Shankly, une utopie socialiste
Bill Shankly, entraîneur et auteur d'aphorismes aussi légendaires que lui, a défendu une vision humaine du football, qu'il a concrétisée à Liverpool.
You say you want a revolution. Parler d’une révolution dans le Liverpool des Beatles n’est pas si incongru. La ville des bords de la Mersey connaît au début des années 60 un essor sportif et culturel qui fait d’elle la principale attraction en Angleterre.
Mais si la célèbre chanson de la bande à Lennon demande des actes plutôt que des paroles en ce contexte de mouvements protestataires de 1968, elle ne peut décemment pas s’adresser à Bill Shankly.
Révolution rouge
Arrivé déjà neuf ans plus tôt à Liverpool, après quelques mandats sous d’autres cieux où il a souvent montré ses désaccords avec les dirigeants, le natif de Glenbuck a révolutionné le club, l’amenant de la deuxième division au sommet de l’Angleterre, en apportant discipline diététique, esprit de compétition, sens du partage et philosophie tactique basée sur le jeu de passes.
Surtout, plus qu’une équipe, Shankly y a créé une communauté, une utopie socialiste. Suffisamment charismatique pour embraser une foule et saisir la tendance de son époque, il était lui-même un supporter qui mettait le public au centre de l'institution: "Dans un club de football, il y a une sainte trinité: les joueurs, l'entraîneur et les supporters. Les présidents n'en font pas partie. Ils sont juste là pour signer les chèques".
Il savait la difficulté que représentait le travail manuel et ouvrier, et ce que le football pouvait avoir de libérateur, en quoi il pouvait changer le monde: "La pression, c'est travailler à la mine. La pression, c'est être au chômage. La pression, c'est d'essayer d'éviter la relégation pour 50 shillings par semaine. Cela n'a rien à voir avec la Coupe d'Europe, le championnat ou la finale de la Cup. Ça, c'est la récompense".
Son socialisme, Bill Shankly ne l’avait pas théorisé à partir des livres. Il croyait en un système de coopération mutuelle, en une forme de socialisme brute et instinctive.
"Le socialisme auquel je crois n'est pas politique en réalité. C'est un mode de vie. C'est l'humanité. Je crois que la seule manière de vivre et de vraiment réussir, c'est par l'effort collectif, chacun travaillant pour l'autre, chacun aidant l'autre, et tout le monde partageant à la fin les fruits de ce labeur. C'est la façon dont je vois le football, la façon dont je vois la vie."
De l'importance des choses
Ce que le socialisme lui évoquait, il l’avait appris auprès des gens. De ces personnes combatives qu’il aimait et qui constituent la raison principale de sa venue à Liverpool. Il n’était pas rare de se voir invité à boire une tasse de thé si on frappait à sa porte.
De même qu’il arrivât souvent qu’il aide financièrement certains supporters à payer leurs trajets retours lors des déplacements et qu'il leur propose de partager le même train que les joueurs. Qu’il leur fournisse des billets pour les matches. Qu'il leur envoie des cartes d'anniversaire.
'That's the Kop up there' (1972)#lfc #anfield #billshankly pic.twitter.com/TQPqTVg5od
— MotherSoccer (@MotherSoccerNL) January 15, 2021
Bill Shankly fait partie de ces gens qui bouleversent à jamais l’identité d’un club. De ceux qui ont participé à écrire: "We are Liverpool: This means more". C’est probablement son héritage qui a provoqué cette levée de boucliers qui a fait changer la décision initiale du club de mettre le personnel non joueur au chômage partiel durant le confinement dû à la crise du Covid-19 au printemps 2020.
Ce n’est pas un hasard si aujourd’hui, un entraîneur passionné, brillant et proche du public comme Jürgen Klopp, pour qui "le football est la plus importante des choses non importantes", est si adulé à Anfield. L’importance des choses, de la vie, de la mort, du football, Shanky en avait une petite idée.
Si Liverpool est un club dont l’hymne est You’ll Never Walk Alone, il le doit aussi à ce cher Bill, tombé amoureux de la reprise de cette chanson par Gerry and the Peacemakers. Comme d'autres révolutionnaires avant lui, Shankly a bien mérité sa statue.
Retrouvez les révolutions et les révolutionnaires du football dans le grand dossier de notre numéro 5.