Tabloïd, numéro 6
Depuis la retraite de Jean Alesi, Youri Djorkaeff est probablement le sportif dont le rapport performances/ présence médiatique est le plus disproportionné. C'est avec un sincère sentiment d'admiration que nous l'avons découvert en couverture de L'Equipe Magazine, quelques semaines après avoir intégré le club de Bolton et réintégré l'équipe de France dans la foulée. Le titre de l'article résume à la perfection le rapport particulier qui s'est établi entre le joueur et les médias: "Youri, naturellement". On ne sait pas pourquoi il est là, mais il est bien là, comme s'il poussait sur les pages des journaux ou dans le cadre des caméras. Le sous-titre est lui-même tout à fait remarquable:"Serein, mature et sûr de ses choix, Youri Djorkaeff se révèle dans un entretien au plus près de ses vérités". Ce n'est pas très clair, et l'admiration cohabite avec le constat très légèrement ironique que le personnage détient ses propres vérités.
On le vérifiera avec ces aphorismes dont Youri est l'incomparable orfèvre.
BRÉVIAIRE
abstinence
"A part Roger Lemerre, je n'ai eu aucun rapport avec un entraîneur pendant sept mois".
système de défense
(Q. : Vous reconnaissez-vous des torts?) — "Non, aucun (il réfléchit). On a essayé de me faire porter le chapeau". La preuve que je suis innocent: on m'a accusé.
commutation de peine
"J'étais comme un condamné à qui on enlève un boulet". Pourtant, le boulet c'est toi, et les condamnés c'est nous.
Narcisse
"J'avais même collé une photo de moi sous le maillot de l'équipe de France après un but contre l'Espagne et une autre avec la Coupe, dans mon casier, pour tenir le coup".
nuance
"Quand je disais être individualiste et pas égoïste, je crois que les gens ont finalement compris". Euh, ça t'ennuierait de ré-expliquer quand même?
sondage
"Je regarde, je vois bien que tout le monde est content de me voir". Regarde mieux, Youri.
marabout
Le meilleur de Youri dans cet entretien apparaîtra à propos de cette déclaration d'il y a plusieurs années, qui affirmait son intention de devenir un jour président de l'Olympique lyonnais. A la question "Est-ce toujours dans vos projets?", il répond:
"Ça devient un peu compliqué. Quand j'ai dit ça, j'ai eu l'impression d'être entré dans la fosse aux lions. Chacun a défendu son territoire avec férocité. Je ne sais pas si c'est lié, mais du coup il y a eu de gros investissements, de gros transferts, alors qu'avant on achetait des Brésiliens à 4 francs 50. Je suis content! Ça a bougé. Maintenant on joue le titre. Ma déclaration a peut-être été un petit pic qui a déclenché ça. Je crois qu'Aulas a l'intelligence pour comprendre et prendre ça du bon coup côté".
On sent que Djorkaeff est tout prêt de révéler aussi son influence majeure sur la géopolitique mondiale, mais il se retient tout de même. Le plus drôle, c'est d'imaginer la tête que Jean-Michel Aulas a faite quand il a lu ça.
Addenda à la Leçon 8 de journalisme sportif, "Interviewer un footballeur".
Parfois, le sportif ne termine pas sa phrase ou fait des gestes expressifs qui tiennent lieu de mots. Il convient alors de "sous-titrer" en retranscrivant ces éléments non verbaux dans des parenthèses du type (il rit), (il soupire…)..
Exemple : Youri Djorkaeff, L'Equipe Magazine 13/04/02
"L'équipe de France a été le truc qui… (Il souffle, les yeux remplis d'étoiles…)".
Dans cette illustration, le journaliste se permet une adaptation très libre qui dénote toute l'admiration naïve que notre buteur vedette suscite dans la profession.