Peut-on vendre un stade en France ?
Benoît Payan, maire de Marseille, relance l’idée de la vente du Stade Vélodrome. Mais au-delà de la communication politique, cette option souvent évoquée est-elle simplement possible?
La construction et la rénovation des stades français "génération Euro 2016" ont livré leurs enseignements depuis longtemps. Puisqu'ils ne contribuent ni à développer l’affluence, ni à renforcer la compétitivité des clubs résidents par de véritables nouvelles recettes, les élus locaux tentent de sauver les finances publiques dont ils ont la responsabilité.
Face aux charges récurrentes des partenariats publics-privés (PPP) signés par les collectivités territoriales, l’idée de vendre le stade revient dans les options de celles-ci pour se débarrasser de ces "bombes à retardement". Mais la vente d’une telle infrastructure n’est-elle pas illusoire? Est-elle tout simplement possible juridiquement? Et si oui, à quel coût et auprès de quel acheteur?
Stades, domaines publics
Pour assurer une vente, il faut un vendeur. En France, les équipements sportifs appartiennent dans leur grande majorité aux collectivités territoriales. Et même dans les cas des PPP évoqués, elles restent in fine, à l’issue du contrat, les propriétaires de l’installation. Ce sont donc à elles qu’appartient le lancement de la procédure de vente… si le droit le leur permet.
Le droit public, qui brille parfois par sa complexité à rendre fou, distingue en deux catégories les biens dont une collectivité est propriétaire. Ceux qui relèvent du "domaine privé" (une forêt, un immeuble…) qu’elles peuvent céder comme un bien classique, par exemple pour générer un revenu ponctuel. Et ceux qui relèvent du "domaine public", dont les biens sont inaliénables, car ils concourent ou sont affectés à un service public: ceux-là ne peuvent pas être vendus sous ce statut juridique.
Or les stades sont considérés par la jurisprudence comme faisant partie de ce domaine public. Pour vendre un stade, il faut au préalable le "déclasser" du domaine public afin de le rendre juridiquement cessible.
Si la volonté politique du maire ou du président de l’Agglomération est suivie par sa majorité, et que l’opinion publique ne s’en mêle pas (ce qui reste illusoire pour une question liée au football et/ou au patrimoine identitaire local comme un stade…), il est possible de passer à l’étape suivante de la cession.
Un équipement atypique
Pour assurer une vente, il faut un acheteur et un prix. Un bien public s’évalue selon des règles. Les collectivités territoriales se tournent vers la Direction de l'immobilier de l'État (DIE, anciennement désignée comme "les Domaines") qui en fixe le montant en fonction de plusieurs critères. Comme un agent immobilier, la DIE prendra en compte sa localisation, son état, l’investissement réalisé, bref sa "valeur locative", pour proposer un prix de vente.
Or un stade est un équipement atypique, occupant une surface très importante, parfois dans des zones urbaines ou périurbaines à forte valeur. En contrepartie, il ne présente pas pour l’acheteur la garantie de rentabilité d’une forêt ou d’un immeuble de bureaux. Lorsqu’on a recours à la DIE, la valorisation peut parfois être élevée. Particulièrement pour l’acheteur le plus logique que serait le club résident.
Les discussions s’entament alors sur une fourchette assez large, allant, par exemple pour le Stade Geoffroy-Guichard, de 200 millions d’euros côté public à… l’euro symbolique côté club. Comme pour un transfert ou un rachat de club, il n’est jamais évident de trouver le prix susceptible de rendre heureuses les deux parties de la transaction…
Même si cela fait sens de vendre un stade à un club, qui est a priori le mieux à même d’en assurer la valorisation, d’autres paramètres entrent dans la réflexion de la collectivité. Les clubs ne sont pas réputés pour leur surface financière, ni pour leur solvabilité. Et ils auront la volonté d’essayer d’en minorer le prix, pour privilégier plutôt l’investissement dans la compétitivité de l’équipe.
Beaucoup de verrous à faire sauter
Sous la pression éventuelle de l'opinion publique, surtout en période électorale, la majorité municipale peut leur préférer un acteur immobilier plus classique, et plus rassurant. Par exemple un promoteur qui paierait le juste prix, mais aurait alors le loisir de raser le stade pour y développer une zone commerciale ou d’habitation… Le dossier serait tout aussi explosif politiquement.
Pour sortir de l’impasse, il reste la possibilité de négocier non pas avec le club, mais avec son propriétaire ou une société lui appartenant. C’est le choix fait par la ville de Nîmes à l’été 2019, qui a vendu le Stade des Costières au président du Nîmes olympique Rani Assaf pour huit millions d’euros (l'évaluation de la DIE s'élevait à cinq), contre la promesse d’un nouveau stade rentabilisé par un investissement immobilier massif sur la zone.
Une fois franchies les étapes juridiques, administratives, financières et commerciales, un stade peut donc être vendu… sauf si le jeu des acteurs a déjà été contractuellement fixé. C’est le cas à Marseille, où la Ville a signé un PPP avec la société Arema pour la rénovation du Vélodrome, avant que cet opérateur privé (filiale d’une major du BTP) ne signe lui-même un contrat avec l’Olympique de Marseille pour l’exploitation du stade. Contrat qui court jusqu’en 2045.
Pour mettre en œuvre une telle vente, le maire de Marseille aurait donc beaucoup de verrous à faire sauter. Le sujet relancera le débat sur les "associés-rivaux" que peuvent être les collectivités territoriales et les clubs professionnels sur ces questions d'infrastructures. Il rappellera aussi la nécessité, avant de se lancer dans un tel projet, de démontrer son utilité sociale, son intérêt pour les finances publiques et l'existence d'un projet stratégique.
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