jeu se déploient – et de leur antagonisme.
Bien sûr, le haro contre Laurey est encouragé par la médiocrité de la clique corporatiste des entraîneurs français, bien représentée, tout récemment, par Raymond Domenech, Bruno Genesio et ceux qui sont tombés sur Pablo Longoria après ses propos critiques envers la formation française. Bien sûr, le football français doit accomplir une révolution technique.
Mais les sectateurs du bôjeu finissent par devenir pénibles, à passer de zéro au point Godwin-Deschamps en moins de deux tweets et à toucher en épiciers leur petite rente du dénigrement pathologique du football français – lequel a droit à un procès plus équitable. Surtout, ils se font les alliés involontaires d'une conception problématique du football en général.
La Farmers League plutôt que la Super Ligue
Posons la question initiale autrement: qu'est-ce qui a créé cette obligation de spectacle? Notre sport est devenu un spectacle presque immédiatement après sa création – l'invention de la main courante l'atteste –, qui a drainé les foules dans des stades de plus en plus grands. Ce spectacle a changé de nature en deux temps: avec le développement de sa diffusion télévisée, puis avec la transformation de cette diffusion en gigantesque marché.
Le football est donc devenu un produit de divertissement et son activité économique une industrie… du spectacle. Doit-il pour autant cesser d'être un sport, sa dimension sportive doit-elle devenir secondaire? Parce que le sport, c'est aussi l'ennui, l'échec, les rencontres rébarbatives, les "nuits froides à Stoke". En tout cas, pas du cirque, du cinéma ni du théâtre.
Que serait un football délivré de la pression du résultat et de la peur de la relégation, consacré à la production de "spectacle"? Ah oui: ce serait le football de la Super Ligue. Un football pour spectateurs, pour fans, pour clients qu'il faudrait respecter en leur fournissant un produit satisfaisant. À l'opposé du football des supporters – auxquels Thierry Laurey a donné satisfaction, rappelons-le.
Il faut se rendre compte que ce dénigrement (qui est aussi celui des trêves internationales et du football de sélection, des compétitions et des clubs de second rang, des phases qualificatives et des matches entre "gros" et "petits") a partie liée avec la promotion d'un football élitiste, mondialisé, spectaculaire et progressivement fermé. Au-delà, on pressent une troublante compatibilité du "romantisme" avec le football libéralisé…
Entre la Super Ligue et la Farmers League, ici, le choix est vite fait. Au diable le "spectacle", dont les apologues auraient dû abandonner leurs réflexes et suivre un peu plus attentivement le championnat de France cette saison: ils auraient vu des équipes avec des principes de jeu séduisants.