"Sensible Stadium" : l'UEFA, les clubs et les télévisions passent au stade virtuel
Agence Transe Presse – Tribunes, ambiance et public artificiels: un consortium veut mettre en œuvre son projet de stades dématérialisés et de "football augmenté" dès la saison prochaine.
Londres, 28 mai 2020 (ATP). Est-on en train de passer directement du "football d'après" au football du futur? La crise du Covid-19 précipite des évolutions qui n'étaient encore envisagées que dans des scénarios de science-fiction.
L'UEFA, un pool de diffuseurs européens et plusieurs grands clubs du continent viennent en effet de créer un consortium autour du projet "Sensible Stadium", dont l'objectif est de mettre au point "des procédés de virtualisation des stades dans une situation de disparition du public".
Des loges plutôt que des tribunes
Selon un document que l'ATP s'est procuré, il s'agit d'anticiper "un contexte dans lequel les épidémies et d'autres aléas, notamment climatiques ou politiques", ne permettront plus aux compétitions de se disputer dans des stades et devant un public, menaçant l'économie du sport d'élite. "Un changement complet de modèle est inévitable", est-il annoncé.
"Les matches à huis clos ne procurent pas une expérience téléspectateur satisfaisante, explique un des consultants impliqués dans l'opération. Cela dévalue le produit, et ni les diffuseurs, ni les ligues ni les clubs ne peuvent se le permettre."
Les expériences encore maladroites menées sur la Bundesliga, premier grand championnat à reprendre, pour sonoriser artificiellement les enceintes allemandes et masquer leurs tribunes vides ont cependant inspiré plusieurs start-ups qui ont su frapper aux bonnes portes.
"Tout le monde a constaté que c'était bien du football, et que ce qui manquait était facile à remplacer, confie Herbert Leenhardt, chef de projet. Mais nos commanditaires ont tout de suite voulu aller plus loin. C'était comme s'ils avaient déjà imaginé un football sans spectateur."
Le principe de Sensible Stadium est radical: les rencontres se dérouleront dans des enceintes de dimensions réduites, couvertes et équipées comme un studio de télévision – seules des loges VIP entourant le terrain.
Le dispositif, lancé dès la saison prochaine, livrera au téléspectateur l'illusion presque parfaite d'un match dans un "vrai" stade. Il pourra même choisir le décor – stades réels ou imaginaires – et définir des préférences d'ambiance.
"Révolutionner la consommation des matches"
"Nous n'allons pas nous contenter de reproduire fidèlement le son et l'image du public. Il faut ajouter du spectacle, et même créer un nouveau spectacle", s'enthousiasme Fred Godard, directeur artistique. Pour lui, c'est aussi l'occasion de "révolutionner la réalisation et la consommation des matches".
"Les consommateurs sont prêts à payer plus cher pour du football augmenté. Le football est une industrie du spectacle. Où se fabrique le spectacle aujourd'hui? Sur des ordinateurs!", renchérit Krysto Leklovn, directeur commercial de la nouvelle entité.
Les avantages sont nombreux. Les compétitions pourront être regroupées dans quelques lieux seulement, "isolées en cas de conflit international, de guerre civile, de catastrophe naturelle ou de pandémie", indique une note interne intitulée "Survivalist Football".
Les clubs réaliseront des économies substantielles sur les infrastructures, leur maintenance et l'organisation. Les recettes des places "hospitality", des loges et des salons privés étant depuis longtemps supérieures à celles des tribunes ordinaires dans les grands clubs, ils sont persuadés d'être gagnants.
"Quasiment tous les acteurs économiques sont partants. Les clubs et les instances seront, au fond, ravis de ne plus avoir de supporters à gérer, assure un proche du dossier. On pourra même leur faire chanter ce qu'on veut."
Nouvelle philosophie
Mais comment faire admettre cette révolution aux supporters? "Le public dans les stades, désolé, mais c'est le vieux monde, tranche Leenhardt. Les nouvelles générations veulent tout voir sur leurs écrans, elles veulent que les grands clubs soient encore plus forts et fassent encore plus le spectacle."
La communication s'inscrira sous la signature "Responsible Football" et insistera sur la contribution à la lutte contre les pandémies et sur le bénéfice écologique. "Ce sera un cas d'école de stratégie du choc: tout le monde va être médusé, les médias seront enthousiastes et le tour sera joué", s'amuse un lobbyiste.
Selon nos informations, le projet a été accéléré sous l'impulsion de dirigeants qataris déjà convaincus, avant la crise, qu'ils ne parviendraient pas à remplir les tribunes de la Coupe du monde 2022.
"Le projet de Dream Football League (2013) est arrivé trop tôt, et il se trompait de philosophie, tout comme la FIFA avec la Coupe du monde ou le CIO avec les Jeux olympiques, commente Pascale Bastia, professeure de géopolitique. Pourquoi organiser des événements surdimensionnés aux coûts exorbitants quand on peut assurer le même spectacle à moindres frais?"
Mais alors, que deviendront les stades? "Ce sera aux collectivités de voir qu'en faire, comme pour les anciens sites industriels, élude Krysto Leklovn. Même les stades modernes sont obsolètes dans le monde d'après…" Et de conclure, sourire en coin: "Ils feront de belles ruines, vous ne trouvez pas?"