City gêne
Invité : When Saturday Comes – Les méthodes de recrutement de Manchester City ont terni son titre de champion d'Angleterre et souligné le gouffre séparant les Citizens actuels de leurs prédécesseurs de 1968.
Un nouvel article de l'indispensable mensuel When Saturday Comes, issu de son numéro de juillet. Titre original: Surplus Stock.
* * *
Harry Dowd garda les cages de Manchester City lors des glorieuses années du club, à la fin des années 60 et au début des années 70. C'était un gardien de but honorable mais aussi un plombier renommé, dont la légende dit qu'il négociait des travaux avec des membres du public derrière les buts, proposant des prix compétitifs pour des rénovations de salles de bain lorsque le jeu se déroulait à l'autre bout du terrain.
La conscience de la nature éphémère de ses revenus de footballeur n'avait cependant rien de spécifique à Dowd, dans la mesure où même les vedettes les plus glamour de l'époque gardaient à l'esprit la proximité des jours pluvieux que leur réservait une après-carrière dépourvue de l'argent du football. Mike Summerbee se reconvertit dans le commerce de vêtements, Colin Bell lança un restaurant à succès et – c'est plus connu – Francis Lee esquiva la routine billard-bière d'après-entraînement pour poser les fondations d'une affaire de recyclage qui fit finalement sa fortune.
Bonnes fortunes
Il est peu probable qu'aucun des vainqueurs du titre 2012 ne perde le sommeil en se demandant ce qu'il devra faire de sa vie après avoir raccroché les crampons (présumons que la concession de véhicules de luxe dont Nigel de Jong est le propriétaire constitue plus un hobby qu'un complément de revenus). La masse salariale annuelle du club – récemment estimée à 174 millions de livres – leur offre une assurance perpétuelle contre les rigueurs de l'austérité.
Les propriétaires d'Abou Dhabi se sont en effet affranchis de quelques règles économiques de base pour poursuivre leur rêve et promouvoir leur marque, avec des salaires excédent largement le chiffre d'affaires. Cela a inévitablement conduit à des accusations d'antijeu de la part d'observateurs à la fois consternés par le spectacle d'investisseurs étrangers "achetant" littéralement un titre, et sceptiques quant au contexte politique entourant ceux-ci. Le président de City, Khaldoon Al Mubarak, est un homme intelligent, érudit et affable, et comme tel il fait un excellent ambassadeur pour Abou Dhabi, mais beaucoup voudraient le voir exprimer également sa nature compassionnelle à propos du système social – tout sauf progressiste – de son pays.
Stars au rebut
Il y a également des considérations humaines à prendre en compte à Manchester City. Le club a vu passer, depuis 2008, des wagons de joueurs achetés à grands frais pour être ensuite écartés de façon expéditive avant même d'avoir eu le temps de s'exprimer sur le terrain. D'autres ont été évincés parce que le club, agissant comme un enfant dans un magasin de bonbons, avait simplement jeté son dévolu sur quelqu'un d'autre. Cela a conduit des joueurs comme Emmanuel Adebayor, Wayne Bridge et Roque Santa Cruz à toucher de la part de City des rémunérations considérables pour jouer dans d'autres clubs via le système des prêts – une situation beaucoup plus triviale que les offres de transferts et de salaires qui ont attiré au club des joueurs comme Yaya Touré ou Sergio Agüero. Voilà au moins des footballeurs de très haut niveau, au sommet de leur expression, auxquels il est accordé toute la latitude de démontrer leur talent. Même la consolation de 170.000 livres hebdomadaires ne doit pas empêcher un homme aussi fier qu'Adebayor d'estimer que sa réputation a été injustement ternie par son expérience à Manchester.
Tout ceci ne fait que très vaguement écho à l'équipe championne en 1967/68, cet amalgame de talents locaux (dix joueurs issus des équipes de jeunes apparurent cette saison-là) et de quelques chiens perdus recrutés à moindre coût dans les divisions inférieures. C'était une formation galvanisée par un grand coaching, avec le génial management humain de Joe Mercer qui, à cette époque du moins, réussissait à contrôler l'ego frémissant de son condisciple Malcolm Allison pour former avec lui un duo insufflant une véritable verve offensive à son équipe.
Formation sacrifiée
Il est inquiétant que seul Micah Richards puisse être considéré comme un produit de la formation du club – et encore au prix d'une contorsion, puisqu'il fut soufflé à Oldham Atheltics à l'âge de quatorze ans. Soit la tant vantée capacité du centre de formation à fournir des joueurs talentueux s'est tarie, soit, de façon plus inquiétante, elle est désormais ignorée, le club préférant acheter des joueurs clés en main plutôt que d'en former lui-même. Pas un seul membre de l'excellent groupe qui remporta la FA Youth Cup en 2008 n'a réussi à percer en équipe première. Vladimir Weiss, considéré par beaucoup comme le meilleur espoir que le City a compté en son sein depuis des années, a été prêté à l'Espanyol, où il va tâcher de démarrer une carrière loin du club qui l'a couvé.
Malgré tout, le titre de City a été bien accueilli, en particulier par les médias, comme l'avait été celui obtenu quarante-quatre ans plus tôt. Bien sûr, il s'agit pour une large part d'une popularité par défaut, à laquelle a contribué le très ironique chapardage du titre à United dans le "Fergie Time" (les spécialistes du Schadenfreude ont trouvé là un bel objet d'étude). Le fait que City ait eu assez de nerfs pour rafler six victoires consécutives jusqu'à la fin de la saison a ainsi eu le mérite de mettre un terme aux élucubrations sur les "guerres mentales" par lesquelles Alex Ferguson pétrifierait ses adversaires. Pour un peu, j'en viendrais à penser que le club n'a pas si mal dépensé son argent.