À qui le mérite ?
Le match nul lors de la deuxième journée, au Parc des Princes entre le PSG et les Corses d'Ajaccio, était écrit. Dans la Bible.
Paris a largement dominé le match contre Ajaccio, dans des proportions rarement atteintes: plus de 30 frappes dont une bonne proportion cadrée, contre une seule concédée, plus 70% de possession de balle, cinq fois plus de passes que l’adversaire, mais un score final d’un partout, dont le mérite revient, manifestement, à Ochoa, le vif gardien des Corses, auteur d’une douzaine de parades formidables, mobilisant toute la palette des activités d’un gardien. Réflexe sur la ligne, détente, sortie dans les pieds, promptitude à revenir sur ses appuis, qualité du placement, sans parler des sorties aériennes et des relances efficaces bien qu’en catastrophe, après passe en retrait douteuse: le Mexicain a écœuré joueurs et supporters parisiens, qui ont aussi dû se désoler de voir deux fois la barre et deux Ajacciens sur la ligne retarder l’égalisation.
Paris a fait le Job
Paris a dominé, Paris a mérité de gagner? Ambiguë, la question du mérite. Parce qu’insondable, vraisemblablement [1]. Dans l’Ancien Testament, la leçon est donnée aux hommes de ne pas se figurer des notions de mérite et de justice trop simplistes. "Ce que je crains, c'est ce qui m'arrive; ce que je redoute, c'est ce qui m'atteint", affirme l'irréprochable Job (3:25) accablé par Dieu faisant mumuse avec Satan. Eux aussi, les supporters ont vu venir que ça ne rentrerait pas, que le PSG ne gagnerait pas, et en même temps ils ont trouvé tellement injuste que les dieux du foot ne leur accordent pas la délivrance méritée, la victoire dans les arrêts de jeu… Alors qu’Ajaccio n’a fait qu’un tir! Un seul! Et le PSG 37! La barre en tremble encore. Démunis, ils n’avaient même pas de cibles à accuser. Gardien virevoltant, arbitrage impeccable, adversaire qui joue avec ses armes… Certains accusaient donc le sort, comme les favoris accusent toujours le sort: contre eux et eux seulement les autres se dépassent soi-disant toujours, ont de la réussite comme jamais… Comme s'il fallait toujours que quelqu'un, ou quelque chose, porte le chapeau pour l'injustice.
Mais s’ils n’ont pas tous lu la Bible, les supporters connaissent le foot et savent, au repos, en tirer les mêmes enseignements: on gagne, on perd, avec ou contre le cours du jeu, et il ne nous appartient pas d’estimer si les choses sont justes ou non. Elles sont. Comme bien des joueurs, les supporters sont d’ailleurs superstitieux. Reste le sentiment que quand même, là, vraiment… "Si on rejoue le match dix fois..."
L’attaque mérite-t-elle de gagner ?
On va prendre acte du fait que Dieu est mort, considérer que la question de la justice est légitimement posée dans ce monde, et s’interroger finalement sur le sentiment le plus répandu: il semble naturel de considérer que l’équipe qui a poussé pour l'emporter méritait de gagner. Mais dans quelle mesure celle qui a défendu ne méritait-elle pas, elle aussi, de repartir avec un point? La notion de "mérite" signifie que lorsque des efforts ont été fournis, il est normal et naturel qu’ils soient récompensés. À partir du moment où les efforts et les qualités des Ajacciens leur ont permis de tenir, on ne peut considérer que le match nul n’est injuste que si l’on admet, implicitement, le privilège de l’attaque sur la défense. Car quoi d’autre? Si ce n’est pas le sentiment que l’attaque valeureuse mérite plus de gagner que la défense valeureuse d’obtenir un match nul, qu’est-ce qui pourrait justifier qu’on ressente une forme "d’injustice" face à ce résultat? En lisant les commentaires, on est obligé de constater que les efforts défensifs ont moins de valeur (comme aux yeux des jurys du Ballon d’Or). D’ailleurs, si Paris avait marqué un second but, il y a fort à parier que beaucoup – peut-être les Ajacciens eux-mêmes! – aurait trouvé cela "normal". Après tout Paris avait dominé, Ochoa avait retardé l’échéance autant que possible, mais finalement, il devait bien y avoir une "logique"... Cette logique est celle de la valeur supérieure des velléités offensives sur la ténacité défensive.
Pour des raisons esthétiques? Parce qu’au foot, pour gagner, il faut nécessairement gagner, et donc, quelque part, un minimum, attaquer? Mais n'attaquer qu'une fois a failli suffire. En termes de qualité et d’intensité, la valeur des efforts, ce dimanche, était largement réciproque. Sur le plan tactique, on peut même estimer qu'Ajaccio a mieux joué. Reste, pour départager les efforts aux yeux de la justice, leur orientation. Mais il faudrait expliquer en quoi l’une est supérieure à l’autre, surtout en championnat ou une équipe supérieure reçoit celle qui n’est pas assurée de se maintenir. Dans le cas contraire, le match nul doit apparaître comme un résultat assez juste, et même, allez, parfaitement logique, parce qu'il a reflété le déroulement du match.
La parole est à la défense
Autre détail intéressant: la note de 9/10 attribuée à Ochoa par L’Équipe. On ne s’étonne généralement pas que les notes soient décevantes. Mais celle-ci était particulièrement attendue. Se flattant sans doute d’avoir un niveau d’exigence élevé, l’évaluateur a dû estimer qu’en ayant pris un but, Ochoa avait "failli", d’une certaine manière, au bout du compte – ou bien il a estimé qu'Ochoa avait dû être suppléé quatre fois, par ses montants ou ses défenseurs, et que son match n’était donc pas parfait. Ou les deux. Mais dans la mesure où il est absolument impossible de reprocher à Ochoa d’avoir encaissé le but (il était même particulièrement bien placé, et aurait pu capter une frappe moins puissante ou moins bien cadrée), de même que ses défenseurs n’ont pas eu à compenser une éventuelle erreur (au contraire, le mérite revient aussi à Ochoa de laisser quelqu’un au premier poteau sur corner), pourquoi faut-il déprécier la performance individuelle du gardien sous prétexte qu’elle n’a pas suffi? Que fallait-il à Ochoa en plus d’être irréprochable? Il lui fallait, pour être parfait, contrarier l’intégralité de la sacro-sainte attaque.
Parce que la finalité du foot est finalement de marquer des buts, la performance de l’attaquant écrase les autres qualités, et seul peut être parfait le gardien qui a su garder sa cage "inviolée" (terrible, ignoble métaphore). Ainsi le gardien qui n’a pas su être l’ultime rempart pour empêcher le ballon de franchir la ligne n’a alors pas parfaitement joué. Il a finalement eu droit à sa petite pénétration, parce que son équipe l’avait bien cherchée, et serrant ainsi les fesses. Le privilège de l'attaque? Peut-être un sexisme caché.
[1] Faut-il intégrer les budgets des équipes dans la réflexion? Mais peut-être que Paris a mérité le prestige et le budget qui sont les siens?