Robert Budzynski, la mémoire jaune
Robert Budzynski, joueur puis directeur sportif du FC Nantes, fut à la fois un acteur prépondérant et un conteur avisé de l'histoire du club nantais.
Robert Budzynski est l'homme qui a vécu quarante-deux des quarante-quatre saisons de présence ininterrompue du FC Nantes en première division.
Joueur brillant à la carrière trop vite interrompue, il est devenu l'inamovible directeur sportif du club, responsable notamment du recrutement, mais aussi gardien de la mémoire du club et de sa philosophie.

Robert Budzynski a connu une enfance bagarreuse. Bien que né à Calonne-Ricouart, il était assigné Polonais dans un contexte où entre écoliers français et "polacks", on rejouait la guerre des boutons. Le jeune Robert avoue y avoir appris "à courir vite et à esquiver". Cette ambiance ne l'empêche pas de poursuivre de brillantes études (bac sciences expérimentales) et de se montrer très doué balle au pied.
Trente mois sans ballon
Il est l'un des meilleurs joueurs du club amateur d'Auchel et tape dans l'œil des recruteurs du RC Lens, club qu'il rejoint à l'âge de quinze ans. Trois ans plus tard, il débute en première division et s'y montre un défenseur adroit, clairvoyant, doté d'un bon jeu de tête et d'un sens du placement aiguisé. Il fait également preuve d'une grande capacité physique qui le rend inépuisable.
Son début de carrière s'interrompt en 1960 quand il est appelé sous les drapeaux. Il se retrouve en Allemagne comme aspirant, puis à Cherchell en Algérie comme instructeur des soldats mobilisés pour la guerre.
Après trente mois sans avoir touché le moindre ballon, il retrouve le plaisir d'un match de foot à son retour dans l'Hexagone à l'occasion d'une rencontre avec une équipe militaire. Le match se dispute en septembre 1963 à Nantes, au Stade Malakoff (futur Marcel-Saupin) sous l'œil curieux d'un certain José Arribas.
L'entraîneur nantais manifeste son intérêt auprès du Racing Club de Lens, mais celui-ci a un autre projet pour son défenseur. Il compte l'échanger avec le RC Paris contre Guy Sénac. Seulement Budzynski est moyennement intéressé par le club parisien qui amorce un sérieux déclin.

Le bras de fer est engagé, l'homme développe un sens de la négociation qui lui sera précieux à l'avenir. Le 1er décembre 1963, on le retrouve en défense centrale du FC Nantes pour un match contre Nice (3-0).
Rapidement, Bud devient le patron de la défense nantaise. Sans être exceptionnel techniquement, il impose ses qualités physiques et son autorité. Avec Suaudeau, Simon, Gondet et consorts, le FCN décroche en 1965 son premier titre de champion de France.
Patron des Bleus
Lors de la saison suivante, Budzynski est appelé en équipe de France pour un match d'une importance capitale, un France-Yougoslavie qualificatif pour la Coupe du monde en Angleterre. Le match est remporté (1-0) grâce à un but de Gondet. Robert Budzynski est donc de l'aventure du Mondial 1966. Il est même l'un des acteurs essentiels de l'équipe de France.
Titularisé en défense centrale, il assure la couverture derrière trois défenseurs assignés à un marquage individuel. Les joueurs concernés étant plutôt familiers du marquage en zone, on observe quelques flottements dont sauront profiter les adversaires mexicains (1-1) et uruguayens (1-2).
Avant de disputer le troisième match contre les Anglais, Robert Budzynski monte au créneau et indique au sélectionneur que lui et ses coéquipiers joueront en zone quelles que soient les consignes. Les Tricolores réalisent face aux futurs champions du monde leur meilleure prestation du tournoi, en dépit d'une défaite logique (0-2).
Robert Budzynski s'affirme comme un patron, ouvrant une filiation de joueurs nantais à fort caractère qui savent prendre leurs responsabilités (Henri Michel, Didier Deschamps, Mickaël Landreau, Jérémy Toulalan).

Au lendemain de la World Cup, Robert Budzynski s'octroie quinze jours de vacances aux États-Unis sans même demander l'autorisation à son club. Celui-ci lui retient un mois de salaire, mais le défenseur reste titulaire de l'équipe.
Il devient ensuite le capitaine de l'équipe de France lorsque celle-ci est brièvement dirigée par le duo Arribas-Snella. Just Fontaine, le sélectionneur suivant, lui accorde également sa confiance, mais son successeur Louis Dugauguez, qui penche plutôt pour le marquage individuel, ne le retient pas.
Premier des directeurs sportifs
Le 15 décembre 1968, à l'occasion d'un Nantes-Monaco en championnat au Stade Marcel-Saupin, Budzynski reçoit un mauvais coup qui le laisse au sol : double fracture tibia-péroné. La convalescence est d'autant plus longue que quelques complications viennent s'ajouter à la fracture.
Budzynski retrouve les terrains d'entraînement au bout de dix mois. En novembre 1969, il reçoit le ballon d'une lourde frappe d'un coéquipier. La jambe est de nouveau brisée, et sa carrière tout autant, à 29 ans.
Il n'est pour autant pas abandonné par son club. Alors qu'il se remet de sa blessure, le club et son président Louis Fonteneau lui proposent un poste de directeur sportif. Le projet est intéressant puisque tout est à créer : le métier en question n'existe pas en France.
Les relations entre sportif et administratif se font directement d'entraîneur à président, sans recul, au jour le jour. La tâche demandée à Budzynski est donc de professionnaliser le club en assurant la gestion globale du sportif. Il apporte son soutien à l'entraîneur, notamment dans le domaine du recrutement, et garde un cap sur le long terme.
Nantes devient ainsi un des premiers clubs de France à concevoir un centre de formation, soutenu en cela par la FFF et Georges Boulogne. Plutôt que de dénicher la perle rare dans les rangs amateurs, le FC Nantes forme lui-même ses futurs joueurs, leur inculquant les bases du foot en plus d'une instruction générale de qualité.
À Nantes, les jeunes joueurs sont de surcroît imprégnés d'une philosophie de jeu qui pérennise le modèle instauré par José Arribas dans les années soixante.
Mémoire du FC Nantes
Les résultats ne se font pas attendre. La première génération des "formés au club" (Bossis, Amisse, Baronchelli, Sahnoun) devient championne de France dès 1977. Le système nantais s'est appuyé sur l'intelligence et la compétence de ses hommes, le président Louis Fonteneau, l'entraîneur José Arribas, puis le jeune formateur Jean-Claude Suaudeau, coordonnés par Robert Budzynski.
Celui-ci est resté en poste durant trente-cinq années. On lui compte la signature de plus de deux cents recrues. Certaines mauvaises pioches lui ont été vivement reprochées, occultant un nombre important de réussites. Budzynski a su composer avec les entraîneurs passés sur le banc ainsi qu'avec les hommes qui se sont succédé à la tête du club.
Le directeur sportif a notamment connu des moments difficiles lorsque le jeune président Max Bouyer a imposé comme entraîneur le Yougoslave Miroslav Blazevic, débarqué comme un chien dans un jeu de quilles. L'un et l'autre, faute de résultats, ont rapidement quitté le navire, Budzynski restant à la barre pour maintenir la philosophie gagnante du club.
Témoin des premiers succès en tant que joueur, Budzynski est ensuite devenu comme dirigeant la mémoire vivante du club, celui vers qui les médias s'appuient pour évoquer son histoire.
Lorsqu'il est débarqué de son poste en octobre 2005, il y a quelques saisons que Budzynski ne partage plus la vision des nouveaux actionnaires. Deux ans à peine après son départ, il verra non sans amertume son club tomber en deuxième division.