L'arbitrage va-t-il tacler le Mondial par derrière?
Si d'innombrables incertitudes planent naturellement sur la compétition, la question de l'arbitrage et particulièrement de l'application de la nouvelle interdiction du "tacle par derrière" peut susciter les plus fortes inquiétudes.
Le Mondial survient au moment où l'arbitrage n'a jamais été autant remis en cause par ses millions de juges d'instruction : médias, joueurs, dirigeants et spectateurs. L'affaire du Juve-Inter en est l'illustration la plus récente (et pas la moins spectaculaire), et la menace d'un arbitrage vidéo se précise. S'il n'est pas nécessaire de tomber dans le totalitarisme qui croit pouvoir supprimer l'erreur humaine (supprimer l'aléatoire dans le foot reviendrait à y jouer sur Playstation), les troubles de l'arbitage ne doivent pas nous laisser totalement dupes.
Les rétrospectives sur les éditions précédentes de la CM ressemblent parfois à une sinistre chronologie d'erreurs calamiteuses et de malversations plus ou moins dissimulées. L'histoire de cette compétition est très tôt et jusqu'à très récemment entachée de liaisons coupables avec le pouvoir se manifestant par des décisions arbitrales qui entrèrent dans la chronique de certaines Coupes du Monde, aux côtés des actions et des buts d'anthologie. François Thébaud instruit ce dossier avec un article, "Arbitrage et politique", dans le numéro 39 de Manière de voir du Monde diplomatique consacré au football. Si l'on peut ne pas adhérer complètement à l'interprétation un peu paranoïaque qu'il dresse des "affaires" (en 34, 54, 66, 78, 86), certaines de ses remarques en appellent à la vigilance: "les arbitres de la Coupe du Monde sont sélectionnés sur la base de critères rigoureux dont le plus important (et le plus secret) est la faculté de comprendre le rapport des forces extérieures au jeu dans les rencontres touchant au prestige ou aux intérêts politiques de certaines nations".
Dans ce contexte l'interdiction d'un geste jusque là toléré, à l'occasion de la compétition la plus prestigieuse et la plus sensible de toutes, semble pour le moins hasardeuse. Comment les arbitres pourraient-ils intégrer instantanément un tel changement dans l'appréciation du jeu? Comment les joueurs pourraient-ils acquérir des réflexes nouveaux dans des rencontres dont le niveau et l'enjeu seront immédiatement très élevés? La compétition risque d'être faussée, à la fois dans le cours des matches et par le biais des suspensions, les sanctions frappant un peu les équipes au petit malheur la malchance. Ayant eu plusieurs mois pour anticiper cette application, nous avons pu compter le nombre de fois où la question se posait : "Est-ce que c'est un tacle par derrière? Est-ce que le joueur recevra un carton rouge en juin?".
Il est évident que les arbitres sanctionneront diversement les mêmes gestes, avec des conséquences énormes sur les rencontres. Les occasions d'incompréhension de la part des joueurs et du public vont donc être multipliées, la marge d'interprétation étant excessivement large.
Comment les instances internationales peuvent-elle laisser encourir de tels risques au tournoi en créant de nouvelles opportunités de scandale arbitral? Thébaud suggère la réponse : "les dirigeants de la FIFA entendent conférer à "l'erreur humaine" l'explication de décisions dictées de l'extérieur". En ont-ils tellement besoin qu'ils en viennent à inventer pour elle de nouveaux moyens d'expression?