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La pelouse de mon enfance

Elle a accompagné les rêves footballistiques de notre jeunesse. Elle nous transportait dans tous les stades du monde. Elle était ici cabossée, là touffue, ici en stabilisé, là parfaite, pour les plus chanceux. Elle était unique, notre pelouse.

Auteur : Mevatlav Ekraspeck le 12 Mai 2016

 

 

On a tous nos stades préférés, nos cocons de jeunesse, nos tribunes en béton qui s’effritent et nos bancs en bois qui menacent de céder. Nos vestiaires aussi, avec leurs rangées de crochets, leur vieux robinet qui fuit et leur éternelle absence de chauffage l’hiver. Ce n’est pourtant pas là que l’essentiel se joue en football. Et, pour sûr, tous, on se souvient du terrain. De notre terrain, chez nous, avec nos repères sensoriels. Ce terrain qui nous aime et qui déteste les autres, les étrangers, les envahisseurs.

 

Sûr qu’à nos yeux, il avait quelque chose de spécial.

 

Pour le mien, avant tout, il y avait l’odeur.

 

 

 

Parfum entêtant et toile de peintre

Celle de cette pelouse, fraîchement tondue puisque nous étions vendredi et que le lendemain, il y avait le match des grands. C’est ce parfum que, même au plus profond de ma vieillesse, je n’oublierai jamais. Presque entêtante pour certains, avec cette sensation qu’elle en rendait l’air épais. Mon nez de gosse me guidait jusque sur le terrain, pour aller humer de près cette drogue, comme d’autres reniflaient leur colle blanche en classe ou sniffaient en douce ce bout de tissu qu’ils amenaient en cachette à l’école malgré l’interdiction.

 

Ce pré était fascinant. On était loin, très loin de l’affreux cliché du terrain de campagne, bosselé par les taupes, comblé par du sable et de la glaise pour l’égaliser un peu, vérolé par les pissenlits, les pâquerettes et des lignes tracées par le seul gars du village fâché avec la géométrie, qu’on aurait recasé au gardiennage du stade parce qu’il faisait peur aux gosses.

 

C’était un amour de pelouse, épaisse, d’un vert tendre et luisant, spectacle électrique telle une toile de peintre qui, au gré des saisons, des lumières et des pluies, aurait joué avec toute la palette depuis le pâle jusqu’aux teintes sombres propres à la mer de nuit. Les vieux projecteurs, fatigués, crachaient une lumière jaunâtre sur ce grand océan d’herbe et cela donnait, entre octobre et avril, des spectacles improbables.

 

Les limites du terrain étaient tracées au cordeau par un génie, Mondrian était enfoncé. La perfection de cette déchirure blanche dans l’immensité verte était telle que mon esprit s’y perdait. Parfois, être sur la touche était une récompense que je pouvais regarder de près, cette craie parfaitement étalée, pour y égarer mes pensées.

 

 

"C'est Sochaux ici"

Et pourtant, on était dans un patelin paumé, coincé entre la fin de la Beauce et un bord de Loire, qui n’avait rien pour lui, mais là où quelques souverains décidèrent que le prix du foncier était suffisamment sympathique pour pouvoir y bâtir une bricole ou deux.

 

Mais voilà, parmi le millier d’autochtones on hébergeait un artiste du brin vert, un furieux qui, tout employé municipal préposé aux installations sportives qu’il fut, ne passait pas ses heures à descendre du Gamay au troquet aux frais du maire, mais nous bichonnait un amour de moquette verte sur laquelle nous aurions l’indécence de nous ébrouer sans le moindre merci.

 

Cette pelouse était hypnotique pour nos yeux d’enfants, et presque sensuelle au toucher. S’y rouler, que dis-je, s’y vautrer, c’était là un plaisir jouissif, qui faisait râler nos éducateurs parce qu’on se jetait là-dessus comme sur les grands matelas bleus du gymnase. Et quand, les soirs d’automne, elle fumait, nous nous mettions au ras du sol pour assister au grand spectacle de l’évaporation malgré le froid. Et ça pouvait finir en concours de ver de terre. On avait dix piges, on était délicieusement cons.

 

Ce terrain était tellement beau, alors que depuis les poussins jusqu’aux vétérans, tout le patelin le piétinait allègrement, que l’été on voyait des professionnels venir s’y préparer. Deux jours de stage, perdus dans le Val de Loire, pour y rencontrer une sélection locale ravie de repartir avec huit buts et des souvenirs, et des gosses qui sautaient partout parce qu’ils voyaient cavaler leurs vignettes Panini. Même eux jouissaient sur ce terrain, c’est dire. Je ne comprendrais que bien plus tard l’immensité du compliment qui consistait à dire "C’est Sochaux ici".

 

 

Les plaisirs du gazon

Peut-être est-ce que parce que j’ai tant aimé cette pelouse, ou parce que lorsque la distribution des boîtes de coordination des pieds j’étais parti pisser, mais j’ai vite fini gardien. Vous avez remarqué qu’un gardien ça saute et ça plonge. Comme à la piscine. Mon bassin à moi, il était vert et je n’éclaboussais personne. Je me souviens comme si c’était hier de mon premier vrai plongeon. Je me suis relevé en me disant "Mais ça ne fait même pas mal!" Alors je recommençais, encore et toujours, cherchant à décoller plus loin, plus haut, pour voir s’il y avait une limite, une douleur. Rien. Ce grand tapis vert m’aimait de toutes ses forces et m’enroulait de ses bras invisibles pour amortir ma chute.

 

Je n’ai plus jamais quitté les buts, jusqu’à ce que je délaisse le rond pour l’ovale, plus loin. Mais avant cette conversion au rugby, tout le monde était ravi. Débarrassé du fléau que j’étais en défense, ils venaient de trouver un couillon qui, qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige, resterait figé en attendant que quelque chose arrive vers lui.

 

Tout le monde était gagnant. Et pendant que les copains ferraillaient, je pouvais admirer ce terrain et me promettre qu’un jour, je décrypterais le mystère de cette beauté jubilatoire. J’étais né gardien, je fus baptisé par cette pelouse sacrée. C’était une révélation. J’y glissais comme sur une luge pour sortir gober la balle dans les pieds de l’attaquant, j’y trouvais des appuis sûrs même une fois que les nuages avaient fini de nous pisser dessus, j’y trouvais un réconfort quand le coup reçu faisait trop mal ou quand la sortie aérienne finissait en vrille parce que les contrôleurs aériens avaient oublié de me signaler un Boeing en approche, qui me rendait dix kilos et vingt centimètres.

 

Je n’ai jamais vu de terrain similaire, si ce n’est quelques pelouses professionnelles, mais j’aime retrouver cette fameuse odeur qui vous arrive quand vous avez la chance d’avoir, en tribune, un siège pas trop éloigné du terrain. Quand le rugby m’a perverti, j’ai retrouvé cette joie de me rouler dans l’herbe qui prenait le pas sur les coups reçus et les piétinements frénétiques des packs.

 

Tous les gardiens du monde vous diront le plaisir qu’ils éprouvent à exécuter le plongeon qui va leur permettre de sortir la balle au ras du poteau. Les petits pas de préparation, la prise d’appui, le regard sur la balle, la flexion, l’extension, la contraction des doigts et de la paume, toucher le cuir, l’entendre claquer, puis finir sa course sur l’épaule en prenant soin d’entamer si possible une demi-roulade pour absorber l’énergie et amortir l’atterrissage. Se relever, râler pour le principe sur l’incapable qui a laissé frapper l’autre, remobiliser sa défense pour le corner à suivre et, surtout, fusiller du regard l’attaquant pour lui signifier notre ascendant psychologique. Notre domination.

 

L’arrêt est un art consommé qui ne peut se faire si, un jour, nous n’avons pas eu cette révélation quasi miraculeuse des plaisirs qui se cache derrière cet hectare de gazon.

 

 

Terrain synthétique, football artificiel

L’ouïe, le toucher, la vue, l’odorat et même le goût, quand, gamin, on croque ces brins d’herbe et ces tiges pour découvrir la saveur improbable du football: tous les sens sont sollicités par cette initiation. Et pour ceux qui ont appris sur le stabilisé ou la terre battue, le constat est le même: le goût de la poussière, les ocres du terrain, le bruit des rebonds, la rudesse des contacts avec le sol sont autant de marqueurs de notre jeunesse.

 

Rien n'a changé de ce terrain qui me fit aimer le football, perdu dans un patelin qui regarde paisiblement le fleuve couler et qui, avec tout autant de calme, voit des générations de gamins se défouler sous le feu de ces mêmes grands poteaux d’éclairage qui n’en finissent pas de s’épuiser à illuminer des vendredis soir. Le gardien n’est plus là, les gradins ont vieilli, les vestiaires sont hors d’âge, mais l’herbe reste verte et magnétique. Les pros préfèrent désormais les stages en altitude, les tournées européennes et les grands stades. Et pourtant, la pelouse n’a pas bougé.

 

Un de mes coaches m'a dit un jour: "Les Anglais, il faut les détester, question d’hygiène intellectuelle et morale. Pourtant, des types qui savent faire des stades avec des gazons pareils ne peuvent pas être foncièrement mauvais." La preuve même qu’une belle pelouse a quelque chose de magique, capable de faire douter les plus endurcis sur des certitudes qui sont pourtant parmi les bases de la culture française.

 

Les terrains synthétiques se multiplient aux quatre coins du territoire. Plus de problèmes d’entretien, d’arrosage, de désherbage, d’été trop sec, d’hiver trop froid, de lignes à tracer. Le confort, quoi! C’est du football artificiel, en quelque sorte…Un terrain ça sent l'herbe. Un fromage sans odeur n'est pas un vrai fromage. Ou alors une saloperie d'export pour les Ricains, dénaturée, sans saveur. C'est pareil pour le foot.

 

Mais quand je vois un gamin de mon village, aujourd’hui encore, qui, plutôt que d’aller poser son sac au vestiaire, préfère aller tâter la pelouse, je me dis que l'enchantement est toujours là, cette inexplicable attirance pour un rectangle vert va traverser les générations et faire vivre le football malgré tous les fléaux qui s’abattent sur lui.

 

Parce que quelques mètres carrés tout plats, avec des buts (ou des pulls rouges!) de chaque côté, seront toujours magiques.

 

Réactions

  • Ba Zenga le 12/05/2016 à 08h40
    Merci pour ce très joli texte. Je m'y suis beaucoup reconnu, quand bien même je ne suis devenu gardien que sur le (très) tard et que j'ai bien plus pratiqué le stabilisé que la pelouse (pas étonnant à Marseille). Et merci aussi pour ce que tu dis sur le synthétique que j'ai toujours vivement détesté, provoquant l'incompréhension de tous mes interlocuteurs. Ça pue et ça fait mal aux articulations, ce machin.

  • Patate Sauzée le 12/05/2016 à 15h13
    Ah les nantis qui jouaient sur de l'herbe ! Pas eu cette chance, en banlieue Est, c'était plus souvent de la terre, voire du stabilisé. Les cuisses prenaient très cher lors des tacles.

  • lyes le 12/05/2016 à 15h37
    Beau texte, on peut sortir un collector avec les plus textes les plus sympas de ces dernières années, celui-la aura sa place.

  • El Mata Mord le 12/05/2016 à 15h50
    Magnifique Mevatlav !

    Tu m'as arraché une larme...

  • McManaman le 12/05/2016 à 18h42
    Ah, l'odeur des pelouses de l'enfance et des victoires 11-1 contre le bled d'à côté...

    Très joli texte, étoilé hier et relu aujourd'hui avec un grand plaisir. Merci beaucoup !

La revue des Cahiers du football