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« Thatcher a instrumentalisé et diabolisé le football »

Il y a dix ans, Margaret Thatcher mourait. Si la légende dit qu'elle a sauvé le football anglais, la réalité montre qu'elle l'a surtout politisé à ses propres fins. Entretien avec notre spécialiste Kevin Quigagne. 

Auteur : Enzo Leanni le 12 Avr 2023

 

Cette interview a été réalisée en avril 2022 par Enzo Leanni pour Caviar Magazine, afin d'évoquer l'impact du gouvernement Thatcher sur le football britannique de l'époque. Desraisons techniques ayant empêché sa publication, nous la mettons en ligne ici avec l'accord de Caviar, dont nous saluons la belle aventure qui prend fin, pour son édition papier, avec son 14e numéro (actuellement disponible).

 

Les Three Lions reçus au 10 Downing Street en juin 1980.
Les Three Lions reçus au 10 Downing Street en juin 1980.

 

Enzo Leanni. Comment se porte la société britannique au début des années 1980, peu après l'élection de Margaret Thatcher au poste de Première Ministre ? Et le football ?

Kevin Quigagne. Le Royaume-Uni va mal. Les Seventies ont été synonymes de grèves et luttes sociales, et aussi d'une grande vitalité syndicale. Thatcher utilisera cette "chienlit" pour justifier la radicalité de ses réformes et affaiblir les syndicats. On entre en récession, le chômage est endémique et l'inflation galopante. En 1981, des émeutes d'ordre racial et social éclatent à travers le pays. La bande-son de l'époque les Sex Pistols, les Clash reflète ce profond mal-être sociétal.

Le football est moribond. Si les clubs brillent en Europe, les finances sont exsangues, les affluences au plus bas et le hooliganisme sévit. Nombre de joueurs vedettes s'exilent à l'étranger. Les grosses cylindrées de l'élite, en conflit avec des instances progressophobes accusées d'archaïsme dans la répartition des revenus de la Football League un modèle quasi inchangé depuis près d'un siècle , menacent de faire sécession et créer une "Super League", déjà ! (voir ici). La société se néolibéralise et, en 1983, Tottenham devient le premier club au monde coté en bourse. On vit les prémices du football-business.

 

À quel moment Margaret Thatcher se penche-t-elle sur le football et ses supporters ?

L'année charnière est 1985, "l'annus horribilis" du football anglais. Début mars, Chelsea-Sunderland et Luton-Millwall virent à la bataille rangée entre hooligans et forces de l'ordre. Tribunes saccagées, 115 blessés, dont 55 policiers. L'opinion publique est choquée. Le 11 mai, de graves violences lors d'un Birmingham City-Leeds causent l'effondrement d'un mur et la mort d'un jeune supporter. À Bradford, le stade de Valley Parade s'embrase pendant un match : 56 morts, 265 blessés. Un mégot avait atterri sur vingt-cinq ans de détritus amoncelés sous les gradins en bois. Le lendemain, le Sunday Times écrit : "Le football britannique est en crise : un sport de taudis, disputé dans des taudis de stades, suivi par des supporters sortis de taudis." Le 29 mai, c'est le drame du Heysel.

Les médias déroulent sur "l'English Disease", le hooliganisme né dans les Sixties et qui atteint son apogée. Les Conservateurs s'alarment aussi de la dégradation de l'image du pays à l'étranger. Thatcher forme un "cabinet de guerre" qui envisage une série de mesures répressives et liberticides, dont beaucoup, telle la carte d'identité pour spectateurs (avec amende à la clé si défaut de possession), ne verront jamais le jour car irréalisables.

 

"Thatcher-la-populiste fait du football purement une question de 'law and order'."

 

Quelles sont les principales mesures de son mandat pour mettre au niveau les installations des stades anglais ?

Sous la pression des instances, les clubs font par exemple installer la vidéosurveillance. Pour lutter contre les envahissements de terrain et les bagarres entre tribunes, l'installation de grillages, déjà répandue, se généralise. Fin avril 1985, Chelsea en fait même ériger un électrifié avec barbelés ! Le Greater London Council menacera le club de poursuites et le système ne sera pas activé. À traiter le public comme du bétail, la catastrophe n'est jamais loin

 

 

Mais les mesures sont d'ordre sécuritaire et non infrastructurel. Thatcher-la-populiste fait du football purement une question de "law and order". Même après le drame de Bradford en 1985, au lieu d'un plan national de rénovation des stades, on a droit à des mesurettes (renforcement de la loi de 1975 sur la sécurité dans les stades, normes de protection anti-incendie revues). Après chaque tragédie, les rapports établis restent lettre morte : huit se sont succédé depuis 1923. Contrairement à la France, les stades appartiennent aux clubs (alors souvent endettés) et leurs propriétaires, motivés par la rentabilité, rechignent à améliorer les infrastructures.

C'est Hillsborough, le 15 avril 1989 (97 morts, 766 blessés), et le Rapport Taylor qui vont agir comme déclencheurs. On oblige les clubs de D1 et D2 à convertir leur stade en all-seaters (100% places assises) avant l'été 1994. Les coûts astronomiques, qui dépasseront le milliard de livres, incombent surtout aux clubs. Une partie sera cependant supportée par l'État et feu le Football Trust, un organisme étatique partiellement financé par les sociétés de Loto foot d'alors, les historiques "Football pools".

 

Cela a eu un impact considérable sur les supporters. Comment réagissent-ils ?

Les avis sont partagés. D'un côté, l'environnement football est redevenu sûr et le stade n'est plus ce death trap (endroit potentiellement mortel), mais une enceinte moderne et familiale. De l'autre, la flambée des tarifs billetterie inquiète autant que la mercantilisation de ce nouveau "produit" Premier League qui menace l'identité des clubs. Le public s'embourgeoise et, sans les tribunes debout, l'ambiance s'aseptise. Le match devient une "expérience" qui a perdu en saveur. Les jeunes et la grosse frange supportériste issue des classes populaires se sentent progressivement exclus. Les recommandations du juge Taylor qui, dans son rapport, préconisait l'instauration d'une politique de prix raisonnable en contrepartie des aides accordées dans la rénovation de stades, ne sont pas suivies. Supporters et médias s'émeuvent de la cupidité des clubs car ces derniers touchent désormais des revenus TV confortables et pourraient donc pratiquer des tarifs doux. Feue la Football Supporters' Association avait pourtant prévenu que les clubs en profiteraient pour faire grimper les prix

 

Quel a été le rôle de Margaret Thatcher dans l'après Hillsborough ?

Thatcher s'est toujours inscrite dans une logique de division et de tout-répressif. Elle a instrumentalisé et diabolisé le football, très impopulaire à l'époque, notamment en assimilant de facto le supporter lambda à un hooligan (sur cette instrumentalisation, voir ce dossier). De suite, la police et un député conservateur local, Irvine Patnick, font porter la responsabilité de la catastrophe sur les supporters "ivres et violents" de Liverpool. Il faudra attendre septembre 2012 et les conclusions du rapport du Hillsborough Independent Panel (HIP, diligenté par les Travaillistes en 2009), suivies des excuses du Premier ministre David Cameron, pour laver officiellement leur nom. Elle prend pour argent comptant la version de la South Yorkshire Police (SYP), où l'impunité régnait. Elle couvre les mensonges et malversations, malgré les conclusions du Taylor Report, qu'elle rejettera. Ce rapport dédouane les supporters et incrimine, entre autres, les graves manquements de la police, ainsi que des secours, dans la gestion du match - le HIP établira également que la police a falsifié 164 témoignages).

Elle encourage même son attaché de presse et manipulateur en chef, Bernard Ingham (récemment décédé), à colporter des fake news sur la prétendue sauvagerie des supporters Reds. Elle empêche son ministre de l'Intérieur de donner du crédit au rapport. Ces faits sont ressortis via les archives que le HIP a difficilement obtenues de la SYP (elles étaient classées "sensibles" jusqu'en 2019). Thatcher cherchait avant tout à exonérer la police de toute faute et à faire diversion. Elle voulait éviter un débat national sur la coupable inaction des pouvoirs publics dans l'état pitoyable des stades ainsi que sur les criminelles négligences du système. Les supporters représentaient une cible idéale.

 

"Elle a davantage été témoin et accompagné la mue du football anglais qu'initié une quelconque résurrection."

 

Les médias, dans l'ensemble, soutenaient M. Thatcher et les Conservateurs, surtout les influents tabloïds. Quel a été le rôle des médias dans l'évolution du football et la tragédie d'Hillsborough ?

Il a été aussi prépondérant que délétère. L'exposition médiatique accordée au hooliganisme, par exemple, était bien plus marquée que toute autre forme de délinquance. Cela a conduit à un dénigrement du supportérisme. L'ignoble vague d'infox sur Hillsborough est partie d'une agence de presse de Sheffield, la Whites Press Agency, et s'est propagée au Sun et autres. Whites PA a toujours soutenu que leurs sources étaient des hauts gradés de la SYP, un responsable du service ambulancier et le député conservateur local Irvine Patnick. Le Sun, via son tristement célèbre rédacteur en chef Kelvin MacKenzie, reprit ces "infos" telles quelles et s'empressa de surenchérir dans la désinformation sordide. Le 19 avril, le Sun titrait "La Vérité", sur des supporters Reds qui "avaient dévalisé les morts", "frappé et uriné sur des policiers courageux tentant de sauver des victimes". La SYP affirma que "des supporters ivres avaient causé la tragédie".

L'emballement et la dénégation ont été exponentiels, les divers responsables cherchant à se couvrir entre eux. Les campagnes des familles des victimes pour rétablir la vérité se sont heurtées à des murs de calomnie. Même Boris Johnson en 2004, alors député et rédacteur en chef de l'hebdo The Spectator, y était allé de son article au vitriol contre la "détestable mentalité victimaire" des Liverpudliens et les "agissements coupables des supporters Reds ivres et violents" (voir ici en fin d'article).

 

Certains soutiennent que M. Thatcher a sauvé le football anglais, d'autres affirment le contraire. Que peut-on dire de son "héritage" pour ce football ?

Pour la presse tabloïde de droite, Thatcher a été la femme providentielle dans cette grande mutation du football anglais, celle à qui l'on doit les stades sécurisés et la forte régression du hooliganisme. Le consensus cependant, renforcé par la publication des conclusions du HIP en 2012, est que son rôle dans la renaissance du foot anglais est minime ou adventif. Elle a davantage été témoin et accompagné cette mue qu'initié une quelconque résurrection. Cette métamorphose a principalement pour origine la rébellion des clubs contre les instances ainsi que Hillsborough et le Rapport Taylor, les véritables catalyseurs du changement. Certaines de ses mesures ont toutefois eu un impact certain, comme le Football Banning Order (FBO), l'interdiction de stade, introduit via le Public Order Act 1986 et durci par le Football Spectators Act 1989. Le FBO permit de cibler et nommer les fauteurs de troubles au lieu de stigmatiser l'ensemble des supporters.

 

Banderole de supporters de Liverpool après la mort de Margaret Thatcher.
Banderole de supporters de Liverpool après la mort de Margaret Thatcher.

 

La Premier League, telle qu'on la connaît aujourd'hui, est-elle justement le reflet de la politique de Margaret Thatcher ?

C'est une question complexe qui exige une approche nuancée tant les éléments de réponse se superposent et se font écho. Par certains aspects, sans doute. Par d'autres, beaucoup moins. Thatcher a dérégulé tous les secteurs de l'économie. Cela a, inter alia, facilité l'émergence de propriétaires, d'affairistes et financeurs, qui en s'alliant et en acquérant une envergure internationale, ont dominé les instances et réussi à inverser les rapports de force. Hillsborough a grandement accéléré et amplifié le processus. Ces bouleversements produiront le big bang de la Premier League. Dès 1981, Thatcher, alors en grande difficulté, a adoubé Rupert Murdoch et lui a permis de contrôler 40% de la presse britannique (en échange d'un soutien solide) et ensuite de créer Sky (les Travaillistes, sous Tony Blair, entretiendront avec l'Australo-Américain des relations tout aussi symbiotiques). Murdoch a ainsi pu doper financièrement la Premier League, provoquant, mondialisation aidant, l'explosion des droits TV afférents, multipliés par 320 depuis 1992 et par 2.300 entre 1988 et 2022-23.

Réactions

  • Ba Zenga le 14/04/2023 à 13h53
    Merci, passionnant comme toujours avec Kevin Quigagne. A chaque fois que j'entends parler de Thatcher, j'ai évidemment la fameuse de chanson de Renaud en tête. Ce n'est pas cet article qui va bouleverser ça, au contraire.

  • Mangeur Vasqué le 14/04/2023 à 16h11
    Il y aurait tant à dire sur Thatcher et le football mais, malheureusement ou pas, on ne m’avait donné “que” 10 000 signes (hors questions) pour cette interview (j’étais presque resté dans les clous, 10 300).

    Je crois savoir par ailleurs qu'Enzo Leanni sortira demain un long article sur ce sujet sur le site lecorner org lien, qui comportera des bouts de mon interview d'avril 2022 pour Caviar Mag (jamais publiée donc) ainsi que d'autres extraits d'entretien, notamment avec Patrick Mignon, sociologue spécialiste du supportérisme.

    Parmi ceux qui pensent que Thatcher a "sauvé le football anglais”, on trouve le Daily Mail bien entendu lien (“Did Margaret Thatcher save the national game? Without question”).

    Le journaliste sportif/football et auteur Tony Evans (ex rédac chef football du Times, a aussi bossé pour The Independent, l’Evening Standard, ESPN, BBC, etc.), la soixantaine, est pertinent à lire et écouter sur ce sujet (football années Thatcher). Il supporte Liverpool FC, sa ville natale (il était à Hillsborough le 15 avril 1989. Il en parle ici par exemple lien).

    En 2016, la BBC avait sorti un excellent docu de 2 heures intitulé “Hillsborough” (longtemps visionnable sur leur iplayer lien, peut-être toujours visionnable sur YT, à vérifier). Le témoignage de Tony Evans dans ce docu BBC est particulièrement intéressant et éclairant, "insightful" cô on dirait en anglais. Il raconte comment les autorités – police, municipalités, instances, responsables des stades, etc. – traitaient le foot dans les années 1980, c’est à dire horriblement, sans aucun respect pour les supps de base, traités comme des pestiférés bas du front (les hooligans étant alors évidemment une infime minorité).

    Evans raconte par exemple comment les policiers n’hésitaient pas à cogner sur les supporters pour un rien. Evans lui-même, guère le profil hooligan, s’était fait frapper par un policier à Nottingham où il était allé en supp exter pour y voir un Forest-Liverpool. Frappé simplement car il avait emprunté le mauvais chemin pour se rendre au stade (à l’époque, beaucoup de supps exters étaient escortés de la gare au stade. Ça se faisait encore pas mal y’a quelques années, mesures spécifiques aujourd’hui prises pour certains derbys chauds, des “bubble matches” dans le jargon policier. Méthode controversée et chère car faut des centaines de forces de l’ordre et vu la forte diminution des problèmes aujourd’hui – et les budgets en forte baisse, pénurie de personnel, 23 500 postes de policiers - sur 140 000 - par exemple supprimés par les Conservateurs entre 2010 et 2019 – ces mesures "bubble match" se sont rarifiées. Des variantes "lite" sont cependant utilisées).

    Dans cet article BBC lien, Evans dit : "When you went to a football match you checked your civil liberties in at the door. The police treated you however they wished." Le stade était une espèce de zone de non droit pour la police, où les libertés individuelles ne comptaient plus trop.

    Sans tomber dans l’excès ou les clichés sur la brutalité policière, c’était une réalité à l’époque autour du football. Les horribles violences des hooligans rejaillissaient malheureusement sur tous les supps et la police avait du mal, ou ne cherchait pas, à adapter sa réponse.

    Le témoignage de Tony Evans est important car quelqu'un comme Evans est vu comme infiniment plus crédible que le supp lambda. Malheureusement, vu la réput’ du foot et surtout à cette époque, peu de gens dans l’opinion publique donnaient une quelconque crédit aux témoignagnes du supp de base, trop souvent assimilé à un hool ou un “apologist” des hools.

La revue des Cahiers du football