Lettre ouverte à… Franck Ribéry
Avec le temps s'effacent les mauvais souvenirs. Alors vient le temps, parfois dans les derniers moments, de mesurer toute la tendresse qui nous unit.
Salut Franck,
Il y a une dizaine de jours, on a craint une blessure et j’ai eu peur de ne plus te voir sur un terrain. Ce week-end, tu es sorti à la mi-temps et j’ai peur de ne plus te voir beaucoup. En fait, Franck, je me rends compte que j’ai peur que tu ne sois plus joueur de foot.
Je dois te l’avouer, je pense avoir plus de passion pour toi que je n’ai osé me l’avouer depuis une quinzaine d’années. J’ai cette boule dans le ventre à attendre une mauvaise nouvelle, celle de te voir partir, cette angoisse que suscitent les êtres auxquels on tient. Mais ce n’est pas tout.
Je me sens coupable, l’impression poisseuse d’avoir regardé ailleurs lorsque cela m’arrangeait. La mémoire collective doit profiter de tes derniers mois pour te rendre ta stature de meilleur joueur français entre 2006 et 2014. Ta carrière, ta vie, ton physique, ton caractère, tes excès, rien en toi ne peut laisser indifférent, et pourtant, j’ai l’impression que tu n’occupes pas la place qui t’est due.
Combien de revanches ?
Meilleur joueur à Boulogne, meilleur joueur à Brest, meilleur joueur à Metz, meilleur joueur à Galatasaray, meilleur joueur à l’OM, meilleur joueur au Bayern. Quant à la Fiorentina, certaines vidéos ont déjà fait plusieurs fois le tour du web.
Accidenté à deux ans, tu te mets au foot à Boulogne-sur-Mer à six, tu es le plus jeune du centre de formation de Lille à douze, dont tu es viré à seize. La suite: relégation à Boulogne-sur-Mer en CFA, dépôt de bilan à Alès, essai raté à Guingamp et en National à Brest. À vingt et un ans, tu es encore amateur et le resteras jusqu'en 2004, deux ans avant de disputer une finale de Coupe du monde.
Combien de revanches dans ce parcours? Combien de gouffres à franchir en si peu de temps, de regards à faire baisser, de moqueries à éteindre, de risques à prendre et de preuves à faire en attendant l’étincelle?
Metz, Galatasaray et Marseille t’ont mis sur orbite. Tu n’as pas été avare d’efforts, mais ton palmarès restait si mince – une Coupe de Turquie, deux finales françaises perdues avec l’OM, auquel tu as permis de goûter de nouveau à la Ligue des champions. Tu es parti pour jouer cette compétition tous les ans… une année où l’OM y était, mais pas ton si prestigieux nouveau club, le Bayern Munich.
Je me suis dit, à l’époque, que tu aurais pu rester une année de plus. Je me suis moqué en pensant que tu étais ingrat et stupide. Évidemment, l’ingrat et le stupide, c’était moi. Tu es devenu Kaiser Franck, le plus champion du Bayern, le plus champion des Français, tu as tout gagné en club. Alors oui, on dira que c’est le Bayern et en Allemagne, la concurrence… On s’en fout.
Tu t’es fait plaisir, tu as fait plaisir, tu étais enfin l’idole, sans être le plus grand, sans être le plus beau, sans être le plus solaire, mais en étant le meilleur. Le Ballon d’Or 2013 était pour toi. Ton expression quand le nom du vainqueur a été annoncé fut terrible. Tu étais tellement sûr de l’avoir. On voyait ton sourire de gamin, impatient d’avoir sa récompense, ton trac d’être appelé.
Tu n’as pas disparu par la suite, tu as d’ailleurs remporté plus de titres de champion d’Allemagne, mais tu savais que toi, la gueule cassée, le rescapé, tu ne serais plus jamais si proche du sommet.
Les errances, les fulgurances
Bon, Franck, tu as aussi ton côté obscur. Je ne m’étendrai pas sur l’affaire Zahia, tu as été jugé. Mais le souvenir de Knysna est tout toujours aussi douloureux que honteux pour tout le monde. Je l’oublierai un jour, le temps faisant, la sélection naturelle permet d’atténuer certaines colères. Mais, bordel, tu as fait chier tout le monde.
Vous formiez une sacrée bande de débilos, à débiter vos refrains de collégiens. Par quelle magie avez-vous décidé de tous fondre les câbles en même temps, au même endroit, en disant les mêmes conneries? Dix ans après, vous avez pris la mesure de votre débâcle: aucun membre de cette équipe n’a jamais rien gagné en sélection, sauf les deux premiers gardiens.
Certains joueurs ne s’en sont pas remis, Gourcuff du côté des gentils, Toulalan du côté des coupables. Tu es pourtant revenu, toi, pour porter cette équipe quelques années, avec Valbuena et Benzema – les trois grands Bleus entre 2010 et 2014. Et puis tu t’es blessé juste avant la Coupe du monde 2014 et ton ombre a plané sur le quart de finale contre ton pays adoptif.
Tu as abdiqué quelques semaines plus tard et tu as laissé un nouveau groupe prendre le pouvoir et effacer ces mauvaises années – vous effacer, d’une certaine manière. En bleu, tu resteras celui qui aurait dû guider la génération 87. Tu lui resteras associé par le même arrière-goût d’inachevé: les fulgurances n'ont pas suffi.
Aujourd’hui, je tremble un peu, fébrile comme la Fiorentina cette saison, fragile comme les mois restants de ta belle carrière. Franck, je te souhaite une fin à ton image, explosive, imparfaite et inattendue. Du rire, des larmes, ton humour potache, cette arme qui a déridé les vestiaires les plus froids. Je te souhaite tout le bonheur que tu es allé chercher seul et parfois contre pas mal de monde.
Et je te remercie. Pour ton but contre l’Espagne accompagné des "Vas-y mon petit" et "Il est génial le môme" de Thierry Gilardi. Aussi pour ce t-shirt contre l’Angleterre en hommage à "[ton] pote Hicham et M. Gilardi", un de ces gestes qui font parfois du football cette famille incroyable, dans laquelle les plus turbulents sont les seuls à savoir vraiment partager.