RLD était pipé
Quel meilleur moyen, pour célébrer le départ de Robert Louis-Dreyfus, qu'une bonne vieille chronique de Jean-Patrick Sacdefiel, à peine vieille d'une année? Extrait du n°22 des Cahiers, janvier 2006.
Certains naïfs s’étonnent qu’un homme comme Robert Louis-Dreyfus, si brillant dans les affaires, ait à ce point échoué dans le football. Tragique fourvoiement: ils s’imaginent qu’il faut être intelligent pour réussir dans le business, alors qu’il convient surtout d’être cynique et avide. Prenez Pierre Blayau, son regard mort derrière des lunettes métalliques plus chaudes que le sang qui coule dans son artère temporale, ce sentiment palpable de supériorité acquise dans les meilleures écoles...
Prenez François Pinault, pauvre petit échantillon de self-made man qui croit acquérir une humanité en achetant des conteneurs entiers d’œuvres d’art, mais dont la médiocrité transpire au travers de ses costumes Saint-Laurent... Si ces homoncules avaient un soupçon d’intelligence, s’ils n’étaient pas dupés par les flatteries des demi-mondains médiatiques qui les voient grands tant eux-mêmes sont minuscules, ils seraient foudroyés par l’inanité de leurs existences.
Success-stories pour petits patrons
Dans le football, les échecs de nos capitaines d’industrie (quoique le capitaine, en l’espèce, est celui qui quitte le navire en premier, pour mieux voir l’équipage se noyer) ont le mérite de montrer que les clubs de football ne sont pas des entreprises comme les autres.
Ne voyez pas dans ce constat un subit accès de gauchisme frelaté de ma part, mais franchement, quels genres de dirigeants ont réussi dans le football? Des patrons de PME sous-préfectorales tellement à l'étroit dans leurs locaux confinés qu’ils ont mobilisé leurs énergies de Rastignac à la petite semaine pour se donner le sentiment de vivre un peu. Des margoulins affamés qui ont fini par se dévorer eux-mêmes. Des notables dépourvus de libido qui se sont dopés à la sueur des seuls prolétaires que l’on qualifie d’artistes. Des aventuriers aux fortunes douteuses ravis de trouver le terreau idoine pour y faire pousser leurs magouilles. Et même des journalistes infoutus d’avoir l’air plus futé que les actrices écervelées qu’ils interviewaient... Mais ni rejetons du CAC 40, ni énarques, ni majors de promo HEC.
Alors, qu’y a-t-il d’étonnant à ce que Louis-Dreyfus, ci-devant empereur des télécoms et de la chaussure en plastique, affublé d’une personnalité qui ferait passer Aimé Jacquet pour un excentrique, ait dépensé des millions pour récolter en tout et pour tout... une misérable coupe Intertoto? S’est-il consolé, ce soir-là, de près de dix ans d’humiliations en dansant la carmagnole avec une brochette de joueurs de seconde zone?
À sa place et avec les seuls agios du déficit marseillais, Louis Nicollin aurait fait beaucoup mieux – au moins aurait-il su bien vendre les tocards achetés par paquets de douze à chaque intersaison. Avec son pull sur les épaules et sa dégaine de touriste américain, RLD était aussi déplacé au Vélodrome qu’une andouille de Guémené dans une marmite de bouillabaisse. Il fallait s'attendre à ce que tout le monde finisse par cracher dans la soupe.