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« La principale porte d’entrée du football en France a été Paris »

Entretien - L'historien Julien Sorez retrace la conquête de la France par le football, de la fin du XIXe siècle aux années 1950. 

Auteur : Antoine Zéo le 1 Dec 2021

 

Julien Sorez est historien du sport et maître de conférences à l'université de Paris-Nanterre. Il est notamment l'auteur de L'empire des sports : une histoire de la mondialisation culturelle (avec Pierre Singaravelou, éd. Belin, 2010) et de Le Football dans Paris et ses banlieues. Un sport devenu spectacle (éd. PUR, 2013).

Entretien extrait du numéro 4 de la revue des Cahiers du football, juin 2020.

 

Comment résumer la préhistoire du football français ?

Le football arrive progressivement en France à la fin du XIXe siècle. Le premier club, le Havre Athletic Club, est créé dès 1872 par des Britanniques. Mais c'est à classer parmi beaucoup d'initiatives encore éparpillées et souvent éphémères. Une date plus significative est 1894 : c'est le premier championnat organisé en France, sous l'égide de l'USFSA (l'Union des sociétés françaises de sports athlétiques, fondée en 1887), entre des clubs exclusivement parisiens. Le modèle associatif est alors celui du club omnisports : c'est le cas du Stade français, par exemple, où la section football est fondée quelques années après sa naissance (1883). L'institutionnalisation est difficile car les clubs et les fédérations fonctionnent selon un double principe qui s'oppose au développement rapide du football : le respect de l'amateurisme - alors que le football est une pratique professionnalisée dès 1885 en Angleterre -, et l'idéal du gentleman amateur, pratiquant omnisports. Or le football a tendance à susciter des pratiquants monomaniaques.

Qui sont les premiers footballeurs ?

Deux clubs permettent de bien les identifier. Le Standard Athletic Club est fondé par des Britanniques résidant en région parisienne qui ne font pas partie de l'aristocratie sociale. Ce sont des employés de commerce, des représentants de firmes britanniques en France, des gens de la petite bourgeoisie - ils sont en Angleterre, avec la classe ouvrière, les principaux pratiquants du football puisque l'élite britannique a déjà commencé à s'en détourner. Les membres du second, le Club français, ne font pas non plus partie des élites parisiennes. Ce sont pour beaucoup des élèves et des étudiants des collèges municipaux, moins prestigieux que les lycées d'État, où les études sont souvent tournées vers des carrières dans le commerce ou l'industrie, à l'image du Collège Chaptal. Certains ont fait des voyages linguistiques en Angleterre, où ils se sont emparé d'une pratique déjà populaire, dans les deux sens du mot.

« Jusqu'aux années 1920, Paris est la capitale sportive, la capitale institutionnelle et la capitale médiatique du football. »

 

Quelles sont les régions particulièrement concernées par le développement du football au début du XXe siècle ?

La région n'est pas l'échelle la plus pertinente. Les points de chute les plus précoces sont les grandes villes : les clubs vont s'y multiplier avec la présence d'élites anglophiles, notamment dans les espaces commerciaux et industriels du Nord. Les façades portuaires connaissent un développement rapide du football, comme Le Havre, puis Marseille. Avant même l'investissement des municipalités, à partir des années 1920, la plupart des grandes villes françaises ont une équipe qui a vocation à les représenter. Mais la principale porte d'entrée reste Paris. Jusqu'aux années 1920, c'est la capitale sportive (les meilleures équipes, les plus nombreuses), la capitale institutionnelle (siège de toutes les fédérations) et la capitale médiatique du football.

Son expansion est-elle exclusivement urbaine ?

Une des régions rurales les plus précocement touchées par le football est la Bretagne, dès le début du XXe siècle, du fait de la densité et du nombre des patronages catholiques. En revanche, dans le Nord et l'Est, c'est davantage à l'occasion de la guerre de 1914-1918, avec la présence des troupes britanniques, que la pratique se diffuse. Quant au Sud-Ouest et aux régions montagnardes, le rugby y occupe pendant des décennies la première place. La différence de développement du foot entre espaces ruraux et urbains est aussi liée aux astreintes inhérentes aux métiers : les ouvriers et employés conquièrent progressivement du temps libre avec la journée de huit heures et la "semaine anglaise". Ce n'est pas le cas des milieux paysans.

Est-ce un sport de "prolétaires", dès le début ?

La diversité des origines du football-association (comme on l'appelle pour le distinguer du football rugby) en fait assez rapidement une pratique plurielle : parallèlement au modèle associatif, on joue dans les rues, les parcs, et une jeunesse populaire s'attache au football. Mais d'un point de vue institutionnel, l'un des vecteurs principaux, ce sont les patronages catholiques et leur fédération (la FGSPF, Fédération gymnique et sportive des patronages français). Créée à la toute fin du XIXe siècle, elle a l'objectif de ramener la jeunesse prolétaire urbaine en voie de déchristianisation dans le giron de l'Église

« L'idée selon laquelle le football serait une composante de l'identité des "banlieues" émerge en région parisienne dans les années 1920-1930. »

 

Y a-t-il un conflit entre des pratiques bourgeoises et ouvrières du football ?

Considérer qu'il y a des footballs bourgeois et prolétaires qui se font face est une reconstruction a posteriori, copiée sur le discours des fédérations sportives socialistes et communistes. Pour elles, le football "bourgeois" est pratiqué dans le cadre de la FFFA (l'actuelle FFF, fondée en 1919). La réalité est plus complexe. De plus en plus d'ouvriers jouent à partir des années 1910, mais ils pratiquent dans les clubs de la FFFA. Ils sont même plus enclins à supporter les équipes composées de vedettes que les clubs affiliés au socialisme ou au communisme - dont les effectifs sont faméliques jusqu'à la fin des années 1930. L'horizon d'attente pour un ouvrier doué au football, c'est le club rémunérateur qui le fera sortir de la mine ou de l'usine, et non les clubs qui font primer le militantisme politique.

Que change le professionnalisme, en 1932 ?

Il ne constitue pas une rupture brutale, plutôt une officialisation et une régularisation de pratiques jusque-là largement répandues bien qu'en même temps réprouvées, à l'instigation et au profit de quelques patrons de clubs - notamment les Peugeot qui ont fondé un puissant club à Sochaux. Dans les années 1920, l'amateurisme marron est la règle, il est pratiqué par les meilleurs clubs qui rétribuent leurs joueurs soit en salaires dissimulés soit en gratifications diverses - emplois, logements, etc. Les meilleurs joueurs n'ont aucune difficulté à monnayer leur talent et à passer d'un club à un autre. L'arrivée officielle du professionnalisme avec la création du championnat de France en 1932 va permettre aux dirigeants de contrôler leurs effectifs avec l'instauration d'un contrat que les joueurs ne peuvent pas rompre. C'est ce type de contrat que dénoncera Raymond Kopa en 1963 quand il déclarera que "les footballeurs sont des esclaves". Le professionnalisme est donc assez ambigu pour les joueurs, mais très favorable aux clubs qui s'installent en haut de la pyramide en passe de se constituer sous l'égide de la FFF.

À quel moment le foot français est-il associé aux banlieues, dans sa pratique et dans l'image qu'il donne ?

Dans les années 1910 et 1920, de nombreux individus ont appris à jouer au football dans les banlieues, mais ce sont des banlieues pavillonnaires, et ce cadre ne semble pas plus favorable qu'un autre. Pierre Chayriguès, le célèbre gardien du Red Star et de l'équipe de France, a fait ses armes dans les rues de Levallois, il a joué à Clichy, mais à aucun moment on n'exalte la banlieue pour décrire son parcours. L'idée selon laquelle le football serait une composante de l'identité des "banlieues" émerge en région parisienne dans les années 1920-1930, où les équipes de certaines communes bénéficient d'installations nouvelles, de stades, de subventions qui les rendent capables de rivaliser avec les grandes métropoles. Le meilleur exemple en est le Red Star de Saint-Ouen, qui gagne quatre Coupes de France dans les années 1920. En revanche, l'idée d'une banlieue vivier d'excellents joueurs et terre de prédilection du football date d'après 1945 et de l'arrivée massive de travailleurs immigrés regroupés dans de grands ensembles urbains. Après-guerre, l'arrivée de nombreux ressortissants coloniaux et des immigrés durant les Trente Glorieuses, pour lesquels le football était déjà une pratique familière, a sans doute renforcé le succès du football et sa dimension populaire dans certains quartiers des grandes agglomérations.

« Jusqu'à la guerre, et encore un peu après, c'est le cyclisme qui occupe la place de sport national. L'identification du football à la "nation" est plus difficile. »

 

L'organisation de la Coupe du monde 1938 en France est-elle déterminante ?

Ce que "réussit" l'Italie fasciste avec la Coupe du monde 1934, c'est une double victoire : organiser un événement très investi idéologiquement, et le remporter. Les régimes autoritaires ont une volonté politique claire d'instrumentaliser le sport. En France, les pouvoirs publics restent attachés à la conception "républicaine" du sport, hygiéniste et civique, et n'ont pas de dessein politique dépassant la simple performance sportive. L'équipe nationale n'y est pas si fortement instrumentalisée. Après 1945, stigmatisé sous Vichy pour son professionnalisme, le football en sortira grandi car son capital symbolique n'a pas été récupéré et instrumentalisé par l'idéologie de la "Révolution nationale".

Quand le football prend-il sa dimension de "sport national" ?

Jusqu'à la guerre, et encore un peu après, c'est le cyclisme qui occupe cette place. L'identification du football à la "nation" est plus difficile. La création des compétitions internationales est beaucoup plus tardive : Coupe du monde en 1930, coupes européennes pour les clubs et les nations dans les années 1950. Les rencontres de football internationales sont des rencontres "amicales". Le prestige et la renommée sont en jeu, mais il manque un cadre compétitif officiel - et aussi une chose essentielle, avant 1984 : la victoire. Il est donc compliqué de construire un quelconque prestige avant cette date.

Pourquoi n'y a-t-il qu'un seul club professionnel dans les grandes villes françaises, à la différence de nos voisins ?

Il faut nuancer. Dans les années d'avant-guerre, il y a plusieurs clubs professionnels à Paris (le RC Paris, le Club Français, le CA Paris et le Red Star) ou à Lille (l'Olympique lillois, premier champion de France en 1932, l'Excelsior de Roubaix, le RC Roubaix, le SC Fives). Surtout, l'explication est bien davantage à chercher dans l'histoire de l'urbanisation française que dans l'histoire spécifique de son football. Les villes européennes où l'on constate la présence de plusieurs clubs de première importance sont de très grandes métropoles industrielles ou des capitales : Rome, Turin, Milan, Birmingham, Manchester, Liverpool, Barcelone, Madrid qui n'ont tout simplement pas d'équivalent en France. À l'inverse, les parcours de clubs représentant des villes aussi petites qu'Auxerre ou Guingamp ne sont pas imaginables en Angleterre ou en Italie.

Réactions

  • theviking le 08/12/2021 à 10h30
    Oui, effectivement, je vois plus ça comme une qualité. Mais savoir pourquoi on a cette spécificité, c'est intéressant aussi.

La revue des Cahiers du football