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Les footballeurs sont-ils des super-héros ?

Démesurément performants, vêtus d’un maillot numéroté et sacré, traqués dans leur vie privée, les footballeurs sont-ils les super-héros de notre temps?

Auteur : Gilles Juan le 7 Nov 2014

 

 

Est-il nécessaire d’avoir des super pouvoirs pour être un super-héros? Non, d’après Thierry Rogel qui a, dans sa formidable Sociologie des super-héros, systématisé leur définition. Il suffit que le super-héros possède deux des trois caractéristiques suivantes (qui sont autant de repères pour étudier le super-héroïsme):

 

- des capacités extraordinaires ou super pouvoirs
- un costume distinctif pour effectuer des actes héroïques, retiré pour la vie normale
- un double identité

 

Le footballeur pourra être comme Batman ou Nick Fury, démunis de super pouvoirs, ou comme les Quatre fantastiques, qui n’ont pas d’identité secrète. Le footballeur se "contente" d’être doué de facultés terrestres. Mais comme tout héros classique, il porte une ou plusieurs facultés à leur plus haut degré d’expression: la conduite de balle de tel attaquant, les métaphoriques trois poumons d’un milieu de terrain, les réflexes et la détente d’un gardien sont autant d’exemples qui nous permettent de nous identifier au héros car nous pourrions (ou nous pouvions) prétendre à cela aussi, et qui nous en éloignent définitivement – le super-footballeur de la télé est trop largement supérieur.

 

Sur un terrain de foot, place est faite à ceux qui atteignent et repoussent les limites de que nous appelons notre potentiel. Ce pouvoir est conséquent et caractérisable: il est la réalisation d’un ensemble de puissances surdéveloppées, souvent cristallisées dans un coup spécial, dont la forme devient canonique et sert de modèle aux petits héros en herbe (ainsi les buts "à la Ibrahimovic", "à la Inzaghi", la conduite de balle "à la Messi", etc.)

 

 

 


Le maillot est-il un costume de super-héros ?

Oui! Depuis qu’il a son numéro à lui dans le dos, le footballeur ne porte désormais plus le maillot d’une équipe, mais son propre super-maillot [1]. D’ailleurs le maillot vrai, pour le fan du 21e siècle, est incontestablement le maillot floqué, et de moins en moins le maillot neutre d’une communauté. Les clubs eux-mêmes respectent clairement plus le numéro que le maillot, puisqu’ils considèrent qu’il est plus juste de retirer le numéro d’un joueur héroïque, que d’accorder à un nouveau joueur l’honneur de porter ce numéro [2].

 

Le super-footballeur soigne clairement son identité costumée, des orteils jusqu’au bout des mèches (Superman déjà n’allait pas sur le terrain de l’action sans être peigné pour l’occasion). Au concept de costume élargi, on doit en outre ajouter la célébration, le Z qui veut dire Zorro: tout super-héros qui se respecte est clairement identifié par des poses, plus ou moins codifiées. Ronaldo qui s’apprête à tirer un coup franc est un Tony Stark télégénique, à l’orgueil surpuissant et aux abdos d’acier. Batman, posté sur un sommet de la ville, sombre et solitaire, était par anticipation un Thierry Henry qui vient de marquer.

 


Le footballeur a-t-il une double identité ?

L’identité secrète et le masque du super-héros ne sont que les métaphores de la caractéristique plus fondamentale du héros: le dédoublement de la personnalité, les troubles identitaires, la gamberge face au responsabilité. Ainsi, les footballeurs ont eux-aussi une double identité problématique. La première identité, héroïque, est la personnalité médiatique (c’était déjà le cas de Spiderman, puisque Peter Parker façonne l’image de son héros en le photographiant). Cette personnalité médiatique entretient un rapport conflictuel avec la seconde identité, qu’on appelle tantôt intimité, tantôt "vie privée".

 

La personnalité médiatique est façonnée par l’enregistrement et la diffusion (de plus en plus personnalisée avec YouTube) des matches héroïques. La vie privée est censée rester à l’abri, mais comment laisser le héros médiatisé ne pas contaminer la vie privée, et inversement? Le footballeur est homme torturé, plus ou moins à l’aise devant les caméras qui veulent connaître les motivations profondes du héros (que ne chante-t-il pas la Marseillaise?), qui traquent en gros plan ses doutes et exaspérations, qui le provoquent, qui dramatisent les matches et les réduisent à des duels entre capitaines dont les histoires fabuleuses.

 

Le produit du conflit entre les deux identités est ce qu’on appelle "l’image publique", devenue officiellement un critère pour remporter le Ballon d’Or. Les yeux dans les Bleus est au super-football ce que les prequels cinématographiques sont au super-héroïsme classique: la révélation de l’identité problématique des hommes derrière le masque que l’on porte dès la sortie du vestiaire (ou de la cabine téléphonique).

 


Quel bien défendent les super-héros ?

Comme tout super-héros, le footballeur est donc un être surpuissant, costumé et à la personnalité troublée. Il manque encore l’essentiel: les actes héroïques du bien contre le mal. La notion de bien est relative (réalisé à la guerre dans l’épopée homérique, contre la guerre dans les romans modernes), mais ses critères doivent toujours définir le bien en un certain sens (quitte à intégrer une part d’interrogation sur la légitimité de ce bien – Watchmen, etc.). Ainsi, quel est le bien que poursuivent les footballeurs? Dans les comics, aucun super-héros ne se contente de marquer ou tacler, ou n’a considéré comme particulièrement noble de chercher à gagner plus d’argent, de titres ou de récompenses…

 

C’est pourtant le bien, tel qu’il est compris dans la mythologie des super-héros des comics américains, qui valide la considération que les footballeurs sont des super-héros. Dans son recueil d’articles De Superman au surhomme, Umberto Eco réalise que les super-héros ne s’intéressent en réalité qu’à une seule chose: la stabilité du modèle économique et social américain. "D’un homme capable de produire en trois secondes travail et richesses en des proportions astronomiques, on serait en droit d’attendre les plus époustouflants bouleversements de l’ordre mondial, d’un point de vue politique, économique et technologique. De la solution des problèmes de famine au défrichage des zones inhabitables en passant par la destruction des systèmes inhumains, [Superman] pourrait faire le bien au niveau cosmique."

 

Les super-héros n’aident pas les victimes en général (lequel annonce aider "les pauvres", "les exclus", "les faibles" ou je ne sais quoi?), ils viennent toujours au secours d’intérêts particuliers circonstanciels. Le mal n’est toujours qu’un "attentat à la propriété privée" causé par tel ou tel super-vilain [3]. En triomphant du mal on valide le modèle social. Les super-héros excellent simplement là où ce modèle social estime qu’il est important de scintiller. Ils ne remettent jamais en cause l’ordre du monde, ils ne transforment jamais le monde pour le réformer.

 


Quel monde les footballeurs protègent-ils ?

Chercher en quoi le footballeur améliore le monde est alors aussi absurde que de demander à Achille d’être indifférent à sa postérité, ou à Tornade de résoudre les problèmes de sécheresse. Le footballeur joue au football. L’époque en a fait un héros parce que l’époque a mis le football au service de la cohésion nationale, de l’intégration, de la tolérance. Le footballeur est le super-héros de ces volontés-là qui ont choisi leur terrain, le terrain de foot. Lorsqu’il gagne c’est la victoire d’un modèle social (black-blanc-beur) qui remonte "le moral des Français". S’il reste dans le bus, c’est tout naturellement la France entière qui a honte à cause de ses héros.

 

Les rivalités sportives ont remplacé les oppositions militaires. N’est-ce pas quelque chose de positif? Bien qu’il reste historique, l’ennemi s’appelle désormais adversaire. Le supporter supplée le patriote, et la télévision la bande-dessinée. La FIFA forge les règles politiques ambiguës de Metropolis. Les super-footballeurs vont au bout de leurs forces pour faire honneur au costume. Le tireur de penalty doit prendre ses responsabilités. L’erreur d’arbitrage et la victoire contre le cours du jeu sont les injustices profondes du monde des super-héros. En s’endormant, on rêve de marquer en finale.

 

LIRE AUSSI :
MONTS ET MARVEL 1
MONTS ET MARVEL 2

 


[1] le fait que ce costume change dans temps est indifférent: c’est le cas aussi pour les X-Men, Daredevil, etc.
[2] De même que Gotham City a progressivement disparue des Batman de Nolan pour n’être plus, dans le troisième volet, qu’une grande ville comme New York qui réunit des individus méfiants les uns des autres, de même le club des joueurs est de plus indifférent: on supporte le club où joue untel, parce qu’untel y joue.
[3] Captain America et d’autres vont bien combattre Hitler, me direz-vous – il s’agit encore des intérêts privés de l’Amérique: la propagande se grime souvent en générosité. Et les super-héros ne défendent la terre entière que dans des hors-séries, des épisodes exceptionnels, des cas particuliers. Leur quotidien consiste à défendre l’ordre établi – la police disposera d’ailleurs de quoi prévenir Batman.

 

Réactions

  • leo le 07/11/2014 à 10h04
    Chouette article Gilles.

    A noter une analogie de plus avec les super-héros : le fameux "un grand pouvoir implique de grandes responsabilités" de Ben, l'oncle de Peter "Spiederman" Parker, ici la responsabilité d'être des modèles pour les jeunes générations qu'on projette trop souvent sur les footballeurs et, plus généralement, les sportifs de haut niveau.

    Sinon, les super-villains du foot, c'est qui ?

    Les arbitres qui veulent faire respecter une loi souvent vue comme inique (telle la loi de recensement des super héros dans Civil War) ? Les simulateurs et les joueurs qui mettent la pression sur l'arbitre ? Les milieux cyniques qui coupent les contre-attaques en faisant des fautes délibérées au milieu de terrain ?

  • Ibai l'a le 07/11/2014 à 10h55
    Il est super, cet article.

    leo
    aujourd'hui à 10h04

    Les simulateurs et les joueurs qui mettent la pression sur l'arbitre ? Les milieux cyniques qui coupent les contre-attaques en faisant des fautes délibérées au milieu de terrain ?
    ---------------------------------

    Ça fait partie de la bataille entre nos super-héros et l'adversaire, le super-vilain. On en voudra jamais à nos super-héros de leurrer ou déstabiliser l'ennemi de toutes les manières possibles pendant la baston finale, si?

  • De Gaulle Volant le 07/11/2014 à 22h20
    Bel article, beau sujet.

    Qui touche à des questions que tout amateur ayant un jour tenté de s'expliquer de sa passion se sera posées. Quoi de fascinant dans ce spectacle ?

    L'aspect super héro au sens où le footballeur repousse parfois les limites est particulièrement intéressant. Sur le terrain, sa vitesse de course, son aisance balle au pied, son agilité etc. exprime une liberté dans le cadre bien défini du stade (les super-héros les vrais évoluent également dans des cadres rigoureusement définis, codifiés,etc.).

    En dehors du terrain et de manière plus récente, cette caste fascine également en appelant une identification régressive qui fonctionne à plein. L'argent à flot, les grosses voitures et top-model malgré une naissance très modeste. Il s'est fait seul, et sa vie bascule grâce à ce super-pouvoir qui le libère de toute contrainte.

    Il est donc très libre, très fort et partant de là se révèle bien souvent sont propre démon (n'est-il pas, Yohann?). Le mal est en lui. En Roy Kean, en Brandao, en Suarez, en Bernard Tapie... En Yoann Gourcuff.

La revue des Cahiers du football