Luzenac, intrus dans la tête
Le Luzenac AP, à ce jour privé d'accession en Ligue 2, a perdu "le championnat de France des tribunaux". L'affaire illustre d'abord l'opacité des décisions des instances sportives… et leur peu de goût pour les "petits poucets"?
En interdisant l'accession du petit club ariégeois en Ligue 2, la LFP a mis fin aux espoirs de professionalisme de Luzenac pour la saison prochaine. En l'attente d'un nouveau recours, la Ligue clôt un feuilleton juridico-financier qui a montré les limites du principe de confidentialité cher aux décisions du "gendarme financier" du football français. Manque de transparence, théories du complot, innombrables étapes judiciaires: le néophyte a bien du mal à saisir les tenants et aboutissants de ce qui semble tourner, de l'aveu même de Frédéric Thiriez, au "championnat de France des tribunaux".
Pas de place pour les petits ?
L'affaire Luzenac avait pourtant tout de la "belle histoire", de celles que la France aime et que le football permet. Dans un championnat qui risque d'être longtemps écrasé par quelques mastodontes et, plus généralement, dans un football où la "glorieuse incertitude" semble s'être réduite à peau de chagrin, l'épopée du club de ce village de 650 âmes avait des allures rafraichissantes de Coupe de France.
On se gardera bien d'avancer, selon la formule en vogue chez bon nombre de présidents, que "Luzenac dérange" – l'opacité relative des procédures et décisions n'invitant pas à formuler des jugements aussi radicaux. Rappelons simplement qu'un rapport sénatorial récent proposait une nouvelle "régulation" pour "préserver l'aléa sportif sans freiner les investissements". L'incertitude inhérente au sport, en effet, "fait fuir les investisseurs", et "n'offre pas la visibilité nécessaire pour le financement à long terme d'une infrastructure". Parmi les propositions du rapport, on trouvait la diminution du nombre d'accessions et relégations, l'obtention de licences clubs ou de wild cards... Des préconisations augurant d'un avenir peu propice aux petits poucets qui s'inviteraient dans l'élite.
Décisions sans justifications
Luzenac, c'est d'abord la chronique un peu absurde de comptes non validés pour cause de recettes manquantes, lesquelles n'étaient pas exigibles au 30 juin, la date butoir à laquelle jugent la DNCG, puis le CNOSF. Il a fallu que le Tribunal administratif de Toulouse ordonne à la DNCG de revoir sa décision pour que le budget du club soit validé. C'est finalement sur la question des normes et de la sécurité que le LAP s'est vu refuser son accession. Le stade Ernest-Wallon, antre du Stade toulousain et de matches de l'équipe de France de football Espoirs, ne possède pas de vidéosurveillance et ne peut donc faire office de "stade de repli". Summum de l'ubuesque, le président Ducros affirme que les travaux en question, chiffrés à quelques 450.000 euros, étaient prévus de longue date mais que le club attendait la confirmation de son accession pour les engager...
Comment juger ? Les décisions motivées de la Ligue et de la DNCG, contrairement à celle du Tribunal administratif, ne sont pas rendues publiques. Elles sont notifiées au club qui choisit ou non de les faire connaître. En l'état, chacune des décisions de la DNCG donne lieu à commentaire par une partie, le club, que l'on n'est certes pas obligé de croire sur parole, en particulier lorsqu'il s'agit de sombres histoires d'erreurs de codes IBAN, mais dont la seule version règne sur le "marché médiatique". Le site de la FFF consacré à la DNCG se borne en effet à proposer quelques relevés de décisions en PDF sur lesquels figurent des verdicts laconiques : "Rétrogradation administrative", "Encadrement de la masse salariale", "Mis en délibéré"... Le site de la LFP n'a lui, rien mis en ligne, depuis 2010, à l'exception de son dernier rapport annuel.
"Parfaite confidentialité"
Loin d'être une spécialité française, la dimension privée des motifs de décision avait déjà été critiquée à l'échelle européenne pour le fair-play financier, dont les sanctions semblent se décider entre quatre murs, au cours de négociations dont personne ne saura jamais rien. C'est que, côté DNCG, on assure qu'il faut garder "une nécessaire discrétion". Dans un article publié en 2008 dans la revue Gestion et finances publiques, l'ancien président de la DNCG affirmait: "Il est inutile de dire que la plus parfaite confidentialité est de mise concernant les auditions et les informations données par les clubs, ces derniers étant les seuls maîtres de l'information qu'ils souhaitent donner vers l'extérieur". Dès lors, on ne s’étonnera pas que le LAP ait fustigé la décision ayant permis de sauver Valenciennes malgré un trou de 12 millions d’euros, ou que Sochaux s’insurge de la montée du RC Lens dans les conditions que l’on sait. En l'espèce, les clubs pourront raconter ce qu'ils veulent sans que le public n'y comprenne rien.
Le principe de confidentialité qui justifie la non-publication des décisions motivées de la DNCG a de quoi susciter le doute, lequel nourrit les fantasmes. Il a de quoi interroger, en tout cas, sur la garantie d'une même justice pour tous. À l’heure où les rétrogradations administratives et autres limites de recrutement sont devenues monnaie courante, la situation risque de devenir intenable. Celle de Luzenac, elle, est encore en suspens. Son président Jérôme Ducros a déjà annoncé qu'il irait au Conseil d'État, s'il le faut.