Marseille : la normalité ou la mort
L'OM doit-il "redevenir l'OM", ou bien cette ambition serait-elle en soi une tragique méprise? Bouchet et Perrin doivent plutôt s'attacher à réinventer le club, afin d'assurer son avenir aussi bien que sa survie immédiate. Et ils semblent assez bien partis…
Auteur : Pierre Martini
le 2 Sept 2002
L'Olympique de Marseille, sans renier son passé, semble contraint désormais de s'inventer une identité neuve sans chercher le moins du monde à renouer avec les recettes de ses deux seules vraies périodes fastes (Leclerc et Tapie I), dont les modèles de gouvernance ne sont en aucun cas des modèles à suivre de nos jours. Parvenu au seuil d'un coma qui serait fatal à sa présence dans l'élite, l'OM n'a plus le choix. Le pari de Christophe Bouchet et Alain Perrin, pour risqué qu'il soit, a l'obligation — mais aussi de vraies chances — de réussir. Le club ne doit pas craindre d'y perdre une identité qui, poussée jusqu'à l'absurde et à la caricature, lui a valu une image déplorable autant qu'une situation désespérée. Le folklore local a ses limites, surtout quand les pires clichés sont rejoints par la réalité elle-même. L'arrivée de Bouchet et Perrin — pondérés, rationnels, mesurés dans leurs propos — constitue à en soi une révolution culturelle dans une entreprise habituée aux rodomontades de ceux qui les ont précédés. Et au bout des quatre premiers mois de la nouvelle présidence, leur premier bilan est plutôt positif. Apurer le passif Pour la première fois depuis des lustres, une véritable équipe dirigeante est en place, dont la politique sportive est lisible, cohérente et transparente. Si elle n'épuise pas toutes ses forces dans ce travail herculéen consistant à d'abord nettoyer les écuries d'Augias, simplement pour pouvoir exercer pleinement et sereinement son autorité, elle pourrait parvenir au succès, fût-ce au prix d'une relative discrétion. Relative car s'il figurait de nouveau au sommet, l'OM ferait sans nul doute la Une, et cette fois pour des raisons plus honorables que ses déboires financiers, sportifs ou judiciaires. Mais l'héritage n'est pas un vain mot. "La réalité est effrayante, elle pèsera lourd encore longtemps. Les dix-huit derniers mois ont consommé une fortune colossale, les dix-huit prochains en consommeront encore. Un immense tas de boue a été lancé, il est difficilement arrêtable". Passons sur l'image du tas de boue lancé comme un train fou, assez indigne du journaliste qu'il fut, mais au moins Christophe Bouchet ne minimisait-il pas les difficultés à affronter (La Provence, 13/08). L'OM n'en finit pas en effet de payer les conséquences des "politiques" précédentes. Non seulement la masse salariale — comme celle de la plupart des clubs — a atteint un niveau critique (1), mais le club ne peut pas se dégager de nombreux engagements contractuels sans le payer au prix fort devant les prud'hommes ou tout autre instance compétente. Le contrat du préparateur physique Jean-Charles Trouabal comportait par exemple un préavis de… 12 mois! Et il faut aussi compter sur les développements judiciaires des affaires en cours d'instruction, comme celle concernant Rolland Courbis, qui peuvent encore réserver de mauvaises surprises. Surtout, la marge est très étroite: aucun dérapage financier ne pouvant plus être toléré, le club est condamné à un équilibre que seuls lui offriront de bons résultats sportifs et une bonne gestion générale, et non plus la générosité de l'actionnaire (2). Ménager un avenir Au-delà de cette lourde gestion des urgences, il s'agira de mener à bien de nombreux chantiers dont dépend la survie — cette fois dans les moyen et long termes — du club. Dramatiquement dépourvu d'infrastructures pour une formation de cette dimension, l'OM bénéficie cette saison d'un centre d'entraînement rénové (la troisième tranche des travaux de la Commanderie devrait être financée par RLD). Mais le centre de formation reste à l'état de projet, de même que l'acquisition d'un nouveau siège dont l'OM serait propriétaire (des recherches ont cependant été engagées). Et ne parlons pas de la couverture du Stade Vélodrome, dont les gains en confort et en acoustique ne seraient pas négligeables, mais qui relève de la science-fiction. Sur le plan politique, il faudra gérer au mieux les relations avec une municipalité forcément échaudée, et avec des supporters qui jouent pour le moment le jeu de l'union sacrée. En sera-il de même lorsqu'il faudra remettre en cause la gestion — plutôt opaque —des abonnements par ceux-ci? En tout cas, le temps où c'était le président d'une association qui annonçait aux journalistes le dernier limogeage en date semble révolu. En interne, il faut continuer le ménage et remettre sur pied une administration traumatisée et divisée par les anciennes luttes. Bref, il s'agit de remettre toute la structure en état de marche. Le salut par le terrain L'effectif olympien ne devait a priori pas lui permettre de jouer les premiers rôles dès cette saison, mais la dynamique et la rigueur insufflées par Perrin ont des résultats rapides, du moins à en croire les enthousiasmantes prestations de son équipe, passée la défaite initiale contre Nantes. Avec l'austérité qui le caractérise, l'ex-entraîneur troyen semble avoir établi un nouvel état d'esprit dans le groupe pour faire accepter la concurrence et ses propres méthodes. Les déclarations des joueurs consignées par France Football (30/08) en donnent la mesure : "Il n'y a pas de joueurs en vacances" (Van Buyten). "Personne ne revendique le droit de jouer et chacun doit faire ses preuves à l'entraînement" (Fernandao). "Chacun est à sa place" (Belmadi). "Aujourd'hui, on ne pense qu'à travailler" (Bakayoko). "L'entraîneur est clair, il nous explique ses choix" (Sakho). Il faudra que cette harmonie résiste aux périodes de doute, mais le décor est bien posé pour un renouveau sportif. L'objectif du premier quart de tableau semble alors réaliste, même si l'équipe a sans doute des limites (le manque d'efficacité à domicile contre Lyon et Auxerre les désigne peut-être). Un jeu rationnel, un groupe motivé, des dirigeants déterminés… Si l'OM parvient à devenir un club "normal", la fête pourrait faire son retour au Vélodrome et la ville tout entière se réconcilier avec son équipe. Avec cette saison de reconstruction, Marseille a un sursis à gagner. Et pourquoi pas, un avenir. Il aura vraiment fallu flirter avec la catastrophe pour y parvenir, mais cela serait une vraie bonne nouvelle pour le football français. (1) L'intersaison cependant a été plutôt bien employée pour conclure des prêts et des départs, puisque selon C. Bouchet la masse salariale est repassée en dessous des 50% du chiffre d'affaires (La Provence, 14/08). (2) Malgré le contexte général difficile, l'OM peut nourrir quelques espoirs sur le plan économique. Le club a au moins prouvé qu'il pouvait contribuer à l'enrichissement personnel de quelques margoulins et en ne marchant plus sur la tête, il pourrait redevenir une valeur sûre et voir sa cote remonter. Il devrait déjà être bénéficiaire du futur mode de distribution des droits télé que la Ligue discute actuellement, partiellement indexé sur les audiences respectives des équipes. Ses ressources en billetterie ne baissent pas malgré les années de disette et la "marque" reste prestigieuse.