Le derby le plus paisible d'Europe
Deux équipes de DH dans un stade de DH, mais l'enjeu d'une place en Ligue des champions... Le lendemain d’Inter-Milan, Tre Fiori et Murata se disputaient la suprématie de Saint-Marin.
Auteur : Guillaume Balout
le 24 Juin 2011
Deux jours après l’investiture des nouveaux capitaines-régents, appelés à gouverner cet État de 30.000 habitants pendant six mois, Saint-Marin réussit à retenir les touristes malgré les plages de Rimini toutes proches. La belle affaire pour ceux qui préfèrent les charmes médiévaux de la forteresse, accrochée au sommet du mont Titan, de la plus vieille république du monde. Et qui ignorent aussi superbement Murata.
Le stade au bord du ravin
Au pied des remparts de la Citta, ce hameau ne tient qu’à quelques immeubles ocres, étalés le long de la sinueuse via del Serrone, et à son club de foot, sacré champion sans fléchir de 2006 à 2008. Cet après-midi, les Bianconeri se rendent à Fiorentino, un peu plus bas sur la même route, pour y affronter Tre Fiori, double champion en titre et solide leader d’un championnat de quinze équipes.
On n’est pas arrivé au pied de la montagne qu’il faut déjà se garer au milieu des grosses cylindrées rangées sur le bas-côté. À la sortie d’un virage à gauche, le stade Federico-Crescentini, avec son terrain synthétique comme les huit autres du pays, apparaît encastré dans un talus. Derrière des abris qui font office de bancs de touche, c’est un ravin et déjà l’Italie. Neveu de l’actuel président de la Fédération, Federico Crescentini était un défenseur de Tre Fiori, international à huit reprises, mort noyé après avoir sauvé sa copine des flots de la baie d’Acapulco en décembre 2006.

Voilà pour le "naming" façon SM… Pour le reste, la légende reste à écrire: ni buvette, ni boutique, ni speaker et encore moins de billetterie! Une vieille porte en fer entrouverte donne accès à la seule tribune des lieux, couverte à moitié. Des enfants rompent le silence en s’amusant sur le pré voisin sous l’œil distrait d’un policier accoudé à un muret. A cinq minutes du coup d’envoi, les quelque deux cents sièges du stade sont toujours inoccupés.
Ou presque. Enlevez la famille et les amis, et il vous reste Giampaolo Mazza. Sweat Lacoste, jeans délavé et Nike aux pieds, le sélectionneur national, professeur d’éducation physique la semaine, en poste depuis l’ère Lemerre en France, s’installe incognito avec les vieux du dernier rang. Devant eux, on découvre le visage des propriétaires des sportives allemandes, celui de la jeunesse dorée saint-marinaise en Pento, Ray Ban et tee-shirt moulant. Plus près de la pelouse, prenant le soleil, les filles au teint hâlé s’exposent en groupe. Dans tous les cas, aucune trace d’un quelconque supportérisme parmi les cinquante à soixante spectateurs venus finalement assister au derby le plus paisible d’Europe.
Le gardien de Murata tout près d’ouvrir le score
De timides applaudissements accompagnent les équipes à leur entrée sur le terrain. Murata et Tre Fiori sont les seuls clubs du pays à avoir connu la C1 – Tampere (Finlande), avec une pige d’Aldair, pour le premier, Sant Julia (Andorre) et Pljevlja (Monténégro) pour le second – une compétition accessible aux meilleurs amateurs saint-marinais depuis seulement 2008. Pourtant, l’opposition, à deux journées de la fin de la saison régulière, n’attire pas un journaliste. RTV San Marino a tout de même dépêché un caméraman pour l’immortaliser et en diffuser les meilleurs moments dans l’émission du lendemain. Alors que les droits télévisuels n’existent pas pour le championnat, la seule chaîne locale, copropriété de la RAI et du gouvernement local, prépare chaque week-end un plateau en direct sur… la Serie B italienne avec des présentatrices en robe légère et des images de Sky Sport.

Casquette bien enfoncée sur la tête, les deux entraîneurs font appliquer un 4-4-2 rigoureux, et un rien coincé, qui a le mérite de rappeler l’enjeu du match: une victoire face à un concurrent qui assurerait quasiment la qualification pour les play-off. Portée sur la tactique, Tre Fiori s’attache aux phases de jeu construites de loin. Certains joueurs auraient peut-être leur place en CFA ou CFA 2, mais sont vite rattrapés par une partie au rythme haché. Avec sa chevelure plus sel que poivre, Alessandro Giunta attire l’œil. À trente-quatre ans, un âge à peine mûr pour ce championnat de trentenaires, cette grande carcasse compense son manque de vitesse par un placement d’attaquant d’expérience. Statistiquement, ça suffit pour être jusqu’à présent le meilleur buteur de l’épreuve.
En face, Murata s’en remet plus volontiers à ses talents individuels. Les coéquipiers de Claudio de Sousa cherchent systématiquement leur buteur, trop souvent hors-jeu. L’occasion la plus nette vient du gardien dès les premières minutes: après un long dégagement au pied, deux rebonds et trois mésententes dans la défense adverse, Simone Montanari contraint son homologue à une claquette en corner! Sympa, le championnat saint-marinais. De toute façon, Rimini, c’est surfait...
Tre Fiori vers le triplé
Pour éviter tout malentendu, Montanari montre qu’il se débrouille aussi dans sa vocation première, captant ici un tir lointain, réalisant là une manchette à bout portant. Plus tôt, lorsque Giunta s’est présenté à six mètres de son but, ce dernier avait trouvé le poteau. Avant la mi-temps, Tre Fiori se heurte à la transversale, mais Murata mène alors déjà au score après un coup franc en pleine lucarne de Gabriele Cardini.
À la pause, quelques spectateurs sautent dans leur coupé pour une course à faire. Sur la pelouse, à côté des remplaçants qui s’échauffent, les enfants reprennent leurs jeux. Au retour des joueurs, le sélectionneur ne raccroche plus le téléphone, prend de la hauteur en restant debout. Autour de lui, le public semble digérer le déjeuner dominical.

Sans pression, Tre Fiori peut prendre son temps. Faute d’intensité, le match patauge davantage qu’en première mi-temps mais c’est indéniable: le collectif du champion est plus fort et mieux rodé. Après un coup franc expédié au-dessus, il s’essaie à une combinaison vue à la télé: la louche par-dessus le mur. Si ses deux attaquants sont bien sur le coup, le ballon finit par leur échapper en sortie de but… Tre Fiori parvient à ses fins à moins de vingt minutes de la fin. Sur un centre de Fabio Vannoni, Giunta se désarticule pour battre Montanari d’une tête plongeante et inscrire son onzième but en championnat.
Dans les travées, les plus éveillés exultent, sans fanfaronnade. Laissant la partie reprendre son cours en toute quiétude. Dans une ultime tentative, Tre Fiori butera une dernière fois sur la transversale de Montanari. Il n’empêchera pas Murata de remonter la pente du Titan avec un point (1-1) mais sans certitude pour la suite. Comme son adversaire du jour avant lui, Tre Fiori est parti pour décrocher son troisième titre de champion consécutif. Pour le lauréat 2011, la Ligue des champions débute fin juin. À Rimini, il fera peut-être encore beau.
Du même auteur :
"Super Sunday à la bruxelloise"
"Dudelange et démons"