Pelouse interdite
When Saturday Comes – Dans une Angleterre encore hantée par le hooliganisme, l'envahissement du terrain de Wembley par les supporters de Millwall a fait polémique. Ce vieux rituel est-il devenu inacceptable?
Extrait du numéro 365 de When Saturday Comes. Titre original : "Keep off the Grass", traduction Toto le zéro.
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Les envahissements de pelouse ne sont pas rares dans le football: exploits en Coupe, célébrations de fins de saison ou encore protestations de supporters, ils entraînent bien souvent le départ précipité des joueurs aux vestiaires dès le coup de sifflet final.
La saison 2016/17 en aura connu un plus grand nombre qu’à l’accoutumée, que ce soit entre Sutton United et Lincoln City en Cup, lors de la manifestation des fans de Leyton Orient ou quand les supporteurs de Tottenham ont fait leurs adieux à White Hart Lane. La plus récente, et celle qui sera restera probablement comme la plus marquante, a été l’incursion des fans de Millwall à l'issue du barrage pour l’accession en League One contre Bradford – une première à Wembley depuis la réouverture du stade.
Hooliganisme ou fête ?
L’initiative prise par cette centaine de supporteurs n’a pas fait l’unanimité parmi les joueurs et les supporters du club. Outre les huées des spectateurs restés à leur place, Steve Morison, le buteur du jour, déclara sur Sky Sports que sa journée avait été gâchée. À l’inverse, son coéquipier Aiden O’Brien a fait polémique en se montrant plus compréhensif: "Ils nous ont supportés durant toute la saison. Ils ont autant le droit de faire la fête que nous. C’est dans un esprit d’équipe, et ils font partie de l’équipe".
Sans surprise, cette déclaration ainsi que l'invasion des fans ont été vertement critiqués dans la presse et les réseaux sociaux, une pétition allant même jusqu’à demander la dissolution du club. S’appuyant sur le passé de Millwall, beaucoup décidèrent de voir dans cet incident une résurgence du hooliganisme plutôt que des supporters fêtent simplement une victoire sur le terrain, comme lors d’une certaine victoire en Coupe du monde sur cette même pelouse de Wembley.
Si brocarder les joueurs prostrés de Bradford a singulièrement manqué de classe, ce fut néanmoins sans commune mesure avec les jets de sièges par des spectateurs dans le stade de Kenilworth Road de Luton Town en 1985. Il faudrait plutôt comparer avec le célèbre envahissement de la pelouse par les supporteurs écossais de la Tartan Army en 1977, à la suite d’une victoire sur l’Angleterre, une scène désormais qualifiée de "mythique" par le Daily Mail, ce sans la moindre once d’ironie.
Un incident dérisoire
La déclaration d’Aiden O’Brien a fini par trouver un écho parmi une partie des supporters des Lions, vexés par l’écho disproportionné accordé à l'incident en comparaison des autres envahissements de pelouse de Gander Green Lake ou White Hart Lane plus tôt dans la saison. Sans forcément justifier l’attitude de leurs pairs, beaucoup de supporters n'ont pas, non plus, voulu les condamner pour avoir ainsi fêté une promotion qui semblait improbable en toute fin de saison, lorsque Bristol Rovers avait fini par arracher un nul 3-3 à l’équipe de Neil Harris.
Stuart McCall, le manager de Bradford, a déclaré qu'il aurait volontiers "cogné" les fans qui se sont moqués de ses joueurs tout en prenant des selfies, mais l’affaire reste dérisoire par rapport à celle du supporteur de Tottenham qui s’était jeté sur le dos du Mancunien Anthony Martial.
Au cours de la semaine, des rumeurs infondées d’attaques au couteau et de trafics de drogue parurent dans divers journaux pour finir par la soi-disant stupéfiante révélation du Daily Mail selon laquelle les supporteurs de Millwall s’étaient non seulement tenus debout durant tout le match, mais auraient également eu recours à un langage "abject".
Dramatisation et hypocrisie
Que le club soit la cible du tabloïd n’est en fait pas une première. Plus tôt dans la saison, l’éditorialiste Oliver Holt s’était surpassé à la suite d’un exploit du club en FA Cup. Alors que des supporteurs déferlaient sur la pelouse pour célébrer la victoire surprise contre Leicester City, comme ils le referont donc à Wembley, Holt avait cru y voir matière à un grand titre-choc. Il commença par évoquer sur Twitter des "scènes inquiétantes" au stade The Den et posta une photo prétendant montrer des policiers à cheval traversant la pelouse. Malheureusement pour lui, ses frayeurs furent quelque peu atténuées par le direct de la BBC, dont la vision la plus angoissante fut celle d’un supporteur en pleine séance d’air guitar au son du Rocking All Over The World du groupe Status Quo que crachaient les haut-parleurs.
La Ligue anglaise a publié un communiqué reconnaissant une recrudescence des envahissements de pelouse. La Fédération ainsi que le stade de Wembley firent de même, critiquant en outre les supporteurs de Millwall sans pour autant expliquer pourquoi un point d’accès au terrain avait été laissé ouvert et sans surveillance.
De telles accusations semblent toutefois vides de sens alors que des images empreintes de nostalgie représentant des scènes similaires dans le passé sont affichées dans les halles des stades… et que même le programme officiel du match comportait une image de 1999 des supporteurs de Manchester City, alors en D3, sur la pelouse lors d’une rencontre de barrage. Des images acceptables ou à reléguer dans le passé? Il faudrait se décider.
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