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Peut-on vraiment faire dire n'importe quoi à une statistique?

Entre ceux qui attendent la vérité des statistiques et ceux qui n’attendent rien d’elles, un troisième camp est possible, et ce n’est pas celui de ceux qui s’en foutent à la télé.

Auteur : Gilles Juan le 20 Dec 2013

 

 
En entendant Pierre Ménès ("encore lui! Oh mais ils vont arrêter, oui!") déclarer, à la suite de la lecture des statistiques plutôt positives (97% de passes réussies) de Jérémy Ménez après le match à Benfica: "Eh ben décidemment les stats c’est vraiment n’importe quoi" (tellement il était clair que Ménez avait réalisé un match médiocre), j’ai compris plusieurs choses, concernant l’usage des statistiques et la rhétorique télévisuelle en général, et je m’en vais vous en faire part, si vous le voulez bien.
 

 





Le défi statistique

Premièrement, j’ai compris qu’on peut donc ne pas être intéressé par des statistiques qui contredisent notre impression. On voit un match, on ressent quelque chose, on est apparemment contredit, et on considère… que c’est inintéressant. Si, par exemple, on a le sentiment qu’un joueur a été transparent, qu’il a sans doute marché tout le match, et qu’on apprend qu’il a en fait davantage couru que tous les autres, certains vont donc considérer que leur sentiment est prioritaire. Qu’il est vrai (parce que c’est une perception directe? Parce qu’il est honnête? Parce qu’on s’y connaît?), tandis que les "chiffres" sont abstraits, aveugles (et il ne fait aucun doute que ceux qui mesurent n’ont jamais mis le pied sur un terrain).


J’ai compris, ensuite, que l’orgueil n’était pas la seule cause de ce genre de réactions: la superficialité est l’autre ressort du déni des statistiques. On va donc se permettre de le rappeler: aucune statistique n’impose de vérité. Sans même revenir sur leur impossible caractère prédictif, leur seule vertu de description est elle-même une vertu limitée: la statistique n’est pas la science du jeu. Le fait de mesurer "97% de passes réussies" n’impose absolument pas de considérer que Ménez a fait un bon match, même si son rôle est d’être passeur, et même il s’agissait d’un pourcentage effectué sur un nombre important de passes. A-t-il pris des risques? Ses passes ont-elles mis ses coéquipiers en condition favorable? N’a-t-il pas parfois fait la passe de trop au lieu de percuter ou tirer?


L’équipe de France défaite au match aller en Ukraine avait des statistiques plutôt honorables concernant son engagement (nombre de tacles, de ballons récupérés, etc.). Devait-on en déduire que son match était parfait? Bien sûr que non. On devait simplement affiner. Soit mettre un peu d’eau dans son vin, soit approfondir les raisons (si on voulait persister à enfoncer l’équipe de France) qui fondaient le jugement "Ils se sont fait écraser".



L’apport statistique

De manière synthétique: les statistiques ne disent pas les vérités du match, mais ça ne signifie pas qu’elles ne servent à rien. À ce constat, qui exige donc de faire des nuances, de développer une réflexion (quel usage puis-je faire de la statistique? Comment l’intégrer dans mon évaluation?), se greffe une autre angoisse, à laquelle Ménès arrivera peut-être bientôt, car il progresse. L’angoisse est que l’on puisse "faire dire tout et n’importe quoi à une statistique", puisqu’il est question, toujours, de les interpréter pour les intégrer à un jugement ("Ménez est nul").


Eh bien, il faut savoir qu’on ne peut pas faire dire "tout et n’importe quoi à une stat": les faits qu’elle mesure résistent toujours à certaines théories. Sans imposer, elles empêchent. Un joueur qui aurait couru quatorze kilomètres a objectivement beaucoup couru: a-t-il "fait son match"? On peut interpréter la statistique (en la rapprochant notamment avec d’autres – nombre de ballon interceptés, etc.) pour répondre oui, ou pour répondre non (il n’est pas impossible de courir pour rien, et quand on court pour rien, il n’est pas impossible d’avoir néanmoins fait un bon match, par exemple parce qu’on a multiplié les appels). Mais on ne peut pas faire dire à la statistique que le mec parcourant quatorze bornes s’en foutait royal.


Ça a l’air simple, mais nombre de commentaires ou d’"analyses" statistiques montrent que ça ne l’est pas. Voici donc un résumé: une statistique mesure des faits; ces faits n’imposent pas un jugement, mais s’imposent au jugement. En bref, elles n’imposent pas leur interprétation.



Que oui que non

Enfin, j’ai réalisé autre chose grâce à Pierre Ménès, et je l’en remercie: l’alternative est la logique indépassable des plateaux de télé. C’est oui ou c’est non. Ménez a fait ou bien un bon match, ou bien un mauvais match. Les statistiques servent à prouver, ou ne servent à rien.


Présenter les réflexions sous forme d’alternative est une stratégie rhétorique classique en politique ("Vous voulez la réforme des retraites ou bien la fin du système par répartition?"), et cette présentation des choses s’impose aussi à la télévision, avec les mêmes conséquences d’appauvrissement du débat. Il semble cependant qu’elle se fasse à l’insu des personnes présentes sur les plateaux télé. Presque malgré eux: la logique des plateaux télé étant celle de la prise de parole, dans les émissions en direct il faut mériter le cadre et le temps d’expression et, sans s’en rendre compte, les interlocuteurs sont obligés de faire valoir leur position par une opposition franche à la parole qui précède [1]. Les questions elles-mêmes appellent des jugements tranchés: une suite de référendum insensés tient lieu de débat public [2]. La nuance n’arrive généralement qu’en troisième position, après deux opinions trop radicales pour être vraies ou intéressantes – mais c’est généralement déjà l’heure de la pub, d’une "pastille", ou de zapper.


Bien sûr, l’opinion tranchée a ses vertus (elle souligne ce qui risquerait de passer inaperçu dans un jugement nuancé… elle invite à mettre l’accent sur une cause plus forte que les autres…), mais lorsqu’elle est mise en situation de s’affiner pour s’affirmer (les statistiques invitaient, non à remettre en cause, mais à creuser le jugement, sans doute vrai, sur le match de Ménez), il est inexcusable d’envoyer paître un outil de mesure qui ne veut de mal (ni de bien) à personne.


C’est comme si les plateaux télé imposaient l’alternative suivante: la prise de parole ou la prise de recul.


[1] Olivier Pourriol détaille cela dans le livre qu’il a publié au terme de son expérience au Grand Journal, On / Off.
[2] Recourir plus systématiquement à des référendums a d’ailleurs toujours été un pilier des programmes d’extrême droite.

 

Réactions

  • Karel Pauvre Au Ski le 20/12/2013 à 09h37
    Pour ce qui est des stats, je trouve surtout qu'on utilise pas celles qu'on devrait. Pour avoir bosse dans ce domaine pendant plusieurs annees et avoir assiste a l'enrichissement des donnees qui sont acquises dans un match de foot, ca m'intrigue toujours qu'on se serve des stats les plus "basiques", qui sont pas forcement les plus revelatrices. On regarde le nombre de passes, le pourcentage de passes reussies, les kilometres parcourus, le nombre de tirs...

    Et du coup, oui, on passe a cote des details: passes vers l'avant ou vers la defense? Ouverture de 40 metres qui atterrit dans la course ou bien passe a 3 metres vers un coequipier isole? Courir plein de kilometres, certes, mais si c'est a cause d'une science du placement catastrophique, c'est pas forcement un bon signe.

    Les fournisseurs de stats les plus pointus peuvent donner un niveau de granularite assez dingue, mais on en revient a l'aspect aborde dans le dernier paragraphe: ca prendrait plus longtemps d'analyse toutes les stats correctement que de regarder le match.

    J'aimerais beaucoup vivre dans le quotidien des gars qui etudient les stats pour les gros clubs, parce que eux, je suppose qu'ils decortiquent d'une maniere assez fascinante.

    Je sais qu'il est mentionne assez souvent sur les CdF, mais si y en a qui s'interessent de pres au cote stats du foot, allew faire un tour chez Richard Whitall, c'est toujours sympa ( lien).

    Concernant le dernier paragraphe, cette approche binaire de l'analyse semble de plus en plus presente. Le cas "Messi ou Ronaldo" etant sans doute un exemple frappant. Le nombre d'invites a qui on demande de choisir sans leur donner l'occasion de parler du style de jeu respectif et de l'apport general a l'equipe... c'est navrant. Et maintenant, ici, (en Angleterre) ils font pareil avec Suarez/Aguero - voir le mini debat entre Carragher et Neville sur le theme de "kikice qui va scorer le plus". Harumph.

  • Pascal Amateur le 20/12/2013 à 10h42
    En même temps, c'est vrai que 100% des gagnants ont tenté leur chance.

  • Zorro et Zlatan fouillent aux fiches le 20/12/2013 à 10h55
    Un article malin à 99% avec 97% d'intérêt de ma part et 92% de hochements de tête réussis.

  • Dastardly le 20/12/2013 à 11h07
    Ca me rappelle la phrase d'un de mes profs de math, qui disait "Les statistiques, c'est comme les bikinis: ça cache l'essentiel".

  • Pascal Amateur le 20/12/2013 à 11h12
    Qu'en pense Didier Proba ?

  • la menace Chantôme le 20/12/2013 à 11h41
    Complètement d'accord avec Karel.

    Je suis constamment sidéré par le manque de profondeur des analyses de Canal. Un vide constant, que j'espère justifié par un manque de moyens et de solutions d'analyse en cours de match (j'ai du mal à le concevoir, mais bon...).

    Mais dans ce cas, j'ai envie de dire, peut-être vaudrait-il mieux ne rien montrer du tout...

    Et malheureusement, les émissions entre "spécialistes" sur Canal et autres "clubs" sur BeIn ne rattrapent pas vraiment le coup sur ce plan (même si je suis assez satisfait de ce que produit BeIn en matière d'analyse du jeu).


    Tu regardes un match de NBA sur ESPN et tu vois tout de suite la différence (et pourtant, même eux pourraient sûrement faire mieux).

  • la menace Chantôme le 20/12/2013 à 11h43
    Je me reprends :

    Je suis constamment sidéré par le manque de profondeur des analyses [statistiques] de Canal. Un vide constant, que j'espère justifié par un manque de moyens et de solutions [logicielles] d'analyse en cours de match (j'ai du mal à le concevoir, mais bon...).

  • Milan de solitude le 20/12/2013 à 11h59
    À mon avis, la débauche de statistiques durant un match participe de la "professionnalisation" du commentaire, partant, de son appauvrissement. On ne nous fait plus vivre un match, on nous le scanne : moche... Plus globalement, il s'agit d'une étape de plus dans la "scientisation" de la société.
    En revanche, l'utilisation de statistiques a posteriori, fruit d'un minutieux travail d'analyse et de sélection, me semble éclairant et approprié. Comme, après avoir lu un livre passionnément, on essaierait de le sonder rationnellement.

  • Valbuena Jacta Est le 20/12/2013 à 12h43
    Article très intéressant et qui illustre, à mon avis, un phénomène plus global que le monde du football. Suffit de regarder un peu ce qu'il se passe du côté Open data.

    Je trouve qu'un autre point peut être évoqué. On par le souvent de statistique quand j'aurais plutôt tendance à parler de "données". Pour preuve, 97% de passes réussies est un nombre, un fait indiscutable (aux erreurs de mesures près, of course).

    Pour exagérer un peu et illustrer où je veux en venir : le terme 'statistique' serait plutôt pour répondre à la question "97% de passes réussies, c'est bien pour un joueur de foot ?". Parce qu'au fond, si tout le monde réussit 98% de ses passes, le chiffre brut devient moins impressionnant et certainement moins informatif.

    Y'a un très joli travail, par exemple, qui prend les moments où sont inscrits les buts pendant les coupes du monde et fait des analyses au-delà de la 'simple' description. Et qui illustre bien la différence entre données/descriptions et analyse statistique au sens plus classique du terme.

    BREF. Je m'arrête là avant d'être vraiment rébarbatif.

    Hm ? Comment ça, "trop tard" ?

  • Bouderbala le 20/12/2013 à 13h19
    Pascal Amateur
    aujourd'hui à 11h12

    Hervé Matheux devrait l'inviter.

La revue des Cahiers du football