La Bundesliga refroidit ses supporters
En Allemagne aussi, les instances prennent prétexte des incidents pour mettre en place des politiques répressives contre les supporters. Qui ne sont pas restés sans voix.
Le plan Leproux a fait date en France, il pourrait faire école à l'étranger. À moins que le "modèle anglais", qui lui est largement antérieur, continue à faire référence... En Allemagne en tout cas, c'est la Ligue allemande (DFL) qui s’est saisie du dossier des supporters, à la suite de débordements un peu trop voyants, en lançant le "Sicheres Stadionerlebnis". Un programme que les clubs n'ont pas tous soutenus, et contre lequel les supporters ont protesté en réclamant voix au chapitre.
2012, année agitée
Le but: faire décroître, voire disparaître, les violences dans et à proximité des stades. Car si la Bundesliga est louée pour son caractère offensif, celui-ci n’est pas toujours absent des tribunes. Ni en dehors. Comme le 20 octobre dernier, autour du derby Dortmund-Schalke. Avant même que le match entre ces clubs à la rivalité ancienne ne débute, des heurts plus violents que ceux des années précédentes ont commencé entre fans des deux camps. Le score n’a, il est vrai, pas aidé à calmer les plus violents après le coup de sifflet final [1]. Si la situation est restée maîtrisée au Signal-Iduna-Park, à l’extérieur les mille agents des forces de police mobilisés – deux fois plus que pour un match standard – ont eu fort à faire avec les plus énervés, parfois encagoulés et pas venus les mains vides. Bilan cumulé des heurts près du stade, dans le centre-ville et à la gare de Dortmund: des dégâts matériels non négligeables, deux cents interpellations, une dizaine de blessés.
Pressée par les politiques, la DFL s’est emparée du problème. Il faut dire que 2012 avait déjà à son passif la triste "affaire Pezzoni", le match Cologne-Bayern durant lequel des fumigènes jetés par les fans d’un 1.FCK relégable avaient causé une fin de match avancée, et le match de barrage retour Düsseldorf-Hertha Berlin où, dans une atmosphère rendue irrespirable par l’enjeu et les engins pyrotechniques, des supporteurs avaient envahi le terrain et ainsi provoqué une interruption temporaire. Des incidents aux conséquences limitées, mais suffisants pour susciter la réaction des autorités.
Désaccord total
Le 22 octobre se réunissait la nouvelle Commission de sécurité de la DFL, pour discuter d’un document de trente-deux pages titré "Sicheres Stadionerlebnis". Ce texte était la conclusion du sommet du 23 juillet à Berlin entre les représentants des clubs des deux premières divisions, la Fédération allemande et Hans-Peter Friedrich, ministre de l’Intérieur – en l’absence de représentants des associations de supporters. Le document évoquait des pistes comme des contrôles renforcés et des fouilles plus strictes à l’entrée des stades, des interdictions de stade plus longues, le bannissement de tout engin pyrotechnique, davantage de vidéo-surveillance, etc.
Une majorité des clubs de l’élite ont adhéré au texte, à l’instar de Dortmund et Munich. Sans surprise: les clubs pourraient, en cas d'infraction, être frappés au portefeuille, par une retenue sur leurs droits TV par exemple [2]. Mais tous n’ont pas suivi: quelques-uns (Hoffenheim, Mayence et Nuremberg) ont sollicité un délai de réflexion. Certains clubs pros ont d’emblée fait part de leur désaccord: les deux clubs de Berlin et St. Pauli (2. BL.) ont ainsi jugé que le postulat de départ selon lequel la violence était en hausse n’était corroboré par aucune statistique. Ils ont été rejoints dans leur opposition par Augsburg et Düsseldorf, qui ont estimé qu’il fallait d’abord discuter avec les fans, et Wolfsburg, qui a vilipendé le texte en termes sans équivoque, craignant qu’il ne mène à davantage de violence à son application. Plus mesurés, Cologne (2. BL.) et Mönchengladbach ont eux aussi émis des réserves.
Directement et continûment touché par la violence de ses supporteurs [3], le Dynamo de Dresde (2. BL.), a pour sa part salué le processus initié… tout en rejetant les mesures les plus coercitives. En résumé, tout le monde était d’accord pour agir contre la "minorité d’irrécupérables" dénoncée par le président de la DFL Reinhard Rauball, mais l’unanimité appelée par ce dernier restait un vœu pieux.
Dura lex, sed Kodex
Pour les supporters et leurs associations, ces rencontres où ils n’étaient pas invités n’ont aucune légitimité. Un avocat les représentant au sein de l’AG Fan-Anwälte, René Lau, estimait ainsi que la violence était présente partout dans la société et qu’il n’y avait pas de raisons que le football en fût exempt. Pour lui, le nombre de faits violents dans le foot n’était ni en hausse, ni significatif, avec environ 10.000 blessés sur les quinze jours de l’Oktoberfest munichoise contre moins de mille lors des heurts entre supporters sur l’intégralité de la dernière saison. Enfin, si la violence croissait autant, les affluences dans les stades seraient-elles toujours aussi importantes?
Le problème n’est pas tant l’ampleur de ces débordements que leur visibilité médiatique. En outre, cette violence sévissant déjà dans les divisions inférieures depuis un moment (cf. les matches opposant St. Pauli et Rostock quand le Hansa jouait encore en 2. BL., ou le Lokomotiv Leipzig à ses voisins chez les amateurs), tout était réuni pour pousser les instances à agir. Fût ce dans la précipitation.
Car les fans retiennent surtout le volet répressif de ce Verhaltenskodex (code du comportement). Les associations de supporters qui n’auraient pas signé d'accord avec leur club n'auraient ainsi plus d'accès au stade. En cas d'infractions répétées, le contingent alloué en tant que club visiteur serait réduit de 10 à 5%. Sans oublier l’interdiction des engins pyrotechniques – pour raisons… de santé! – et celle des banderoles, si celles-ci conduisent à cacher quoi que ce soit. Enfin, les clubs s'engageraient à communiquer à la police des informations sur les fans suspectés… Bref, pour les supporters, ce n’est pas de la lutte contre la violence, c’est une tentative de les museler par tous les moyens officiels possibles. Et le club de l’Union Berlin l’a bien compris, en ayant boycotté la réunion de juillet et rejeté le texte – il faut dire que le ministre de l’Intérieur évoquait même la fin des places debout, un vrai sacrilège!
Du silence à la parole
Les supporters ont réagi au "Sicheres Stadionerlebnis" d’une façon originale. Plutôt que de manifester dans la rue ou de balancer plus de fumigènes, les ultras ont mis en place "l’Initiative 12:12" – allusion à la réunion du 12 décembre pour le vote sur ces mesures. Cette initiative consistait en un silence total de douze minutes et douze secondes au début de chaque rencontre. "Ohne Stimme, keine Stimmung": sans voix, pas d’ambiance. Le résultat a été impressionnant en comparaison avec l’ambiance habituelle dans les stades.
Cela n’a pas empêché le texte, dans une version remaniée, d’être finalement adopté à une large majorité pendant l’assemblée générale de ce 12 décembre. Passé de dix à seize points, et faisant plus de place aux fans et au dialogue, le texte n’a pas permis à ses principaux opposants qu’étaient le FC St. Pauli et l’Union Berlin de former une majorité de refus.
Trois jours après ce vote, la dix-septième journée a vu une fêlure au soutien à l’Initiative 12:12. Une scission entre les ultras et les autres fans a pu être observée dans les stades, tandis que des joueurs et des dirigeants de clubs ont critiqué le manque de soutien de leurs ultras. Logiquement, la décision de mettre fin au mouvement de silence a été prise début janvier 2013. Ce qui a joué aussi: l’invitation faite par Andreas Rettig, le nouveau président du conseil d’administration de la DFL. Une rencontre de deux heures entre lui et une vingtaine de représentants de fans, dont des ultras, a permis d’établir un premier vrai contact officiel le 8 janvier. Le prochain est prévu fin mars. Le dialogue est établi, il reste à le faire fructifier. Pour voir si la Bundesliga va devoir changer de culture… ou de public.
[1] Champion en titre, Dortmund a perdu à domicile (1-2) pour la première fois en Bundesliga depuis un an.
[2] Autre piste (laissée de côté): faire payer aux clubs le coût du déploiement des forces de police lors des rencontres à risque.
[3] Au point d’avoir été depuis exclu de la Coupe 2013/14, après les heurts de son match de Coupe à Hanovre en octobre 2012.